Post Numéro: 8 de Signal 01 Nov 2010, 13:19
Je viens de regarder le commentaire de la photo 5 (la révolution nationale bouscule la vieille France). J'ai choisi celle-ci pour la simple et bonne raison que je la connais très bien, elle est en page trois d'un numéro de Signal !
Sur la forme : format court, ton posé, diction claire, focus sur les éléments intéressants. De l'excellent travail, digne d'un Palettes.
Sur le fond je suis plus circonspect. Sur la présentation de Signal tout d'abord : il est vrai qu'avec 700 000 exemplaires vendus en France (sur 2 500 000 dans toute l'Europe !), il fallait du lectorat. Mais dire, en tant qu'historien, quelque chose comme "ok il y en avait qui étaient donnés gratuitement mais il devait quand même y avoir un lectorat pour ça", sans autre commentaire, c'est déjà prendre parti. Le succès du magazine tient non pas à l'esprit collaborationniste de la population, mais au battage publicitaire fait autour de la publication : il y avait des affiches plein Paris, sur les Champs Elysées le siège de Signal avait une vitrine digne d'un grand magasin, et sur certaines photos de kiosques à journaux, on peut compter jusqu'à dix numéros en vente en même temps, écrasant les autres sous la masse. La bande et le titre en rouge sont faits pour attirer l'oeil. Quand on lit la publication, nous ne sommes pas dans le Stürmer, mais dans Paris-Match ! Il y a de tout, de la guerre à la mode, en passant par les beaux-arts et les sciences... Bref un excellent magazine généraliste, dans lequel l'idéologie nazie est diluée au milieu de l'ensemble. Ce n'est qu'à partir de 1943 que la haine antisémite s'y fait de plus en plus présente.
Ok je viens d'exploser les deux minutes qui me sont dévolues pour expliquer la photo, mea culpa.
Sur le commentaire de la photo : intéressant commentaire, je suis d'accord sur la première partie, pas sur la seconde. L'allégorie de la jeunesse face à la vieille France, pas de problème, tout le monde est d'accord. Par contre, sur la femme à droite, je suis plus réticent. Passons sur le chapeau à la Charlotte Corday, qui pour moi tient plus du fantasme que de la réalité, ce type de couvre-chef faisant partie intégrante de la mode de l'époque. Par contre la remarque sur le chemisier Vichy est excellente ! Je suis nul en ce qui concerne les fringues (je suis un homme aussi, c'est normal), seule une femme pouvait voir un tel détail ! Pour le visage de la femme, défini comme "bouche bée" par le commentaire, je ne l'ai jamais vue ainsi, mais plutôt comme une invective envers l'homme assis. Cette femme est représentée comme étant la personnification de la révolution nationale, sorte de Marianne vichyste. Remarque intéressante, mais je ne suis pas sûr que l'objectif premier soit de cet ordre. Quant aux deux jeunes au second plan, je ne les ai jamais vus comme une tentative d'intervention de l'un des deux, mais plutôt comme deux personnages secondaires discutant ensemble, indifférent à la scène qui se passe dans leur dos.
Je distingue deux erreurs méthodologiques majeures dans le commentaire. D'une part, la photo est sortie de son contexte, sans égard au texte qui l'accompagne, qui précise le contexte dans lequel elle a été prise, ou du moins celui dans lequel elle est censée avoir été prise, si on admet qu'il s'agit d'une mise en scène, ce dont je doute énormément. Selon ce commentaire, nous sommes lors d'un défilé à Paris, l'homme au chapeau a refusé de se découvrir devant le drapeau français, d'où la réaction du jeune fasciste. On notera au passage que cette scène a été reprise presque telle quelle dans la dernière scène du film Un taxi pour Tobrouk.
D'autre part, les commentateurs de la photo ont commis l'erreur de tout de suite regarder la photo avec un oeil de spécialiste, et de la décortiquer immédiatement en tant que tel. Personnellement, quand je m'attaque à un objet de propagande, quel qu'il soit, je me force à le voir avec le regard naïf du spectateur lambda à qui il est destiné. Et là on tire énormément de leçons, dont sont tirées mes remarques du paragraphe précédent. Le groupe central est le groupe principal, la femme n'est qu'un élément qui se superpose à l'ensemble, sa bouche semblant crier ajoute au scandale : comment ne pas se découvrir devant les trois couleurs ? Les deux jeunes gens derrière ne sont que des éléments du décor, sans plus.