Bonjour à tous !
Alors sur le principe, je suis d'accord avec la théorie que vous exposez les gars : Vichy n'a pas respecté la loi donc c'est illégal du point de vue du traitement du régime de Vichy dans l'Histoire. Mais je suis pointilleux (déformation professionnelle) et je demande toujours à mes étudiants de ne jamais dépasser la date du texte étudié dans un soucis méthodologique simple : nous ne sommes pas censés savoir ce qui va se passer ensuite. Et c'est là que l'on perçoit tout l'intérêt de l'évènement sans le voir avec le recul historique engagé que n'avaient pas les contemporains du fait.
Je vous demanderai donc de vous mettre des chapeaux, des redingotes, chaussures cirées et montre-gousset et de vous placer en 1940 dans la seconde après le vote de ces lois.... c'est bon la transformation est faite ?
Nous sommes bien d'accord, la IIIe République est quasi-morte et personne ne sait où l'on va.
Les lois constitutionnelles que tu viens de citer sont justes Daniel, mais dans le contexte de la IIIe République on est habitué à la lenteur des institutions et ce depuis le début. Rappelons que malgré la fondation de la République le 4 septembre 1870, les lois constitutionnelles ne seront fixées qu'en 1873 ! Toutes les lois, toute la procédure sous cette république et lente, exception faite de la gestion de la 1ère Guerre Mondiale (parfois illégale justement). Dans un contexte de panique politique tel que ce début de juillet 1940, il est parfaitement normal de confier des droits constitutionnels à un homme dit "providentiel" tel que Thiers en son temps (et Pétain n'attendait que ça, pas de débat là-dessus, c'est un fait admis) et personne n'est spécialement pressé de voir la forme du nouveau régime, en particulier le chef de l'Etat...
Le principe de légalité dans la prise du pouvoir ne peut donc du point de vue du droit constitutionnel, être remis en cause. Sauf !! si l'on souhaite, et l'on doit, tenir compte de tous les éléments et le second élément à prendre en compte est le vote hypothétique des parlementaires du Massilia.
Ce point a justement été traité par Eric Roussel, auteur d'un livre sur le sujet, au dernier colloque sur
"Le moment 1940" dont je parlais sur l'autre fil. Il rappela que ce départ avait reçu l'assentiment de Pétain dans l'hypothétique besoin d'une délégation du gouvernement en AFN sous la direction de Camille Chautemps. La composition de la délégation du Massilia a été elle-même orchestrée puisque Raphaël Alibert, homme de confiance de Pétain, appela Albert Lebrun alors que ce dernier allait monter à bord, pour le retenir. A bord, quasiment personne ne se douta d'une machination si l'on en croit Mendès-France dans
Liberté, liberté chérie sauf peut-être Mandel.
Dès que les accusations se soulevèrent contre ces parlementaires, Herriot et Jeanneney, Psts de la Chambre et du Sénat, les défendirent, Laval leur assurant que le départ du Massilia avait reçu l'assentiment du gouvernement et ils s'en contentèrent. Tout à été fait pour endormir les deux derniers représentants de la Nation puisqu'aveugles vis-à-vis de Pétain. Herriot disait même que Pétain était "Inodore et sans saveur" c'est dire si ils se doutaient de ses desseins !
Massilia orchestré, cela ne fait plus de doute néanmoins au vu du résultat du vote. Maintenant peut-on dire que le vote, si tant est que ce vote ait été en défaveur de Pétain, aurait inversé la tendance ? 26 députés et 1 sénateur certes en majorité radicaux et SFIO n'auraient pas fait pencher la balance. On peut aussi parler de l'absence des députés PC aussi. Il faudrait évaluer au cas par cas dans l'extrême avec la liste des parlementaires présents ou possiblement présents lors du
vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain mais je pense que l'on en reviendrait toujours au même point, ces pleins pouvoirs ont été votés régulièrement, comme le voulait la règle de l'Assemblée à l'époque, à la majorité des présents, et la majorité rassemblée n'aurait pas changé grand chose.
Dans la titulature utilisée, encore et toujours très vague, comme tous les textes constitutionnels de la IIIe République, laissant une large interprétation, les pleins pouvoirs sont confiés à Pétain qui doit faire une constitution qui sera ratifiée par la Nation et les Assemblées, et dans les faits ce dernier va entre guillemets "volontairement oublier" de faire la mission qui lui a été confiée par l'Assemblée, c'est illégal mais en 1940 même si dans les faits, ça peut paraître louche, ce n'est qu'irrégulier voir normal, car personne ne se méfie de Pétain, pas même les présidents des Chambres comme je l'ai dis. Il a berné tout le monde pour faire simple.
J'ajouterai enfin quelques mots de l'intervention d'Antoine Prost au même colloque que j'ai cité plus haut. Il parle, le mot est très bien trouvé, de
coup d'état légal dans son intervention sur le débat juridique autour de la mort de la République. Il présente quelques références à propos du principe de légalité qui peuvent nous aider à comprendre, notamment que tout gouvernement légal est légitime en droit positif (droit de fait) mais qu'en droit naturel, un gouvernement légal peut-être illégitime ou l'inverse. Il ajoute que les votes du 9 et du 10 juillet sont légaux puisque les deux chambres ont voté bien qu'il faille apporter une nuance à ce vote, certes à la majorité, mais pour les parlementaires présents il fallut
"choisir entre le hara kiri et l'exécution" comme dira un député. Enfin il est important de préciser que jusqu'au 10 juillet Albert Lebrun contresigne chaque BO, tout est donc légal dans la procédure, ce n'est que part la suite que l'illégalité pourrait être posée, à partir du 12 juillet, dès lors que Pétain se désigne un successeur et remet donc en cause le principe de la forme républicaine du gouvernement.
Le gouvernement de Vichy serait donc légal à sa constitution, son approbation par l'Assemblée, mais illégal dès lors que ses premiers décrets sont anticonstitutionnels d'un point de vue républicain.
Pour plus de grain à moudre, quelques détails sont fournis sur wikipédia à propos de la
loi constitutionnelle du 10 juillet 1940Amicalement