Tom a écrit:Tout d'abord, il est inexact (mais conforme à la propagande communiste de l'époque) d'affirmer que les résistants non communistes étaient tous des "attentistes" et que tous les communistes étaient passés à l'"action immédiate".
D'où les deux derniers mots de ma phrase, qui de toute évidence t'ont échappé :
"je résume". Je causais des
courants, non d'unités ou d'hommes
isolés. Et à ce titre, il est absolument incontestable que le premier courant résistant à être entré dans l'action violente n'est autre que celui des communistes, et que ces derniers l'ont parfaitement assumé.
Comme je l'ai déjà précisé sur un ancien "fil", non seulement de nombreux groupes francs et certains maquis de l'A.S., par exemple, se montraient très actifs tandis que beaucoup de F.T.P. restaient passifs, mais encore, en raison des conditions de terrain (manque d'armes, d'explosifs et même d'objectifs : régions vides d'Allemands !), la différence entre "attentisme" et "action immédiate" était surtout politique !
Précisément. Mais à quelle famille politique appartenait le tueur de la première victime allemande de la Résistance ?
Il faut également tenir compte d'un élément fondamental, quoique bizarrement oublié de tous : les dirigeants communistes français devaient également offrir des gages à Staline, montrer qu'ils étaient à la pointe du combat antifasciste.
Ensuite, si la "pratique des attentats" pouvait participer de la préparation militaire, elle n'en constituait qu'une petite partie et ce n'était certainement pas la raison principale pour laquelle le P.C.F. l'avait choisie.
Evidemment, mais la seule explication de la motivation politique est absolument insuffisante.
A ce propos, permets-moi de citer le colonel Jourdan-Joubert, seul officier rescapé des Glières :
[...] [Dans l'Armée secrète,] une discipline stricte s'imposait, car on ne forme pas des soldats sans discipline, je veux dire des soldats qui savent se battre et qui n'abandonnent pas leur poste. L'expérience a montré que seuls ont été capables de ne pas fuir, dans les moments critiques, ceux qui possédaient la technique et les réflexes que l'on acquiert par la discipline militaire ; les autres ont souvent abusé de la "mobilité" [...].
[Pour l'A.S.], la discipline [...] impliquait qu'on ne considérait pas comme des exploits guerriers honorables les coups de main sur les bureaux de tabac, les fromageries, les banques ou les saloirs des paysans dont on ne partageait pas les opinions. Elle exigeait surtout qu'on ne cherchât pas à calmer une turbulence naturelle par des opérations sans utilité et qu'on mît en balance le rendement de chaque intervention avec les inconvénients qui en résulteraient pour la population civile. [...] Elle imposait de retenir l'impatience des troupes qui aimaient s'occuper en coups de main sans danger après lesquels elles décrochaient une fois la grenade lancée ou l'explosif mis en place, pour leur inculquer le courage calme qui leur permettrait de participer à des opérations de plus grande envergure, les seules qui finalement compteraient pour la libération.
C'est là raisonner en militaire habitué à manier des régiments sur le champ de bataille. Mais la discipline théorique ne vaut jamais l'expérience acquise sur le terrain. La peur du danger, l'attente du coup de main, l'angoisse d'être pris, la nécessité d'organiser un bon système de fuite, autant d'éléments qui ne découlent que de la seule et unique
pratique.
Bref, un bleu sachant se tenir au garde à vous et manier un fusil restera toujours... un bleu, tandis que pour les deux ou trois jeunes débutants inexpérimentés qui font sauter un kiosque à journaux, l'opération sera toujours riche d'enseignements. Ils apprendront à maîtriser leur peur, à l'avenir, à mieux manier les explosifs dans l'urgence de la situation. Ils deviendront plus efficaces.
C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'ouvrage
Liquidez les traîtres de MM. Berlière & Liaigre : les premières actions violentes du "détachement Valmy" ont permis de déceler les erreurs commises dans le feu de l'action (malgré la formation clandestine des cadres à Moscou), ce qui lui permettra de les éviter à l'avenir. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il faudra des mois de filatures aux professionnels des R.G. pour faire tomber le réseau.
Certes, Henri Michel a accompli un énorme travail à la tête du Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, mais je doute qu'il fût en avance sur Paxton
Pour dissiper tes doutes, lis son
Vichy année 40, Robert Laffont, 1967 - ainsi que
Pétain, Laval, Darlan : trois politiques ?, Flammarion, 1972.
(sinon comment expliquer le choc que celui-ci a provoqué ?).
Eberhard Jäckel aussi était en avance sur Paxton, avec
La France dans l'Europe de Hitler (Fayard, 1968). Mais comme il arrive parfois, au cinéma comme en littérature, en science comme en Histoire, les travaux novateurs isolés ne sont pas appréciés à leur juste valeur - du moins, pas immédiatement.
De plus, il faut rappeler que, de 1950 à 1980, le Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale était rattaché aux services du Premier ministre et, après l'ouverture très partielle, en 1979, des archives publiques concernant la période postérieure au 10 juillet 1940, l'Institut d'histoire du temps présent, qui a succédé au Comité, dépend du Centre national de la recherche scientifique.
C'est là une vision partiale de la réalité.
Le CH2GM, créé en 1951 (pas 1950), avait pour objectif de pallier l'habituelle restriction d'accès aux archives nationales en collectant documents et témoignages sur la Résistance et la guerre mondiale, département par département, région par région, et en organisant ou patronnant divers travaux d'étude qu'il serait pertinent de rééditer. C'est d'ailleurs pour cette raison que le témoignage humain constituera la source principale de cette Histoire en gestation, sans pour autant être dispensé d'une analyse historique parfois très pointilleuse - il est arrivé que des historiens du CH2GM pratiquent de véritables interrogatoires dignes de cabinets d'instruction...
Cet organisme était rattaché à la Présidence du Conseil, mais il serait particulièrement malhonnête d'en faire un instrument vicieux de Matignon. En effet, il n'a jamais été dirigé ou gêné dans son travail par des interventions venues des hautes sphères du pouvoir - lesquelles avaient d'autres chats à fouetter, en Indochine puis en Algérie. Lorsque le Président Pompidou voudra mettre l'accent sur la nécessité de se concentrer davantage sur le présent aux dépends du passé, il se heurtera à la "résistance" du CH2GM, lequel au contraire continuera inlassablement ses travaux d'analyse et de collecte.
En 1978, l'heure était venue de diversifier les activités historiques du Comité. Ce dernier avait constitué un immense fonds documentaire. Les archives nationales devenaient davantage accessibles. L'Institut d'Histoire du Temps Présent, orienté vers l'Histoire du XXe siècle, naissait, non sans critiques émanant des anciens du CH2GM, qui se sentaient floués. L'indépendance statutaire de cette nouvelle institution était améliorée, puisque cette fois relevant du C.N.R.S.
Ainsi, les nouvelles perspectives, même contestées, proviennent souvent de chercheurs à l'étranger (Jäckel, Paxton, etc.) ou hors du sérail des historiens patentés (par ex. Chauvy...).
C'est là, à nouveau, une vision partiale et manifestement erronée de la réalité... Sans être un grand admirateur de la recherche française, je ne serais pas aussi tranché.
D'autant que je trouve l'argument curieux : c'est nouveau, donc c'est bon ?
Enfin, précisons à toutes fins utiles que le
"novateur" Chauvy a fini par perdre un procès en diffamation qui lui a été intenté par des Résistants contre l'une de ses "études objectives", outre qu'il est depuis passablement grillé chez les historiens sérieux.
Toujours dans la revue Esprit, n° 1, janvier 1994, "Que reste-t-il de la Résistance ?", page 19, "L'historisation de la Résistance", J.-P. Azéma et F. Bédarida notent que la production historique concernant la Résistance a longtemps été une hybridation entre la science et le mythe .
Et Eric Conan : La Résistance n'est pas seulement un épisode de l'histoire de France, mais avant tout un récit sacré, simpliflié, enjolivé - un mythe fondateur et indispensable - à partir duquel a pu se reconstruire l'identité nationale après la tourmente des années 1940 - 1945.
Tiens, mais ne s'agit-il pas là d'historiens patentés aux ordres du pouvoir ?
Peut-être n'y a-t-il pas eu d'histoire de la Résistance vraiment officielle, mais il y a eu (et il y a encore) une histoire mythifiée.
Des histoires, mythifiées ou non, au
pluriel ! L'Histoire de la Résistance s'est construite petit à petit, de même que celle, de par le monde, du second conflit mondial. Cette édification n'est pas allée sans rivalités. Les communistes, par exemple, et notamment l'historien Alain Guérin (auteur d'une
Chronique de la Résistance rééditée en 2001 chez Omnibus, en un volume), n'appréciaient guère le trop rigoureux Henri Michel et son CH2GM.