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Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

De l'assaut sur Dakar à la bataille d'El Alamein, les combats en Méditerranée. Opération Torch et la suite logique avec le débarquement en Sicile et les affrontements dans la péninsule italienne. Anzio, Monte Cassino, le Garigliano...
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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 21  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 07 Fév 2012, 13:03

Bonjour à toutes et à tous,
Je demanderais à tout le monde de bien vouloir débattre sereinement.
Le sujet - que je connais très mal par ailleurs - est très pointu et il me semble que toutes les opinions doivent être prises en considération.
Grand merci pour votre compréhension.
Prosper ;)
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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 22  Nouveau message de lebel  Nouveau message 07 Fév 2012, 14:19

Je ne fais pas d'amalgame avec toute l' Armée d' Afrique , je parle de la quasi totalité de ses chefs et de militaires, foncièrement hostiles aux anglais et aux gaullistes ........en mettant dans le même sac les americains !
L'exemple de Tunis est probant , où l'armée , mue par le même esprit , n'opposa aucune resistance au debarquement des forces de l' Axe ..........fort à parier qu'il en aurait été de même , au Maroc et en Algerie , si les allemands avaient devancé les Alliés
Elle a rallié les anglo americains parcequ'elle n'avait plus d'autre choix et que , Dame , il fallait mieux être du coté du manche !
Par pragmatisme De Gaulle , aprés avoir éliminé les elements les plus compromis , ne sera pas trop sourcilleux sur les antecedents des autres chefs , notamment Juin , son condisciple à ST Cyr
Qu'elle se soit bien battu ulterieurement , avec d'autres concours , notamment celui des Français Libres , c'etait bien le moins qu' elle pouvait faire :)


 

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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 23  Nouveau message de brehon  Nouveau message 07 Fév 2012, 14:35

Bonjour Michel,
carnoy456 a écrit:(est-il à classer vraiment dans la hiérarchie ???)
Lorsque je parle du commandement, je fais référence aux généraux et aux amiraux. Les autres ne faisaient qu'obéir aux ordres.
Ton père a été blessé par les américains qui se défendaient suite aux conséquenses des ordres donnés par ses chefs. Le ressentiment, il aurait dû l'avoir envers ceux qui lui ont donné l'ordre de résister aux libérateurs. C'est mon point de vue que tu n'est pas obligé de partager.
Et encore ton père a-t-il eu la "chance", donc l'honneur de pouvoir combattre ensuite les allemands. Par contre il en est certains, en particulier dans la Marine, dont le seul combat aura été livré contre des américains. Et ils n'en veulent pas aux américains mais à ceux qui leur ont donné l'ordre de résister.
carnoy456 a écrit:Il serait bon, pour chacun de nos lecteurs, de ne pas contribuer à faire l'amalgame avec l'ENSEMBLE de l'"Armée d'Afrique"

Pour moi, l'amalgame a été fait par celui qui a écrit ceci:
carnoy456 a écrit: faire évoluer des soldats plutôt "vichystes" à l'origine, d'une attitude antiaméricaine vers une attitude résolument antiallemande.
Cordialement.
Yvonnick

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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 24  Nouveau message de mark135  Nouveau message 07 Fév 2012, 14:59

:roll: Je vous trouve un peu excessif M.Lebel les gens sont bien souvent ni tout blanc, ni tout noir mais plutôt gris, c'était une époque de grande
incertitude, Alger a été le centre de tractations à tous les niveaux, notamment les Américains qui après avoir traité avec Darlan, privilégiait Giraud à De Gaulle. Il y a eu aussi l'épisode du Comte de Paris et bien d'autres encore, les alliés Anglo-Américains ont agit avec ce qu'ils avaient sous la main. Leur erreur et de ne pas avoir débarqué aussi en Tunisie, mais on ne peut pas refaire l'histoire. L'armée française d'Afrique n'avait pas les moyens de résister ni aux Anglo-Américains ni aux troupes de l'Axe, c'est un fait.
Ici nous sommes sur un forum de discussion, pas de persuasion chacun est libre d'exprimer son point de vue en respectant les opinions d'autrui, sans pour autant faire l'apologie de quiconque. Nous essayons de comprendre certains évènements très complexes. Et nous sommes loin de tout savoir. C'est un point de vue. Restons serein et analytique.

Cordialement* ;)


 

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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 25  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 07 Fév 2012, 15:42

Bonjour Léon,
Est-ce que tu as été lire ma contribution, juste avant la tienne?
Si pas, je t'invite de le faire;
Si oui, alors c'est malheureux car tu ne tiens pas compte de ce que j'ai écris.
Je connais très peu le sujet, mais je sais qu'il est sensible.
Tu as connu la période concernée en étant gamin en Algérie, mais ce n'est pas une raison de vouloir imposer tes vues à tout le monde.
Chacun à le droit de venir exprimer ses opinions, y compris toi, mais j'estime que chacun (et là j'y inclus tout le monde) à le devoir de rester objectif et impartial. Je ne crois pas opportun d'inclure des expériences personnelles (vécues directement ou indirectement) dans les débats, car en faisant de la sorte, on ne peut rester objectif.
Je l'ai dis et je le redis, c'est un sujet sensible mais très intéressant.
Faites - je m'adresse à tous les participants - en sorte que je ne doive pas me sentir obligé de verrouiller ce fil.
Merci
Prosper :|
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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 26  Nouveau message de Vincent Dupont  Nouveau message 07 Fév 2012, 15:45

Bien Prosper, nous nous efforçons de rester calmes et argumentés dans ce débat.

brehon a écrit:Pour moi, l'amalgame a été fait par celui qui a écrit ceci:
carnoy456 a écrit: faire évoluer des soldats plutôt "vichystes" à l'origine, d'une attitude antiaméricaine vers une attitude résolument antiallemande.

Sur ce point il faut rétablir les faits : les soldats de l'armée d'Afrique sont maréchalistes (à de rares exceptions prêts, comme le RICM de recrutement plus jeune et à l'esprit plus "reprise du combat" insufflé par son chef de corps. Même au sein du 29e RTA du Col Baril sur lequel s’appuiera Mast à Alger il y a des éléments maréchalistes), ils croient que le maréchal donnera tôt ou tard le signal de la reprise du combat. Nous en avons déjà parlé, avec le recul de l'Histoire on peut penser qu'ils étaient dans l'erreur mais à l'époque, avec le cadre général de l'Armée d'Afrique, avec des officiers fidèles au régime, on peut comprendre leur erreur.

Quant à leur attitude, à défaut d'être antiaméricaine elle est anti-britannique, à plusieurs niveaux cependant, car dans la marine c'est sans doute le plus élevé nous le savons, depuis Mers el Kébir. L'antiaméricanisme que tu abordes est ensuite, à mon sens, à développer : dans ton cas Carnoy tu fais mention d'un antiaméricanisme sous forme de reliquat (justifié, moi non plus je n'aimerai pas trop le souvenir de quelqu'un qui me tire dessus) après les combats. Est-tu sûr que cet antiaméricanisme était présent avant ? Je parle dans les troupes du Maroc dans le cas présent. Dans les rapports et récits lus aux archives, mais aussi dans les mémoires des acteurs (Mast, Béthouart, Magnan parmi d'autres) on ne trouve pas cet antiaméricanisme, et dans ceux qui ont combattu non plus, juste le sentiment d'avoir du faire leur devoir.
Je reprends l'exemple de Fédala où l'ordre avait été donné de ne pas tirer puis de tirer. Certes l'ordre avait changé, il fallait l'exécuter, mais les soldats murmurèrent, ne comprenant pas pourquoi. On trouve aussi des cas (illustré grossièrement dans The Big Red One) où la troupe hésite longuement à tirer, et où il faut que les officiers supérieurs menacent, galvanisent leurs hommes pour qu'ils tirent. Psychologiquement on perçoit donc qu'instinctivement la troupe n'a pas envie de tirer sur les hommes en face d'eux sur ces plages, donc les taxer d'antiaméricanisme est prématuré je pense.
Par ailleurs un détail pour la population, la troupe, et leur vie de tout les jours est à prendre en compte au passage : les Etats-Unis se sont débrouillé pour fourni du ravitaillement et des biens de première nécessité à l'AFN après 1940, puisque coupée en partie des grandes usines d'ustensiles ménagers et autres de la métropole française. Dans un sentiment premier l'on a pas spécialement envie de mordre la main qui nous nourrie (pardonnez l'expression)

Quant à l'attitude anti-allemande elle est à mon sens latente, surtout chez cette armée d'Afrique qui n'a pas eut à éprouver la défaite. Mais qui peut aussi s'y complaire cependant, je ne le nie pas. Quoi qu'il en soit les faits montrent que rien que les commissions d'armistice n'étaient pas vraiment tolérées au Maroc et en Algérie, et tout était fait au niveau de l'armée et de la police pour les contrarier (coupures d’électricité, écoutes, micros, collaboration horizontale surveillée) donc si les ordres avaient été d'attaquer les allemands ils auraient été accueillis avec plaisir, preuve en est l'empressement qu'on eu les hommes du RICM à Casablanca, aux cotés des résistants civils, à aller arrêter les membres de la Commission d'armistice allemande dans leur lit. La Tunisie est à considérer à part, car non seulement militairement toujours craintive d'une occupation italienne, ce depuis 1940, elle avait à sa tête des officiers généraux et amiraux très fidèles à Vichy donc incapables de donner un ordre de résistance face à l'Axe.

Amicalement ;)
Vincent
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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 27  Nouveau message de Francis Deleu  Nouveau message 07 Fév 2012, 16:17

Bonjour,

Pour détendre l'atmosphère et avant le verrouillage fatal, rien ne vaut quelques anecdotes plaisantes. Celle ci-dessous, relatée par le général de Guillebon, illustre, mieux qu'un long discours, l'état d'esprit régnant entre les soldats de l'Armée d'Afrique et ceux de la France Libre. Lorsque les Français libres rejoignent l'Afrique du Nord, à leur grande désillusion, ils y sont accueillis avec hostilité par les troupes pétaino-giraudistes. Fin 1943, après la campagne de Tunisie, la 2e DB se formait péniblement au Maroc. Les incidents entre "moustachis" [*] et Français libres étaient monnaie courante. Un beau soir, deux soldats de Leclerc en goguette, n'ayant pas salué dans la rue deux officiers, élèves du cours d'Etat-Major de Rabat, on en vint aux invectives et puis aux coups. Le colonel qui commandait le cours demanda au général Leclerc d'expliquer l'incident devant les officiers du cours légitimement choqués par ce manque d'égards. On se doute qu'il était dans l'intention de ce colonel d'embarrasser Leclerc.
Devant un auditoire hostile, le discours de Leclerc tel que le relate de Guillebon:

Messieurs, un acte d'indiscipline très grave a été commis par deux de mes hommes envers deux d'entre vous. Je viens vous dire qui sont ces soldats et ce qu'ils ont fait pendant que vous, officiers de carrière, attendiez tranquillement en famille que d'autres se battent pour la France.
Ces hommes ont été volontaires en Norvège. Ils ont été volontaires en juin 1940 pour continuer la lutte qu'ils ont menée victorieusement depuis l'Egypte jusqu'à Tunis. Quand, au lendemain de leur victoire, après un long exil, ces hommes sont enfin arrivés chez eux, dans cette Afrique du Nord française, quand ils avaient affaire dans un de vos bureaux, que voyaient-ils au-dessus de la tête de l'officier français qui n'avait rien fait et qui souvent leur manifestait de l'hostilité? Que voyaient-ils? Le portrait du maréchal Pétain! Eh bien, messieurs! pour mes hommes, Pétain c'est Bazaine !

Une autre anecdote relatée par Jean Planchais, Une histoire politique de l'Armée.

La campagne de Tunisie est à peine terminée que déjà le clivage entre les FFL et l'Armée d'Afrique se creuse à nouveau. Pour célébrer la victoire, il est hors de question que les Français Libres, appartenant à la division Koenig, défilent avec le 19e Corps d'Armée c'est-à-dire l'Armée de Giraud.
C'est ainsi que 20 mai 1943, dans Tunis reconquise, on verra défiler deux armées françaises :

D'une part, avec les unités de "Monty", mais bien détachés avec leurs insignes à croix de Lorraine, une vingtaine de véhicules montés par des hommes en short et en chemise à manches courtes, coiffés de calots aux couleurs vives, les Français libres. Ils portaient haut, comme Larminat lui-même, le panache de l'aventure. Ils étaient insolents: de mauvais élèves triomphants.
Les "bons élèves", eux, étaient dix mille, en capote kaki, coiffés de la vieille bourguignotte "armés, dit Larminat, d'un lugubre Lebel Modèle 1886 [**] à baïonnette, style canne à pêche ". Parmi eux, beaucoup de Nord-Africains. Ils venaient de se battre dans la boue des djebels avec un armement désuet, un règlement antique. Pour leurs chefs, le fait que les "aventuriers" FFL aient refusé de "prendre la file" derrière les vieux régiments, était la plus insupportable des provocations, le triomphe de l'indiscipline, un rappel injurieux de leur défaite de 1940, de leurs incertitudes, de leur inaction pendant deux ans et demi.

Ce croquis, s'il ne fera pas l'unanimité, illustre bien la différence de style - de discipline ? - entre deux armées qui pourtant combattirent côte à côte, avec autant d'ardeur l'une que l'autre.

Cordialement,
Francis.

[*] Moustachis : sobriquet que les Forces Françaises Libres donnaient aux soldats de l'Armée d'Afrique restés fidèles à Vichy et qui se reconnaissaient sous l'autorité du général Giraud. "Moustachis"? Par référence aux moustaches d'un autre âge qui affublaient le général Giraud et qui lui donnaient si belle prestance

[**] rien à voir avec notre ami Léon :D


 

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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 28  Nouveau message de Vincent Dupont  Nouveau message 07 Fév 2012, 16:54

Merci Francis !!! Tu nous montres combien était différente la manière d'obéir, le sens de l'obéissance entre les FFL et l'armée d'Afrique. C'est tout à l'honneur des FFL d'avoir su, d'avoir pu rompre avec le sens du devoir et de l'obéissance auxquels ils étaient régit jusque 1940, principe désormais rattachés à la défaite.

Pour ce qui est de l'amalgame c'est vrai qu'il ne se fit pas facilement, le nouveau gouvernement Giraud/De Gaulle puis De Gaulle tout court souhaitant rétablir une seule armée française (plus de troupes issue de la dissidence permise dès lors) eut bien du fil à retordre !!! Pour ma part j'aime bien une anecdote, la rencontre entre Leclerc et Touzet du Vigier. En 1932 à Saumur, le premier a été l'élève de l'autre qui lui a insufflé l'esprit cavalier et surtout les préceptes de la cavalerie mécanisée moderne telle qu'elle devrait être. Seulement Du Vigier fut chef du 3e bureau sous Vichy puis muté en 1942 en AFN à la tête de la Bgde de Cavalerie de Mascara (BLM) qui combattit les Américains dans l'Oranais puis les Allemands sur les dorsales tunisiennes. Une seule vision du devoir mais deux façons de l'appliquer cependant, comme le rapporte le général Compagnon dans sa biographie de Leclerc, au moment où ils se retrouvent en 1943 (propos rapportés par le Cne Berthet, ancien élève de Leclerc à Saint-Cyr) :

« Vers 15h, le lieutenant-colonel Lehr, chef d’état-major de la 1ère DB me fait appeler et me dit : « Le général Leclerc vient d’arriver, sans s’être fait annoncer, pour rencontrer le général du Vigier, qui est actuellement en inspection assez loin de Mascara et qui ne pourra être rentré avant 19h00. Ce dernier, contacté, m’a chargé de vous dire de le recevoir puisque vous avez été son élève, et d’être avec lui à la résidence à 19h00. Vous assisterez à leur rencontre jusqu’au dîner. Madame du Vigier est prévenue », ajoute-t-il. Je rejoins aussitôt le général Leclerc au PC. Pendant ces longues heures d’attente, nous avons eu le temps d’évoquer beaucoup de choses, notamment l’escadron dont il gardait un excellent souvenir. Nous avons évoqué quelques souvenirs de camarades et de chefs, de nos familles aussi. Au cours de cette conversation, après quelques instants de silence, le général Leclerc me dit, sur un ton grave : « Berthet, je ne sais pas comment va se dérouler l’entretien avec le général du Vigier, mais je voudrais que vous disiez bien au général que, si je suis ici, venu de mon propre chef, alors que personne ne le sait, c’est pour lui témoigner toute ma respectueuse estime et l’assurer que mon souhait le plus cher est d’avoir l’occasion de travailler sous ses ordres ou avec lui. »

[…] A 18h45, nous nous rendons à la résidence du général du Vigier, qui à 19h entre dans son bureau, de retour d’inspection. 19h00 – s’encadrant dans la porte devant Leclerc raide, au garde-à-vous, le général du Vigier dit textuellement : « Avant de vous serrer la main, mon cher Hauteclocque, je veux vous dire trois choses : 1. Je considère que, actuellement, vous êtes le seul à pouvoir faire l’union de l’armée française, qui est une nécessité impérieuse, et j’ajouterai qu’au cas où vous accepteriez cette mission, je suis tout disposé à me ranger sous vous ordres et à vous aider dans toute la mesure de mes moyens. 2. En effet, je pense que vous êtes le seul à pouvoir le faire car vous n’avez pas de sang français sur les mains. 3. Si vous voulez prendre le commandement d’une des nouvelles divisions blindées il vous faudra accepter de prendre avec vous une très forte proportion de ceux que vous appelez les vichystes, des pétainistes, voire des traîtres. « Vos réactions brutales , lui dit le général du Vigier, me montrent que la dureté de votre caractère et votre intransigeance ne sont pas émoussées. « Si je peux résumer votre position actuelle, vous coupez toute l’armée en deux factions définitivement séparées, si ce n’est hostiles, en tout cas opposées de façon irrémédiable. D’une part, ceux qui ont répondu à l’appel du 18 juin […] pour vous les purs, les seuls patriotes, les seuls qui ont fait ce qu’il fallait pour continuer la lutte. D’autre part, tous les autres, les vaincus, les opportunistes, les vichyssois, les pétainistes et maintenant les giraudistes, etc., qui sont tous des lâches, des pleutres si ce n’est des traîtres. […] En ce qui me concerne personnellement, je vous pose la simple question suivante : Mon cher Hauteclocque, je vous connais assez pour ne pas douter que si le 18 juin 1940 vous aviez été à ma place, c’est-à-dire à la tête de deux régiments revenus de Dunkerque et qui s’accrochaient à la Loire de Tours à Saumur, vous n’auriez pas abandonné vos hommes en train de se battre héroïquement pour répondre à l’appel de Londres. Comme il n’était pas possible de les y conduire tous, en troupe, vous auriez fait comme moi et vous seriez resté avec ceux dont vous aviez la charge. Qu’aurais-je fait à votre place si, dégagé totalement de responsabilités vis-à-vis de mes subordonnés, j’avais été totalement libre ? Peut-être aurais-je fait comme vous ? De plus j’ai eu une action d’une efficacité presque inespérée pour contribuer à la renaissance de la cavalerie blindée française et recréer ce merveilleux outil que vous saurez utiliser. Alors, qui mérite qu’on lui jette l’anathème ? » Un long et lourd silence s’est ensuivi. Après ce silence prolongé que le général du Vigier prend comme une approbation tacite, ce dernier insiste sur l’importance de son rôle : « J’ai en effet été contacté par les plus hauts échelons de la hiérarchie du moment pour travailler à la reconstruction de la cavalerie blindée. Compte tenu de mes expériences personnelles, j’ai pensé qu’il était de mon devoir d’œuvrer dans ce sens, et aujourd’hui je suis absolument certain d’avoir plus fait pour la mise sur pied d’une armée blindée moderne capable de nous donner la Victoire qu’en prenant je ne sais quel poste à Londres. » Et le général Leclerc lui répond alors : « Oui mon général, votre devoir et l’intérêt supérieur de la cavalerie blindée étaient que vous agissiez comme vous l’avez fait. Et si j’ai tenu à venir vous saluer, sans que personne ne le sache, c’est pour vous manifester toute l’estime que je vous porte sans le moindre doute, vous présenter mes respects, écouter vos conseils et vous confirmer que mon plus grand désir est de servir sous vos ordres, ou pour le moins de travailler en intime liaison avec vous ». « Nous avons encore une question très importante à voir », dit le général du Vigier. « Bien que la bravoure, le dévouement, le patriotisme, la valeur de vos compagnons aux cours de votre magnifique épopée soient dignes du plus grand éloge, vous ne pouvez pas, avec eux seuls, constituer une division blindée qui vous permette de tenir votre serment de Koufra. Il vous faut deux régiments de chars, trois groupes d’artillerie, du génie, des transmissions. Il n’y a que nous qui puissions vous fournir ces éléments de valeur qui vous sont indispensables, alors au lieu de faire des campagnes d’appel à la désertion, […] travaillez en confiance avec nous, vous ne serez pas déçu et vous ne le regretterez pas. Mais je vous annonce la couleur, vous aurez les plus grandes difficultés à créer une grande unité homogène car le mépris et la méfiance pour ne pas dire la haine qu’ont vos FFL vis-à-vis des « autres », sachez que ces derniers les leur rendent bien ! » Se mettant alors au garde à vous, le général Leclerc dit simplement, sans autre commentaire : « Faites-moi confiance, mon général ». « Oui, Leclerc (c’est la première fois qu’il ne l’appelait pas Hauteclocque), je sais que je peux vous faire confiance ». Et ils se serrèrent enfin la main. Lorsque j’ai pris congé pour laisser les généraux dîner avec Madame du Vigier, le général Leclerc m’a retenu la main, en la serrant très fort et ne me regardant droit dans les yeux. Je vous demande, Berthet, de ne jamais faire état de mes premières réactions. » Je le lui ai promis et j’ai tenu parole. »


Ils s'étaient dit leurs quatre vérités... Toujours est-il que si brutale soit-elle, cette conversation entre Leclerc et Du Vigier va mettre un peu de clarté dans la situation et ce dernier semble avoir réussi à le convaincre que tous les militaires restés sous Vichy n’avait pas forcément eu l'occasion si ce n'est le choix de faire autrement. Les relations entre les hommes n’en restèrent pas moins excellentes par la suite, et avec le recul, Leclerc ne gardera aucun grief à l’encontre de du Vigier de lui avoir parlé avec tant de franchise, et quelques jours plus tard dans une lettre, il l’assura « de ses sentiments respectueux, soulignant que leur entretien avait démontré qu’ils n’étaient séparés que par très peu de choses». Et, effectivement, l’estime réciproque qu’ils se portaient depuis 1932 fut désormais en toile de fond de tous leurs rapports personnels.

Un peu plus tard, dans une autre lettre adressée à du Vigier le 28 août, Leclerc, qui avait pris le commandement officiel de la 2e DB le 23, remercia à demi-mot du Vigier de lui avoir permis de former sa division : « […] Vous m’aviez demandé, au cours de notre bref entretien, de mettre tout en œuvre pour refaire l’unité de notre armée. Aussitôt rentré à Alger, j’ai vigoureusement appuyé dans ce sens et le résultat est obtenu maintenant. Vous voyez donc, comme je vous le disais, que nous ne sommes pas loin l’un de l’autre. ». En effet, à la suite de la discussion de Mascara, il semble que du Vigier ait intercédé auprès du général Leyer, compagnon d’arme et réorganisateur de la cavalerie en 1940 à ses cotés, devenu chef d’état-major général, pour faciliter l’intégration de régiments de l’armée d’Afrique au sein de la 2e DB en formation, dont le 12e RCA du colonel de Langlade. Pour ce dernier, André Martel, dans Leclerc, le soldat et le politique , évoque même que la rencontre entre Langlade et Leclerc aurait pu être arrangée pour être le fruit du hasard : « Le 2 août, dans un restaurant de la banlieue d’Alger où il dîne seul, Leclerc rencontre « par hasard » le lieutenant-colonel de Langlade, commandant le 12e régiment de chasseurs d’Afrique, un régiment blindé susceptible d’être dédoublé. Cavalier comme du Vigier et Leyer, ce « vieux Marocain », a connu Hauteclocque en 1928 à Meknès et met spontanément son régiment à la disposition de Leclerc. L’un n’a pas d’affectation et redoute de rester l’arme au pied en Afrique du Nord pendant les combats prochains de la libération. L’autre a besoin d’hommes et surtout d’unités blindées constituées et bien encadrées… les voies de la Providence sont impénétrables mais il n’est pas interdit à l’historien de s’étonner qu’un chef de corps puisse ainsi disposer de son régiment sans l’assentiment préalable de l’état-major.»

Amicalement ;)
Vincent
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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 29  Nouveau message de carnoy456  Nouveau message 07 Fév 2012, 20:56

A l'attention de Bréhon,

brehon a écrit:Ton père a été blessé par les américains qui se défendaient suite aux conséquenses des ordres donnés par ses chefs. Le ressentiment, il aurait dû l'avoir envers ceux qui lui ont donné l'ordre de résister aux libérateurs. C'est mon point de vue que tu n'est pas obligé de partager.


Figure-toi que je partage ton point de vue !J'ai souvent discuté avec mon père à ce sujet ...mais je ne suis jamais parvenu à ce qu'il le partage lui aussi, que ce soit pendant les événements ...ou plus tard . Mon père était "archi-légaliste" et il avait cette vision de la "discipline"qui fait tant débat depuis des lustres ! Pas question donc qu'il reproche à ses chefs les décisions d'ordre militaire qu'ils prenaient. C'est ainsi. Il n'est évidemment pas le seul dans ce cas !

brehon a écrit:Pour moi, l'amalgame a été fait par celui qui a écrit ceci:
carnoy456 a écrit:
faire évoluer des soldats plutôt "vichystes" à l'origine, d'une attitude antiaméricaine vers une attitude résolument antiallemande.


Là, je suis désolé, je ne comprends pas ce que tu veux dire. De quel amalgame parles-tu ? Peux-tu m'éclairer ? Merci
Cordialement


 

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Re: Armée française au Maroc et en Algérie (1942 - 1944)

Nouveau message Post Numéro: 30  Nouveau message de Francis Deleu  Nouveau message 07 Fév 2012, 22:25

Merci Vincent ! Le texte de l'entretien entre Leclerc et du Vigier a déjà rejoint mes archives.

Pour en revenir au débat, le problème qui est soulevé est bien celui du devoir d'obéissance imposé aux militaires.

Posons quelques balises !

- La confusion entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire.
Il est indiscutable que la discipline militaire fait la force principale des armées. La question que l'on pourrait se poser est cependant la suivante: Pétain et les principaux dirigeants en AFN exerçaient-ils le pouvoir militaire ou le pouvoir civil? Dans l'exercice de leurs fonctions civiles, la subordination hiérarchique est-elle la même? L'intérêt supérieur de la nation ne prime-t-il pas par rapport aux ordres contraires émanant au surplus d'un seul homme?

- Le serment personnel, cette invention de Pétain a causé un tort immense à la France. Prêter serment c'était reconnaître l'infaillibilité du Maréchal. C'était également se soustraire aux devoirs qu'imposent l'intérêt de la nation en se dispensant d'y réfléchir. Alors que la majorité des cadres de l'Armée d'Afrique était probablement résolue à reprendre le combat contre les forces de l'Axe, ce serment les a paralysé.
Quelques-uns, comme Béthouart, se sont estimés dans "l'obligation morale de réagir et de désobéir".

Et puis, bien avant, n'est-ce pas Lyautey qui disait: "L'obéissance toute nue est pour les sous-lieutenants, non pour les chefs responsables".

Un autre exemple! Celui d'Estienne d'Orves! Ce dernier était sous-chef d'état-major de la Force X à bord du croiseur Duquesne, à Alexandrie. Avant de rallier le général De Gaulle à Londres, il adresse une lettre à son supérieur, l'amiral Godfroy:

(...) je ne puis concevoir l'asservissement actuel de la France. (...) Tant qu'il y aura une lueur d'espoir je combattrai pour débarrasser mon pays de l'emprise de cet homme qui veut détruire nos familles et nos traditions. Mes ancêtres se sont battus jusqu'au bout, je ne puis faire autrement que les imiter. Si j'ai attendu si longtemps, depuis l'armistice, c'est que j'ai voulu, d'abord ne pas m'en aller avant le désarmement (.) Et surtout, à la suite de l'affaire d'Oran, je n'eusse voulu à aucun prix servir dans la marine britannique. Il m'a fallu trouver un chef français indépendant. Je l'ai trouvé hier et vais me ranger sous ses ordres. (...)

Enfin cette réflexion de Churchill en séance secrète aux Communes le 10 décembre 1942 :
Les Français attachent une plus grande importance au principe d'autorité qu'aux considérations morales, nationales ou internationales. A cet égard nombreux sont les Français qui, tout en admirant le général de Gaulle et en admirant son rôle, le considèrent comme un homme qui s'est révolté contre l'autorité de l'Etat français, lequel dans leur esprit est personnifié par le vieux défaitiste, l'illustre et vénérable maréchal, seul espoir de la France

Cordialement,
Francis.


 

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