Post Numéro: 29 de Kristian Hamon 29 Aoû 2009, 23:27
Revenons donc au sujet...
Cher Maquis Surcouf,
La tentation est grande de vouloir refaire les procès de l’épuration, surtout soixante cinq ans plus tard. J’ai toujours essayé de ne pas y succomber. Et ce n’est pourtant pas l’envie qui m’a manqué ! Si je vous affirme avoir consulté probablement un millier de dossiers d’instruction depuis dix ans, je ne pense pas me tromper beaucoup. Je ne parlerai pas des grands procès de Paris évidemment, n’ayant pas eu accès aux dossiers, mais de l’épuration « ordinaire » en province.
Comme vous le savez, il y a eu deux niveaux de jugements : Chambre civique pour les faits mineurs de collaboration, passibles en général d’une peine infamante comme l’indignité nationale. L’autre niveau : la Cour de Justice, concerne les cas plus graves (Ceux qui m’intéressent !) de collaboration aux côtés de l’occupant. Les peines sont plus lourdes : travaux forcés ou peine de mort. Après enquêtes et constitution d’un dossier, une commission mixte : magistrats et CLL ou CDL, décidait vers quelle juridiction envoyer les prévenus. Ces derniers pouvaient être en détention provisoire depuis plusieurs mois, le temps de l’instruction. Cette commission pouvait également décider de classer le dossier comme SS (Sans suite) ou NL (Non-lieu). S'il avait fallu juger tous les cas, nous y serions encore ! Évidemment ces camps de détention, comme les prisons étaient bondées.
Il est absolument nécessaire d’avoir toujours présent à l’esprit le contexte de l’époque. Sous peine d’anachronisme. Le pays, tout au moins en ce qui concerne ma paroisse (Désolé…), était totalement désorganisé, sinon entièrement détruit. Je peux vous assurer que les manuscrits et parchemins du Moyen Age conservés à la très belle bibliothèque municipale d’Avranches (Dont je recommande à tous la visite) sont en meilleur état que les documents de 1944. Le papier manquait cruellement ou était de mauvaise qualité (Acidité), on utilisait en abondance le verso de vieilles cartes militaires. Les machines à écrire sont rares, les rubans usés, cela en devient illisible pour le chercheur. Les moyens de communication sont réduits à leur plus simple expression, peu de voitures, pas d’essence, pas de téléphone. Comment dans ces conditions réaliser des enquêtes sérieuses ? Certains prévenus sont jugés alors que leurs victimes ou témoins à charge sont encore en détention en Allemagne ! On assistera d’ailleurs à un durcissement des peines lors du retour des camps des premiers déportés au printemps 45. Dans ces conditions, il est évident que bon nombre de « collabos » vont s’en tirer sans grands dommages. On en sait plus aujourd’hui, je parle pour moi, sur certains condamnés en recoupant plusieurs dossiers et à la lumière d’archives récentes, que les juges de l’époque. Tout cela donne effectivement une impression de procès « bâclés » comme vous dites. Mais les juges faisaient avec ce qu’ils avaient comme preuves. Il y a eu de graves erreurs, c’est évident, des lampistes ont payé pour d’autres. Mais, globalement, les peines étaient plutôt clémentes. Même imparfaite, cette justice était préférable à celle, plus expéditive, des exécutions de l’été 44 et son cortège lamentable de femmes tondues. Encore que parmi ces dernières, il faille distinguer les cas de liaisons amoureuses sincères, et que personne n’a le droit de juger, des femmes qui non seulement « couchaient » avec l’occupant mais en profitaient aussi pour dénoncer les résistants sur l’oreiller ! Et j'ai vu pas mal de dossiers de filles qui s'en sont bien tirées avec une coupe de cheveux. La période était très dure, comme toutes les sorties de guerre. Les passions exacerbées, les nerfs à vif après quatre années d'occupation, des résistants victimes des pires cruautés de la part des Allemands ou des milices. Cela ne coute pas cher de s'émouvoir aujourd'hui.
Pour conclure rapidement, j'en suis donc arrivé à la conclusion que je n'aurai pas aimé être juge en 1944.