1939-1945, Une guerre inconnue, Flammarion, 1995, p.219, une occasion qui ne se reproduira plus, pour envahir l'Egypte et le Soudan. En effet, l'Italie, seule, dispose d'une supériorité numérique écrasante, sur ces deux fronts.
Le Maréchal Graziani, qui a remplacé le Maréchal Italo Balbo, tué accidentellement fin juin, dispose de 250 000 hommes en Libye, contre 36 000 anglais et forces du Commonwealth, en Egypte. Au Soudan et au Kenya, les troupes du Duc d'Aoste dispose, elle aussi, d'une supériorité écrasante sur les forces du Commonwealth au Soudan et au Kenya. Il a environ 280 000 hommes dont 80 000 italiens sous ses ordres, face à 20 000 anglais.
Certes les troupes italiennes sont mal équipées, peu motorisées et les troupes indigènes sont de qualité médiocre. En Egypte, Sir Archibald Wavell peut compter sur la 7eDB et la 4eme Division Indienne, mais ces 36 000 hommes sont bien isolés au lendemain de la défaite de la France.
Alors pourquoi l'offensive Italienne ne commencera qu'en septembre, perdant deux précieux mois d'été ?
Pourquoi l'Allemagne, grand vainqueur de la France, ne s'intéressera pas à ce Front Méditerranéen, alors qu'une division blindéee, en juillet 40, aurait certainement suffit à vaincre les anglais en Egypte ?
Les causes de ce désintérêt pour le Front Sud sont multiples :
1) L'Armistice : un choix stratégique.
Lorsque les français demandent l'armistice aux allemands, Hitler est obligé de faire un choix qui conditionnera sa stratégie future.
- Refuser l'offre française c'est la certitude de s'aliéner l'Empire français et la flotte et d'être obligé de s'aventurer profondément sur le théâtre méditerranéen.
- Accepter l'armistice, c'est neutraliser l'Empire et la flotte française (2 des conditions préalables à la signature de l'armistice par Vichy avaient été la sanctuarisation de l'Empire et la neutralié de la flotte) , neutraliser le front sud, pour mieux se concentrer à l'Est. D'ailleurs, dès le 18 juin, le Führer annonce sa future politique française à un Mussolini, enrtré en guerre 8 jours plus tôt, et donc les visées clairement annexionnistes sur certaines régions françaises seront désormais caduques ! On ne touche pas à l'Empire français, condition nécessaire pour signer l'Armistice !
Mais c'est aussi, pour Hitler, l'occasion de se montrer bon Prince avec le vaincu, et paraître comme un homme de bonne volonté, soucieux de paix, qui prépare le terrain pour de possibles futures négociations de paix, avec l'Angleterre.
Le choix de l'armistice est un aveu, implicite, de la future stratégie du Führer, vers les horizons soviétiques.
2) Un désintérêt pour le Front Méditerranéen.
a) Le rapport Jodl : concentrer les forces de l'Axe.
Dès le 30 juin, le chef du bureau des opérations de la Wehrmacht, le général Jodl, adressa au Führer un Mémoire sur les plans d'opérations à mener contre la Grande-Bretagne "pour le cas où les négociations politiques n'aboutiraient pas."
Il y était évoqué l'offensive à mener contre les îles Britanniques dont l' Opération Otarie fut la "molle" concrétisation, mais il y était également prévu, une stratégie périphérique à titre d'hypothèse secondaire,
"une extension de la guerre à la zone périphérique. (...) Le plus efficace doit être une opération italienne d'attaque contre le canal de Suez qui, conjuguée avec la prise de Gibraltar, dégagera la Méditerranée"
Il est donc clair qu'à l'OKW, tout du moins, on songe à une stratégie périphérique. Un peu moins à l'OKH, comme le laissera entrevoir Bruno Lamy, dans son Manstein ! Mais quoi de plus normal que les fantassins pensent déjà à la vaste Russie plutôt qu'aux horizons lointains africains ?
La note de Jodl n'eut guère de succès auprès d'Hitler, même si le Führer, après l'opération anglaise contre Mers-el-Kébir, se montra un peu plus soucieux du front sud. Son entourage lui souffla que des bases au Maroc seraient peut-être utiles, mais les Français qui se situaient dans les strictes clauses de l'armistice, demandèrent l'ouverture de nouvelles négociations, ce qui fit reculer illico presto Hitler.
Le 13 août, une note de Jodl remet le couvert, et insiste pour que l'Axe mène une véritable collaboration militaire contre l'Angleterre. Ce désir restera sans lendemain, Hitler refusant une quelconque aide italienne contre les îles Britanniques, Mussolini rendant la pareille à ses alliés en refusant un corps blindé pour l'offensive en Afrique du Nord !
L'Axe était, pour le moment, une coquille vide, une alliance sans synergie, qui rapprochait uniquement deux régimes idéologiquement proches mais qui menaient deux politiques parallèles, sans se soucier l'un de l'autre. (Hitler le regrettera quelques mois plus tard !)
b) Les Mémorandums Raeder : pour une stratégie Méditerranéenne.
Si Jodl, chef d'état major de l'OKW, avait prôné une collaboration plus importante entre les forces de l'Axe contre les Anglais, l'objectif principal de son action, restait l'invasion des îles Britanniques.
Le Grand-Amiral Raeder, lui, définit clairement une stratégie périphérique visant à contrôler la Méditerranée.
Dans un premier Mémorandum du 6 septembre 1940, Raeder, très circonspect sur les chances de l'Opération Otarie, proposait dans un rapport daté du même jour, une action de grande envergure en Méditerranée avec pour objectifs Gibraltar et Suez qui permettrait à l'Axe de s'assurer
"des bases de départ d'intérêt stratégique considérable pour une offensive ultérieure contre les îles Britanniques".
L'ensemble des opérations proposées écrivait-il, " ne devait pas avoir le caractère d'action de diversion, mais constituerait au contraire l'action principale contre l'Angleterre et devait être entrepris immédiatement afin d'être terminé avan l'entrée en guerre des Etats-Unis."
Nous pouvons noter que Raeder, visionnaire, prévoit déjà l'entrée en guerre des USA.
Ce premier projet n'ayant connu qu'indifférence auprès du Führer, Raeder s'obstine et pond un deuxième Mémorandum, le 26 septembre, où il soulignait que la Méditerranée, centre de gravité de l'Empire britannique, concentrait les troupes du Commonwealth et que, de ce fait, l'Italie "se trouvait au centre de convergence des troupes anglaises".
Raeder ajoutait, avec une préscience étonnante, que l'Angleterre appuyée sans doute par les USA et par les forces dépendant du général de Gaulle, s'en servirait un jour comme d'attaque contre l'Italie !!
Etonnante prévision, qui se révèlera juste, 2 ans et demi plus tard. On reconnaît dans cette analyse, le marin qui, par sa formation et les caractéristiques de son arme, raisonne déjà au niveau mondial, comprenant intuitivement les futurs enjeux stratégiques qui se poseront inévitablement à l'Axe !
Ce deuxième Mémorandum n'aura évidemment aucun écho dans les hautes sphères du pouvoir, mais cette issue reste logique, puisque Hitler et l'OKH avaient décidé, dès fin juillet 1940, d'attaquer l'URSS. Raeder le savait-il ?
c) Pétain ou Franco ?
Une stratégie méditerranéenne allemande serait obligatoire passée par une alliance militaire avec l'Espagne. Or dès le 3 juin , Franco écrivit au Führer pour lui dire son "admiration" et son "enthousiasme" devant les victoires allemandes. Il ajouta :
"Je n'ai pas besoin de vous assurer combien est grand mon désir de ne pas rester à l'écart de vos soucis et combien serait grande ma satisfaction de vous rendre à tout moment les services que vous considéreriez comme précieux."
Le Caudillo, pour commencer les négociations de son entrée en guerre, envoie à Berlin le chef de l'état-major de l'armée, le général Vigon, qui ne sera reçu que le 16 juin, par Hitler, au château d'Acoz. Les conditions espagnoles pour une entrée en guerre sont assez claires et bien résumé dans une note que l'ambassadeur allemand en Espagne, von Stohrer, enverra à Berlin, le 8 août, dans lequel il précisait que l'Espagne, pour entrer en guerre exigeait:
"la satisfaction d'une série d'aspirations d'ordre territorial : Gibraltar, le Maroc français, la partie de l'Algérie colonisée et habitée par des Espagnols (Oran) et, en outre, l'agrandissement du Rio de Oro e des colonies situées dans le Golfe de Guinée."
Il ne faudra jamais oublier que Franco, né dans l'humiliation de l'empire perdu, en 1898, était obsédé par la reconquête des colonies perdues, même si elles étaient de substitution !
Ces revendications espagnoles en contradiction totale avec la sanctuarisation de l'Empire français décrétée par Hitler, sont grosses de l'échec d'Hendaye !
De plus, les militaires allemands ont une piètre idée des talents de stratège de Franco et le Führer pense que les troupes françaises seront plus compétentes que les soldats ibériques pour défendre l'Empire, l'échec des forces anglo-gaullitses devant Dakar lui donnera en partie raison !
Franco multiplie les signes de bonne volonté, durant l'été. Le 16 août, dans une lettre à Mussolini :
"Depuis le début du conflit actuel, il a toujours été dans mes intentions de pousser les préparatifs en vue d'entrer en guerre au moment favorable."
D'ailleurs, le Caudillo envoya, en septembre, son beau-frère, le très germanophile Serrano Suner s'enquérir auprès d'Hitler, des conditions que Berlin et Rome lui consentiraient. Il rencontra le Führer le 17 septembre 1940 et se fit confirmer que l'Allemagne reconnaissant les droits de l'Espagne sur Gibraltar et le Maroc.
L'entrée en guerre de l'Espagne semble d'ailleurs tellement imminente que Franco, le 22 septembre, écrivit à Hitler :
" Nous avons préparé secrètement l'opération depuis longtemps [le caudillo parle de Gibraltar], et procédé depuis des mois à une mobilisation partielle."
Ultime signal avant Hendaye, Beigbeder, le Ministre des Affaires Etrangères, le 17 octobre, fut remplacé par le très germanophile Serrano Suner.
Même si nous n'avons pas de compte-rendu écrit de l'entrevue d'Hendaye, on peut déjà souligner que cette réunion au sommet ne pouvait que déboucher sur un échec, entre un Hitler tout tourné vers l'Est et soucieux du statu quo en Méditerranée, et un Franco désirant à tout prix, des compensations territoriales à son entrée en guerre.
Malgré tout, 2 Protocoles furent effectivement rédigés et signés : l'Espagne s'engageait à entrer en guerre à une date qui serait fixée d'un commun accord, elle recevrait tout de suite les approvisionnements dont elle avait besoin et plus tard, des territoires enlevés à l'Afrique Française.
Bref, Hitler avait renvoyé aux calendes grecques l'entrée en guerre de l'Espagne !
3) Les occasions manquées.
a) Hitler-Mussolini-Franco une alliance active possible.
Le manque de synergie entre les forces germano-italiennes fut total, durant les premiers mois de la guerre et il fallut attendre la directive n°22, signée par Hitler en janvier 1941 pour soutenir les forces italiennes en Afrique, pour voir l'amorce d'une véritable militaire.
Le refus de l'alliance espagnole découle du choix de l'armistice par Hitler, décidé à neutraliser le front sud pour mieux se tourner vers l'Est.
Les revendications espagnoles étaient-elles délirantes ? Non, pas vraiment ! Exiger le Maroc français était plutôt mesuré et je vois mal Vichy refuser cette portion de territoire colonial à l'Espagne, en cas de pression extrême de l'Allemagne, en contrepartie de compensations territoriales prises sur l'Empire colonial anglais. Certes, des Noguès ou des Weygand se seraient certainement opposés à cette mesure, comme le second le fit lors des Protocoles de Paris, en mai 1941, mais la France défaite avait-elle les moyens de dicter ses conditions en juin 40 ?
En fait, comme le souligne bien De la Gorce, l'Allemagne, en juin 40, à toutes les cartes en mains pour choisir sa stratégie.
b) Une écrasante supériorité militaire de l'Axe en Afrique du Nord.
En juin 1940, la France vaincue, l'Angleterre est exsangue, tout occupée à défendre son île contre la future agression allemande. En juin 40, Sir Archibald Wavell ne dispose que de 36 000 hommes pour défendre l'Egypte et environ 20 000 pour tenir le Soudan et le Kenya. Les italiens ont 250 000 hommes en Libye, sous la direction du Maréchal Graziani, qui a remplacé Italo Balbo, mort accidentellement dans un accident d'avion (sa propre DCA l'ayant descendu !! On peut se demander ce qui se serait passé si le talentueux Balbo avait mené les opérations en Egypte !), alors que le duc d'Aoste, dispose de 280 000 hommes dont 80 000 italiens contre les maigres troupes anglaises au Soudan et au Kenya. La supériorité numérique italienne est donc écrasante, et frôle les 1 contre 10.
Certes, les anglais disposaient de la 7e DB et Balbo, dès juin 1940, avait averti le chef d'état-major de l'armée, le Maréchal Badoglio que les forces italiennes manquaient cruellement de moyens pour lutter contre les tanks anglais, qui faisaient le coup de feu, dès mi-juin 40, en enlevant notamment Fort Capuzzo, mais il n'en reste pas moins qu'en juillet 40, la supériorité écrasante de l'Italie, aurait du permettre de prendre l'Egypte !
Mais Mussolini se disperse au lieu de concentrer ses forces en Libye. Malgré les avertissements de Badoglio, le Duce, humilié par les victoires allemandes, mari par le refus des allemands d'accepter des troupes italiennes contre les îles Britanniques, va s'enfoncer dans une stratégie démente. Rendant la pareille aux allemands, il refuse déjà un corps blindé allemand pour l'offensive en Afrique du Nord, alors que les italiens manquent cruellement de blindés. Enfin, rompant avec la règle de la concentration des forces, il va engager l'Italie dans deux guerres, une contre la Grèce, en Octobre 40, l'autre contre l'Egypte, divisant ses armées mal équipées au lieu de le conjuguer !
Malgré sa supériorité écrasante, le pusillanime Maréchal Graziani se contente d'avancer jusqu'à Bardia, avec sa Xeme armée italienne, à 400 km d'Alexandrie. Il décide alors d'enterrer ses 80 000 hommes dans un chapelet de forts, îlots inutiles dans cet océan de sable.
Derrière, en Tripolitaine et en Cyrénaïque, 170 000 soldats se tournent les pouces, dilués dans les immensités désertiques.
On peut légitimement se demander ce qui serait arrivé, si un Italo Balbo avait dirigeait cette offensive contre l'Egypte, et si le Duce avait accepté le Corps Blindé allemand pour cette attaque. Je vois mal comment 36 000 anglais aurait pu se maintenir à Alexandrie devant cette armada. Même si la flotte anglaise montra sa supériorité et sa hardiesse lors de l'attaque contre Tarente, le 11 novembre, il n'en reste pas moins qu'une offensive avec une aide limitée des allemands aurait sonné la fin de la présence anglais en Egypte !
Il faut se rappeler de ce qu'à fait, quelques mois après, l'Afrika Korps de Rommel avec deux divisions incomplètes devant des britanniques qui s'étaient considérablement renforcés !
Conclusion :
La prise de Suez et de Gibraltar n'aurait certainement pas été décisive pour faire chuter les anglais, comme l'a très bien souligné Erich von Manstein dans son Lost Victories ! Mais comme l'avait souligné Raeder, dans ses Mémorandums, le contrôle de la Méditerranée, aurait permis d'améliorer considérablement le ravitaillement de l'Axe, de sécuriser le maillon faible, l'Italie, et de, peut-être faire tomber la Turquie du côté de l'Axe. Or, cet été 1940, Hitler et Mussolini ont toutes les cartes en mains pour prendre Gibraltar et Suez, à moindre frais.