Hilarion écrit : "Merci Tom , je découvre énormément de choses, c'est la première fois que j'entends parler d'une police du maquis. Si quelqu'un a des informations sur des polices similaires dans d'autres régions de France il serait intéressant de croiser et d'étendre le débat à ce sujet."
St-Ex renchérit : "Oui, très intéressant, Daniel, pose la question à Roger sur cette "police du maquis". Jamais entendu parlé pour ma part (ni lu)."
Eléments pour la Haute-Savoie :
De nombreux ruraux se plaignaient des exactions commises par des bandes incontrôlées, souvent au nom de la Résistance, ce qui nuisait à la réputation de celle-ci et alimentait la propagande du gouvernement de Vichy, à tel point que l'AS et les FTP ont dû mettre sur pied des groupes spécialement chargés de poursuivre les faux maquisards ou les maquisards indélicats, bref une "police du maquis".
L'une de ces bandes, peut-être la plus fameuse, puisqu'elle a rançonné et maltraité de nombreux paysans avant d'enlever et d'exécuter des canadiennes, a échappé au châtiment de la "police du maquis" en se plaçant sous la bannière des FTP, puis en se faisant accepter par Tom Morel (AS) au sein du bataillon des Glières (AS + FTP) où elle a constitué une section, laquelle, bien retranchée dans les rochers, a repoussé une reconnaissance offensive allemande au matin du 26 mars 1944 (quoique d'aucuns prétendent que certains membres auraient déserté avant l'assaut germanique...) !
En ce qui concerne la "police du maquis" contre les "bandes incontrôlées" en Haute-Savoie, je me permets de citer, par exemple, l'historien Alain Dalotel qui rapporte les résultats d'une investigation personnelle dans Le maquis des Glières (Plon, 1992), p. 113 et suiv. + notes :
Tous les anciens maquisards que j'ai pu interroger au cours de mon enquête, de quelque bord qu'ils aient été, m'ont dit qu'il y avait effectivement, dans les maquis, d'authentiques "salopards", des truands, ou bien des gens à qui la vie clandestine propre au maquis avait tourné la tête. Les FTP imprimeront des affiches mettant en garde contre les bandes incontrôlées. (...) Leur "police du maquis", comme celle de l'AS, cherchera à mettre hors d'état de nuire les faux maquisards (voir, entre autres, les archives de l'Institut d'histoire du temps présent ainsi que les journaux communistes France d'abord et Les Allobroges).
Du côté de l'AS aussi, on reconnaît qu'il y avait en Haute-Savoie des "bandes" plus que douteuses qui pouvaient sévir dans les campagnes et les montagnes en rançonnant les paysans pour faire du "marché noir". Humbert Clair (le capitaine du 27e BCA, chef de l'AS de Haute-Savoie à partir du début février 1944) m'a expliqué que, dans son secteur, la "police du maquis" de l'AS avait procédé à une certaine épuration. Lorsqu'il s'agissait de "gros gibier", cela pouvait être expéditif, car Henri Plantaz, qui s'en occupait (avec une vingtaine d'hommes), ne plaisantait pas. Le journal clandestin Combat de décembre 1943 signale ainsi l'élimination de la bande d'Entremont "pour l'honneur du maquis". Le chef, un doriotiste, repéré par la "police du maquis", est exécuté le 10 octobre au Petit-Bornand. La "police du maquis" était redoutée, comme me l'a indiqué en 1988 un rescapé des Glières qui en faisait partie : "Quand on entrait dans les bistrots et qu'on demandait leurs papiers d'identité aux gens - il y en avait beaucoup de suspects - je vous garantis qu'ils ne mettaient pas longtemps pour les sortir !"
(...) Et puis, il faut bien le dire, il y avait aussi les inévitables dérapages dus au fait que des jeunes gens à la tête un peu chaude se retrouvaient avec une arme au poing. (...) Mais, à d'autres endroits, des bandes incontrôlées garderont leur autonomie jusqu'à la Libération. Certains documents, aux archives de la Guerre, font état de ces formations de pillards. Ils nous permettent de penser que ce phénomène avait une certaine importance et gênait aussi bien l'AS que les FTP.
Certains témoins des FTP m'ont confirmé qu'il y avait effectivement des voyous dans le maquis. Quelques formations proches des FTP ont aussi une mauvaise réputation chez les anciens de l'AS, comme la Patrouille blanche, la Brigade rouge internationale (...). Au Petit-Bornand, le camp FTP Liberté chérie n'avait pas bonne presse auprès de l'AS et d'une bonne partie de la population. Aujourd'hui encore, beaucoup des témoins que j'ai pu rencontrer restent fidèles à leur opinion de l'époque et parlent de ce groupe comme ayant fait régner la terreur dans les environs du Petit-Bornand.
Voici également le témoignage du capitaine Clair (ancien officier du 27e BCA et chef de l'AS en Haute-Savoie) reçu par Alain Dalotel en 1983 :
Il y avait pas mal d'éléments tout à fait incontrôlés et incontrôlables. Alors, j'avais un groupe qu'on appelait "police du maquis". C'était Henri Plantaz qui commandait ça. Il y avait une vingtaine de types qui étaient utilisés essentiellement pour faire la chasse à tous ces faux maquisards. C'était extrêmement facile pour ces faux maquisards à l'époque, la police n'y pouvait pas grand-chose. Mais, en général, la police locale, surtout la gendarmerie, nous était plutôt favorable. Alors, dès qu'il y avait un coup quelque part, une fruitière (nom donnée à une fromagerie en Savoie, NDLR) pillée par exemple, ils se disaient : "Est-ce que c'est une réquisition de l'AS ? Est-ce que c'est un pillage de marché noir ?" Ils ne savaient pas trop, mais nous, nous le savions. Alors on s'occupait de la question bien plus efficacement qu'eux. Mon Henri Plantaz ne faisait pas de détail et il a épuré assez rapidement la région. Il n'y a plus eu trop d'histoires. (...)
Très souvent, on avait passé des accords avec les gendarmes locaux et même avec les gardes mobiles. Eux, ils ne savaient pas trop où aller. Nous, quand c'était une histoire grave, on s'en occupait. On n'avait pas besoin d'eux. Mais on n'avait pas d'autres sanctions que l'exécution du bonhomme. Quand c'était un petit délit de rien du tout, c'était tout de même un peu beaucoup, hein ? Alors, à ce moment-là, on signalait aux gendarmes les plus proches qu'on avait deux ou trois types à leur disposition, on prenait rendez-vous. Après une embuscade sur la route, on emmenait les prisonniers dûment encadrés. Les gendarmes arrivaient, le mousqueton en l'air, la garde de l'AS fichait le camp en laissant les prisonniers au milieu de la route. Les gendarmes les ramassaient et c'était une prise pour eux. Tout le monde y gagnait : l'AS, les gendarmes et les types aussi parce que, au maximum, (...) ils étaient internés pour marché noir.