Pour mémoire, Darlan, dans un courrier privé du 4 avril 1930, avait qualifié les accords navals signés à Washington en 1922, de "sinistre comédie"!
Mais tentons d'y voir clair ...
Comme le prévoyait le traité naval de 1922, à l’échéance de la huitième année, les puissances signataires étaient invitées à se réunir, cette fois-ci à Londres, pour convenir des éventuelles corrections à apporter aux termes du traité, compte-tenu des évolutions techniques. Le premier traité de Londres, est ratifié, après 9 mois de concertations, le 27 octobre 1930 et traite, plus particulièrement, des porte-avions et des sous-marins. Les limites, établies en 1922, pour le déplacement standard et le calibre principal des cuirassés sont reconduites in extenso. La Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le Japon s’engagent, de nouveau, à désarmer une série de bâtiments ; une aimable « tartufferie » qui consiste à officialiser la mise au rencart de « vieilles dames hors d’âge », construites en 1912 et commissionnées en 1914. La France et l’Italie, qui différeront la ratification du document final, n’ayant toujours pas usé de leurs droits de mise en chantier de 1927 & 1929, sont autorisées, chacune, à construire deux unités de 35 000 tons – suite au naufrage du cuirassé France, en août 1922 (!), la marine française se voit, également, accorder le lancement d’un troisième bâtiment - tandis que les autres signataires s’engagent à ne construire aucun nouveau navire de ligne, entre 1931 et 1936, année-butoir du Traité de Washington.
Un accord naval anglo-allemand du 18 juin 1935 qui permettra le réarmement allemand.
En usant habilement des inclinations pro-germaniques du gouvernement britannique en place et des vieilles rivalités qui sévissent toujours entre Royal Navy et Marine Nationale Française, l'Allemagne obtient, le 18 juin 1935, avec la bénédiction des Etats-Unis, parfaitement indifférents aux affres européennes, la ratification d’un accord séparé qui lui garantit un tonnage permanent égal à 35% de celui du Royaume-Uni - accessoirement de 45% pour le tonnage des sous-marins, alors même que le traité original de Washington, en 1922, n’en accordait que 33% à la France et l’Italie ! -. Dans l’esprit britannique, l’accord bilatéral anglo-allemand de Londres est sensé favoriser la détente dans un contexte militaire européen quelque peu tendu mais, ipso facto, il abroge purement et simplement le Traité de Versailles, au grand dam de la France. L’Allemagne, assurée de l’issue favorable du traité, a anticipée, dès le mois de mai, en mettant en chantier deux cuirassés de la classe 26 500 tonnes, le Gneisenau et le Scharnhorst.
La France y répond, le 22 octobre 1935, par la mise en construction du Richelieu, son premier cuirassé de la classe 35 000 tons, retardée, jusque là, faute d’infrastructures adaptées et, accessoirement, par soucis budgétaires. Au cours des études, les français ont rapidement constaté- ils ne seront pas les seuls ! – que le respect d’un déplacement standard de 35 000 tons et d’un calibre d’artillerie principale de 406 (16’’) frise la quadrature du cercle; le constat reste tout aussi définitif avec un armement pourtant limité au calibre 15’’ (380 mm), retenu par la Marine Nationale. Depuis 1920, le pouvoir de pénétration des munitions navales qui s’est encore amélioré, et l’aviation embarquée, devenue une réelle menace pour les navires de ligne, exigent une protection adaptée qui vient lourdement grever le déplacement des navires. Même en regroupant l’artillerie principale, en 2 tourelles quadruples, à l’avant du bâtiment, selon une disposition assez proche de celle adoptée par les Britanniques pour leur classe Nelson - solution qui a l’avantage de réduire la longueur de la ceinture cuirassée mais prive le bâtiment, en retraite, d’artillerie principale -, l’exigence d’un rapport longueur/largeur suffisant pour atteindre la vitesse de 30 nœuds implique, nécessairement, un dépassement de tonnage.
Le traité de Londres du 22 mars 1936 qui limite le calibre des cuirassés à construire au 356 mm et les porte avions à 23 000 t
Conformément au calendrier, un an avant l’échéance du Traité de Washington, le 9 décembre 1935, les cinq signataires se réunissent à Londres. Bien entendu, l’Allemagne n’y est pas conviée même en tant qu’observateur, les français s’y étant opposés, mais, par le biais de l’accord naval, signé six mois plus tôt, elle est directement concernée par les réductions de tonnage ou de calibre que viendrait à accepter la Grande-Bretagne. La France, l’Italie et le Japon s’y rendent en trainant les pieds et les dissensions ne tardent pas à se révéler au grand jour. Dès le 15 janvier, le Japon, constatant que son quota de tonnages reste définitivement indexé sur ceux des USA et du Royaume-Uni, se retire des négociations. Pour des raisons toujours inexpliquées, les Britanniques proposent de limiter le déplacement standard du capital-ship à 25 000 tons et le calibre de son artillerie principale à 12’’ (305 mm), alors qu’ils ont sous le coude le programme de la classe King Georges V, 35 000 tons et 14’’, mise en chantier 6 mois plus tard ! Une fois n’est pas coutume, la proposition déchaine l’unanimité contre elle. Le 27 février 1936, l’Italie annonce qu’elle ne ratifiera pas le nouveau traité.
Le texte définitif du 25 mars 1936 conserve la limite des 35 000 tons mais réduit, cependant, le calibre maximal à 14’’ (356 mm). Les clauses complémentaires, ayant tendance à stipuler une chose et son contraire, autorisent la France et l’Italie à mener à terme leurs chantiers en cours, malgré un calibre supérieur. En dernier ressort, l’Article 26 autorise les signataires à se libérer «provisoirement » des contraintes stipulées s’ils considèrent que la sécurité de leur nation est menacée et, dans l’éventualité où une majorité se révèlerait opposée à ces nouvelles limitations – sous-entendus, le Japon, la France et l’Italie – celles du traité initial serviraient automatiquement de référence, à savoir, l’impossible conjonction des 35 000 tons et du calibre maximal de 406 mm ! Le second traité de Londres est sensé prendre effet au 1er janvier 1937 … avec une date-butoir au 1er juillet et une période d’application courant jusqu’au 31 décembre 1942.
Le 25 juin 1936, le Japon dénonce officiellement le traité de Washington ; de toute manière, le calibre de 460 mm qu’il prévoit d’utiliser pour son programme de 4 cuirassés de la classe Yamato, qui débutera en novembre 1937, le met d’office hors limites. Le 1er juillet et le 20 octobre, l’Allemagne met, respectivement, en chantier les cuirassés Bismarck & Tirpitz. Malgré un déplacement officiellement annoncé pour 35 000 tons, leur déplacement standard de 41 000 tonnes est, en réalité, très proche de celui du Richelieu ou de la classe Littorio ; leur armement de 8 canons de 38 cm les met, en théorie, hors des nouvelles limites du traité mais, à ces dates, celui-ci n’est toujours pas en vigueur ; il en est de même pour le Jean Bart, sister-ship du Richelieu, dont la quille est posée le 12 décembre 1936. Les britanniques, qui ont du bien s’amuser en proposant de ramener les limites à 25 000 tons & 12’’, mettent en chantier entre le 1er janvier et le 1er juillet 1937, les cinq cuirassés de la classe King Georges V – leurs premiers navires de ligne construits depuis 1922 ! -. S’ils satisfont aux limites fixées en mars 1936 pour l’artillerie, avec trois tourelles au calibre de 14’’ (356 mm), leur déplacement standard de 36 727 tonnes, même converti en tons, reste, désespérément, supérieur au tonnage limite autorisé, prouvant, si c’était nécessaire, que les meilleures intentions ne sont pas toujours compatibles avec les contraintes techniques. Les Etats-Unis, qui, eux-aussi, n’ont plus effectué de mise en chantier depuis 1920, mettent sur cale, le 27 octobre 1937, le North Carolina, première de deux unités de la classe 35 000 tons et se retrouvent confrontés aux mêmes difficultés, d’autant que le calibre retenu pour les trois tourelles triples est de 406 mm.
Il y a une tentative d"accord en 1938 qui n'a jamais été appliquée.
En 1938, l’essentiel des flottes de ligne américaines et britanniques a, dorénavant, atteint ou dépassé les vingt ans de limite d’âge et exige de nouvelles mises en chantier. Le temps des aimables rêveries s’achève et les amirautés renouent avec la réalité. Le respect du tonnage standard maximal autorisé s’est avéré une douce utopie et ses limites doivent impérativement être revues à la hausse. En avril 1938, les USA, la Grande-Bretagne & la France se réunissent une nouvelle fois. Les britanniques proposent 40 000 tons, déplacement qui correspond, fort curieusement, à celui des deux bâtiments de la classe Lion, armés de 9 x 16’’ (406 mm), qu’ils se préparent à mettre en chantier. Américains et français, conscients qu’une augmentation de 5 000 tons n’aurait qu’une validité temporaire et nécessiterait de nouvelles négociations avant l’échéance 1942, souhaitent fixer, une bonne fois pour toute, la limite du tonnage standard à 45 000 tons, d’autant que l’US Navy ne peut rester les bras croisés tandis que la marine japonaise, déliée des traités, a entrepris, depuis novembre 1937, la mise en chantier de la classe Yamato.
Le 30 juin 1938, un nouveau et ultime protocole actualise le second traité naval de Londres en portant la limite du déplacement à 45 000 tons et en revenant au calibre maximal de 16’’, retenu dès 1922. L’Italie, absente des négociations, accepte, en juillet, de ratifier le protocole ; ce sera sa dernière participation à un accord entre anciens alliés de 1914-1918 car son soutien actif aux forces franquistes, au côté de l’Allemagne, lors de la Guerre d’Espagne, a favorisé un nouvel axe d’alliance en Rome et Berlin. Dans un ultime élan vertueux, le gouvernement britannique va s’efforcer d’inciter les autres nations européennes à respecter la limite de 40 000 tons, qu’elle-même s’est imposée, mais échoue, sans grande surprise, dans sa tentative de convaincre l’Allemagne, en décembre 1938, qui dénoncera, le 28 avril 1939, l’accord naval anglo-allemand, pour signer, d’abord, avec l’Italie, le 22 mai, un accord militaire d’assistance mutuelle et, le 22 août, à quelques jours du déclenchements des opérations contre la Pologne, le traité de non-agression avec l’URSS.
Dès lors, il n’est plus question d’une quelconque limitation, les Etats-Unis mettent, successivement, en chantier, entre juillet 1939 & février 1940, les 4 cuirassés de la classe Dakota et, entre juin 1940 & janvier 1941, 4 des 6 unités de la classe Yowa, tandis que la Grande-Bretagne met sur cale, en juin et juillet 1939, les deux bâtiments de la classe Lion. Néanmoins, hormis l’US Navy, qui bénéficiera d’un sursis jusqu’en décembre 1941, les flottes occidentales, notamment celles de la Grande-Bretagne et de la France, entreront en guerre avec des navires de ligne qui, pour la plupart, sont des vétérans du Premier conflit mondial ! Un résultat inattendu des traités de « désarmement naval ».