Post Numéro: 1 de Kristian Hamon 25 Avr 2010, 19:09
Toutes les divisions allemandes comportaient un service chargé de la police, du contre-espionnage et de la lutte contre les partisans dans les territoires soumis à l’action de cette division. En général, un Kommando se composait de 25 hommes et gradés, tous militaires et volontaires. Le Kommando prêtait également assistance aux autres services de police allemande.
Le Kommando I.C. de Landerneau a été créé le 17 avril 1944 auprès de la 343ième Division d’Infanterie. Il ne s’agit donc pas de la SD ou de la Gestapo, mais d’une unité de soldats de la Wehrmacht.
Chef : Willy Kruger
Adjoints : Friedriech Horch et Heinz Roosen-Rugen (tous parlent parfaitement le français)
Sous-officiers : Meier / Otto Marhon / Fritch
Soldats : Smith / Karl Thomas / Willy Schermann / Bruno Reiners / Peter Baus / Eliersch / Rechneck / Walluch / Koppe / Hametner / Peter. (Liste non exhaustive)
Le véritable chef des opérations est Herbert Schaad, sous-officier qui était interprète à la Kommandantur de Landerneau. Schaad n’est pas n’importe qui, c’est un intellectuel connaissant très bien la culture française. Avant-guerre il a même fait une thèse à la Sorbonne !
Afin d’accroître son efficacité, le Kommando s’appuie sur une douzaine d’agents et indicateurs locaux. Essentiellement des « Breiz Atao » issus du PNB, et surtout anciens proches de l’abbé Perrot, qui a été abattu cinq mois auparavant. Ce qui explique assurément leur volonté d’en découdre avec la Résistance. Il y a là André Geffroy, ami de l’abbé, qui avait réceptionné les armes allemandes débarquées en août 1939 sur la plage de Locquirec. Paul Le Reste, dentiste à Landerneau, chef d’arrondissement du PNB. René Le Hir, garagiste à Landerneau. René et Henri Caouissin, imprimeurs à Landerneau, fidèles de l'abbé. Enfin, et probablement le plus redoutable, Hervé Botros, de Lanmeur. Je ne citerai pas les indicateurs (trices), car ils ne semblent pas avoir participé aux opérations.
A ces nationalistes bretons, il convient d’ajouter deux autres jeunes agents, et non des moindres : Jean Corre, 21 ans, de Hanvec. Il avait rassemblé chez lui des revolvers et des cartouches dans l’intention de s’en servir contre les Allemands. Dénoncé, il est arrêté par Schaad le 1er mai 1944. Gabriel Poquet, 24 ans, de Quimper. Inspecteur de police stagiaire en 1942 à Calais, il quitte la police pour revenir à Quimper où il intègre la Résistance, membre du corps franc du groupe « Vengeance ». Dénoncé, il est arrêté par le Kommando le 8 mai 1944. Comment ces deux résistants ont-ils pu en arriver là ?
Voici ce que raconte Paul Le Reste (PV 14/9/44) : « Vers mars je crois, j’ai appris qu’une formation allait être constituée à Landerneau par la Division pour sa protection. J’y allais pour la première fois un soir en compagnie des deux frères Caouissin et de René Le Hir (…) Pendant nos discussions, Schaad allait et venait et obtenait des renseignements d’un prisonnier se trouvant dans le couloir. Ce prisonnier prétendait connaître la région de Daoulas et donnai son avis à Schaad. Celui-ci nous apprit alors qu’il s’agissait d’un homme dont le cas était très grave mais qui acceptait de travailler pour l’Allemagne. Quelques temps après, Schaad demanda s’il pouvait le faire rentrer. Je répondis que rien ne s’y opposait. A ce moment là, j’étais en discussion philosophique avec un sous-officier. C’est ainsi que je vis Jean Corre pour la première fois sans connaître son identité. A une remarque qui lui fut faite sur son changement de camp, il répondit que cela correspondait mieux à son idéal. Corre parti, le lieutenant me demanda ce que je pensais de lui, je répondis qu’il avait l’air d’être sincère (…) Un jour je vis un autre jeune homme avec Corre au Kommando. Il ne m’a pas été présenté mais j’ai appris que c’était un nommé « Gaby » de Quimper qui était dans la même situation que Corre. » Retournés, ces résistants vont bien évidemment donner les noms de leurs camarades.
Gabriel Poquet est formel (PV 7/12/44) : « J’ai connu Le Reste qui assistait aux réunions avec Le Hir, les frères Caouissin et Toullec, organisées dans un local du Kommando à la prison de Colleville. Tous ces autonomistes étaient armés de pistolets, portaient des papiers allemands, des laissez-passer de nuit. » Henri Toullec, 39 ans, charcutier à Landerneau, fait du commerce avec le Kommando : « Les 28 soldats qui s’y trouvaient avaient le droit de prendre de la marchandise chez moi. » A sa décharge, il faut reconnaître qu’il est intervenu en faveur de quelques résistants de Landerneau : Lizerin, Le Page, Lagadec, Bellon, les frères Begot.
D’après Jean Corre (PV 22/9/44) : « Tous ces hommes participaient activement à de nombreuses opérations du Kommando revêtus de l’uniforme allemand et armés. Poquet et Corre participent aux tortures à coups de cravaches. Deux fois par semaines Le Hir et Le Reste assistaient aux réunions du Kommando. Eux aussi portaient l’uniforme allemand régulièrement. C’étaient plutôt des agents de renseignement. »
Les opérations commencent le 25 avril avec la recherche de dépôts d’armes dans la région du Faou. Plusieurs dizaines d’arrestations, dont un résistant abattu.
Le 6 mai c’est à Saint-Evarzec, le jeune Jean Auffret arrêté et torturé, trainé dans la rue une corde au cou. Il sera déporté.
Le 21 mai, c’est l’affaire du patronage des « Gars d’Arvor » de Landerneau, le jeune François Pengam sera fusillé à Brest. Il y aura d’autres arrestations à Landerneau, à Carhaix, à Ploudalmézeau, Lesneven.
Le 11 juin, le Kommando se rend à Guémené-sur-Scorff, où il sévira pendant 3 semaines.
De retour début juillet à Landerneau, l’objectif est de retrouver le résistant qui a tué l’abbé Perrot. André Geffroy en fait une question d’honneur. L’expédition va se diriger vers trois objectifs : D’abord Bourbriac, ensuite Huelgoat et Scrignac.
Jean Corre (PV 30/11/44) : « Je dois préciser que quelques jours suivant mon arrestation, me trouvant dans la pièce voisine de celle où discutaient Le Hir, Le Reste et les Caouissin, j’avais entendu qu’ils signalaient à Schaad l’affaire Perrot exécuté à Scrignac et donnant des renseignements sur Stéphan et une autre personne demeurant à la Croix-Rouge en Scrignac. Ils donnèrent également le signalement de l’exécuteur de l’Abbé Perrot. Expédition de Bourbriac, Schaad nous chargea Le Hir et moi de vérifier à Bourbriac la présence des deux frères Plassard en nous faisant passer pour des résistants venant de la part de Simon qui les avait signalés. »
Schaad, Geffroy et Corre dirigent alors les opérations de Scrignac et Huelgoat : « Cette expédition eu lieu début juillet. Nous avons quitté Landerneau après avoir revêtu la tenue allemande vers 23 heures. En passant à Sizun une cinquantaine de parachutistes en renfort. L’opération débuta dans une ferme où l’on supposait que Stéphan se cachait. Une dizaine de maisons furent incendiées. L’opération se poursuit à Huelgoat. Arrestation de Louis Guillou, Antoine Aubry, Le Seach. Je reste à Huelgoat avec Le Reste. Les autres continuent vers Scrignac, 4 ou 5 arrestations dont Guyomarc’h, les frères Hennaf. Interrogées à Landerneau toutes ces personnes sont relâchées. » Pierre Caouissin participe à l’expédition de Scrignac et Huelgoat, il reconnaît avoir revêtu l’uniforme allemand avec Geoffroy, Botros, Corre à la recherche de l’assassin de l’abbé Perrot. Malgré tous ces efforts déployés, le Kommando ne mettra pas la main sur l’exécuteur de l’abbé Perrot.
Les opérations reprennent :
12 juillet, encerclement du maquis du Bot en Quimerc’h, un jeune maquisard abattu.
14 juillet, attaque du maquis de Saint-Méen, le Kommando incendie deux maisons au village de Kerougon. 8 jeunes maquisards plus le fermier qui les cachait sont retrouvés abattus dans la cour de la ferme de Kerougon-Vian.
Le 15 juillet, attaque du maquis de Scaër, qui fait 18 tués ou fusillés.
3 août, encerclement du maquis du Nivot en Lopérec, cinq morts.
Mais les Américains approchent. Le 6 août le Kommando se replie sur Brest puis entame une fuite pitoyable sur la presqu’île de Crozon où ils ont troqué leurs uniformes pour des vêtements civils et des faux papiers. Ils seront pratiquement tous arrêtés par les FFI.
Voilà, résumée, ce qu’a été l’itinéraire macabre de ce Kommando. Par ses exactions, il n’a rien a envier au Bezen Perrot : des centaines d’arrestations et de morts. En tous cas, cette histoire prouve que les confusions étaient possibles et qu’il n’y avait pas qu’au Bezen Perrot que l’on trouvait des autonomistes sous l’uniforme allemand, et capables d’interpeller leurs victimes dans la langue bretonne.
K.H.