pierma a écrit:Si on regarde de près, la majorité des Malgré-Nous rentrent avant 47. J'en compte seulement 48 libérés après cette date, dont le malheureux Jean-Jacques Remetter, le seul et le dernier libéré en 55. On pourrait se demander ce qui lui a valu ce sort désolant, mais je pense qu'avec les Soviétiques il ne faut pas trop chercher. Peut-être se sont ils aperçu qu'ils avaient oublié un Alsacien dans la paperasserie du Goulag ?
Sa photo la valise à la main, accueilli par un journaliste alsacien, serre le coeur.
J'aime beaucoup ce mot allemand forgé pour la circonstance : "Spätheimkehrer". (En français, on ne sait pas faire !)
Les Alsaciens et Lorrains rentrés au pays à la fin de la guerre se comptent comme suit:
- 1.500 en juillet 1944, 3.200 en mai et juin 1945, 14.800 d'août 1945 à mai 1946, 1.600 de juin 1946 à novembre 1946, 237 de décembre 1946 à mai 1947 (sur ces Malgré-Nous libérés, plusieurs centaines sont en fait des Allemands, ou des soldats de la L.V.F.)
- en 1948, 18 retours seulement; 4 en 1949, 1 en 1950, 18 en 1951, 4 en 1952, 7 en 1953, aucun en 1954. Le dernier libéré, dernier des "Spätheimkehkrer" alsaciens et lorrains, Jean Jacques Remetter retourne chez lui à Strasbourg en 1955; il n’avait plus donné signe de vie depuis avril 1944... Les derniers prisonniers allemands – hors cas isolés- seront libérés en 1956 au terme des négociations de Konrad Adenauer.
Déjà, en alsacien et en allemand (!), le terme
Spätheimkehrer signifie, juste, "prisonnier de guerre (ayant pu
tardivement,
spät) retourné dans son village ou son pays (
Heim,
Heimat, en allemand, on est plus proche de la notion de terre natale ou de patrie).
Après, les chiffres que tu indiques, pour la période mai 1945-novembre 1947, concernent, essentiellement, les prisonniers du camp de Tambov, y compris la "curiosité" diplomatico-propagantiste des 1500 libérés de juillet 1944, à qui, compte-tenu du contexte de l'époque, l'armée française n'avait laissé guère le choix, quand ils étaient en bonne santé, entre s'engager dans ses rangs ou croupir dans un cul de basse-fosse, en attendant leur jugement! Les Rouges avaient bien pu leur filer un uniforme russe, pour rentrer en France, pour le vulgum pecus français, pris dans les affres de la Libération, ils n'étaient que des "suppôts" du III. Reich - çà, il convient de le garder en tête (!), d'autant que la population rurale alsacienne parlait, souvent, très mal le français! -.
Mais tous les Malgré-Nous et autres n'étaient pas parqués à Tambov (Camp 188). En 1946, le secrétaire d'état aux Anciens Combattants (et Prisonniers), un certain François Mitterand, avait fait publier par ses services, le
Répertoire des non-rentrés, établi par le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre, qui avait pour but d'essayer de les localiser, en faisant appel aux témoignages. Je l'ai eu en main, il était au format italien (plus large que haut), récapitulait les derniers cursus et affectations militaires connues et, quand, elle existait, une photo de l'intéressé remise par sa famille. (7 200 photos !). Il en existe, encore, des exemplaires, dans de nombreuses familles alsaciennes.
Sur une population de l'ordre de 1 800 000 âmes (Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin) dans les années 1940-1944, 130 000 "mâles" - il y avait eu, également, du recrutement d'office dans la population féminine, mais celui-là, on l'avait un peu vite oublié! - 62 000 bas-rhinois; 38 000 haut-rhinois et 30 000 mosellans avaient été incorporés dans la Wehrmacht (Heer, Waffen-SS, Kriegsmarine, Luftwaffe), dont 31 000 (24 200 alsaciens, 6770 lorrains) ne sont jamais rentrés et 10 500 familles (et leurs descendants) ignorent, encore, de nos jours, les conditions de leur disparition.
http://memoires.region-alsace.eu/Donnee ... he_IDF.pdfLes allemands, à qui il est difficile de reprocher, au moins jusqu'en décembre 1944, un manque d'organisation, sur le sujet, étaient infoutus de connaitre le sort exact de leurs "disparus" sur le Front Est, vu que l'URSS avait refusé de ratifier les conventions de Genève, qui régissaient la Croix-Rouge Internationale - décision qui avait eu des répercussions directes sur le sort des prisonniers russes, l'Allemagne s'étant, dès lors, considéré comme" non concernée" à leur sujet, au contraire des prisonniers d'autres nationalités -. A propos des prisonniers russes, sans mésestimer les ravages des conditions (très) précaires des camps allemands, il conviendrait, également, de prendre en compte l'épuration (physique) systématique qu'avait effectué l'Armée Rouge, lors de ses captures de
Hilfwillige, les auxiliaires, très majoritairement, russes, de l'armée allemande - leurs conditions de vie n'ayant, strictement, rien à voir avec celles des camps de prisonniers -. Par exemple, en février 1943, lors de la capitulation de 6. Armee, à Stalingrad, leur nombre était estimé à +/- 20 000 hommes... On n'en a plus aucune trace! Entre parenthèse, le sort des survivants russes des camps de prisonniers de guerre allemands n'avait, semble-t-il, été, guère, plus réjouissant, car, étant assimilés à des traitres ou des lâches, la plupart, une fois, "libérés", s'en étaient aller casser du caillou gelé en Sibérie.
... sur ces Malgré-Nous libérés, plusieurs centaines sont en fait des Allemands, ou des soldats de la L.V.F.)
Cà, les Russes, n'en avaient rien à secouer. Les alsaciens d'origine allemande et les volontaires de la LVF étaient, pour eux, des Français, le reste était de la salade interne franco-française. Cela dit, aucun homme, quelque ait été sa nationalité "officielle", qui avait appartenu à une unité qui avait été, clairement, identifiée pour avoir combattu face à l'Armée Rouge, n'était à la fête. Les Alliés, par exemple, selon un accord signé avec les russes, s'empresseront de leur réexpédier une part importante des troupes allemandes, refluant depuis l'est et qui avaient fait leur reddition, en mai 1945, côté Alliés.
Pierma, hier...
Et question qui suit logiquement : y a-t-il eu un moment où l'info a circulé parmi les Malgré-Nous, qu'ils pouvaient se rendre sans risque - ou disons, sans trop de risques... ?
Tous les rares récits que j'ai pu obtenir des témoins de l'époque confirment que le Frontovik russe, à l'instruction générale très souvent limitée, se posait rarement des questions sur la nationalité supposée de son adversaire en uniforme allemand et, encore, moins, quand il portait des distinctives de la Waffen-SS! Il tirait d'abord! La situation des "Malgré-Nous", sur le Front Est , s'était résumée, selon les propos de l'un d'entre eux, à ... "
Jamais devant, jamais derrière!"... Devant, il y avait, évidemment, le Russe, à la gâchette prompte, derrière, la Feldgendarmerie, qui ne rigolait pas avec tous ceux , qui, pour elle, ressemblaient, de près ou de loin, à des déserteurs ou des lâches! Donc, on restait, sagement, au milieu de ses "copains", d'autant que, alsacien, mosellan, bavarois, saxon, etc. l'esprit (naturel) de corps, qui a, toujours, été la règle dans l'armée allemande, était un élément essentiel pour ne pas s'y sentir "paumé" (à condition de vouloir, aussi, jouer le jeu). Tous les souvenirs que j'ai pu recueillir, au hasard des conversations, insistaient sur l'existence de ce comportement solidaire "frères de guerre" au sein des compagnies d'une même unité.