Post Numéro: 1 de Audie Murphy 26 Fév 2007, 07:31
Suite à l'excellent article de Daniel Laurent sur la nazification de la Wehrmacht, je me permets ici d'analyser le comportement du Feldmarschall Erwin Rommel pour montrer tout mon scepticisme sur sa possible "nazification".
Période de la Grande Guerre et antécédents
La famille Rommel n'avait aucun ami influent parmi les cercles militaires. Le seul lien qu'on pouvait faire était que le père avait fait son service militaire comme lieutenant d'artillerie avant de devenir professeur. Ils formaient une famille modeste, bien loin, par l'éducation et l'entourage, de la caste des officiers prussiens. Le jeune Erwin est quand même attiré par une carrière dans ce domaine. En octobre 1910, il devient Caporal. Fin décembre, il est déjà Sergent. En mars 1911, il entre à la Kriegsschule de Dantzig où il rencontre son épouse. Il démontre ses grandes capacités pendant la guerre 1914-1918 et est décoré de la Croix du Mérite. Le traité de Versailles fait perdre 2 millions de sujets à l'Allemagne au profit de la Pologne à cause du couloir de Dantzig. En décembre 1918, Erwin Rommel traverse l'Allemagne en crise pour aller chercher sa femme malade à Dantzig.
Période entre deux guerres
À l'été de 1919, on le place aux commandes d'une compagnie de sécurité intérieure à Friedrichshafen; il doit commander une poignée de marins communistes afin de les transformer en soldats. Son travail est si bien accompli que le chef de police de Stuttgart lui demande de choisir parmi eux des candidats pour son service et l'invite même à se joindre à eux.(1) Erwin Rommel a connaissance de la ruse de von Seeckt pour dissimuler aux Alliés la force réelle de l'Armée allemande entre les deux guerres et on ne peut lui reprocher d'avoir admiré le personnage en se remettant dans le contexte de l'époque. Il aurait conservé sa place dans l'armée sans ce stratagème, ses faits d'arme antérieurs suffisaient amplement. En 1929, il entre à l'école d'infanterie de Dresde où il étudiera pendant 4 ans. Pendant cette période, il écrit un livre sur les tactiques d'infanterie, Infanterie Greiff An. En 1933, la majorité des Allemands pensent que Hitler est un idéaliste, un patriote aux idées assez saines qui pourrait unifier l'Allemagne et la sauver du communisme. Erwin Rommel, récemment promu Major, semble en penser autant même s'il voit d'un mauvais oeil les nazis. Mme Rommel avait d'ailleurs déjà entendu son mari dire à propos des nazis: « qu'ils ressemblaient à une bande de voyous » et qu'il était fâcheux que Hitler s'entoura de pareils gens. 30 juin 1934, nuit des longs couteaux. Rommel croit à la version officielle du complot déjoué.(2) 1935, promu Lieutenant-Colonel, il refuse que ses soldats défilent derrière une garde SS responsable de la sécurité du Führer. Malgré son grade, il se mêle peu à la société berlinoise et n'a ni amis ni connaissances parmi les dignitaires nazis. Il n'entretient pas non plus de relations mondaines avec les officiers supérieurs de la Wehrmacht. Bien sûr, il n'est pas aveugle et voit bien que les Bonzes du Parti s'efforcent de convertir les officiers en bons nationaux-socialistes et d'incorporer la Wehrmacht à «l'ordre nouveau». Si Ludwig Beck et Werner von Fritsch méprisent autant les membres du NSDAP que leur chef, Rommel établit quant à lui une différence entre Adolf Hitler et le Parti.(3) Quand il est attaché aux Hitlerjugend, il se heurte à Baldur von Schirach qui fait comprendre à Hitler que Rommel n'est pas nazi assez bon teint pour cette mission. En 1937, il passe de Capitaine à Colonel. En octobre 1938, il est nommé à la tête du Fuhrerbegleitbattalion (sécurité personnelle de Hitler). Le choix du Führer avait été influencé par le livre de Rommel, Infanterie Greiff An, ouvrage qui l'avait fortement impressionné. Le 23 août 1939, alors qu'il est maintenant Major-Général, on l'affecte au QG d'Adolf Hitler.(4)
Période WWII
Pour des raisons énoncées plus haut, quand l'Allemagne attaque la Pologne, Erwin Rommel a toute les raisons de croire qu'il est légitime pour le Reich de reprendre un territoire qui lui est dû. Pendant la campagne de Pologne, Hitler impressionne Rommel par son courage et lui cause même quelques ennuis en demandant à se trouver fréquemment parmi les troupes avancées. Après cette campagne, le Führer sent que Rommel est insatisfait, qu'il désire être ailleurs: « Mais enfin, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? » - « Le commandement d'une division blindée. » Hitler n'hésite pas à exaucer le souhait de Rommel, il le considère différemment des autres officiers, les aristocrates. Erwin Rommel, méprise les hommes du Haut-Comamndement, Keitel, Jodl et Halder, « des soldats de bureau ». Au procès de Nuremberg, von Hassell a prétendu que Halder avait contresigné les ordres de brutalité envers les Russes prescrites par Hitler. Rommel le méprisait-il en partie pour cette raison ? En janvier 1941, Erwin Rommel est promu Generalleutnant et, le 15 février 1941, est placé aux commandes des troupes allemandes en Libye. Celui qui deviendra plus tard son ami, Schmundt, se confie: « Hitler était entouré de brigands, la plupart hérités du passé. Mais quel grand homme c'était ! Quel idéaliste ! Quel maître digne d'être servi ! » On peut donc penser que Rommel partageait cette vision des choses et qu'il croyait comme Schmundt que tout ce qui allait mal était de la faute des Goering, Himmler, Bormann, Keitel, Jodl, Halder, etc... Le journal de Goebbels, Das Reich, publie en 1941 un article qui révèle entre autres que Rommel avait été un des premiers chefs des troupes d'assaut, qu'il était un intime de Hitler, etc... Rommel réagit violemment et proteste auprès du Ministre de la Propagande. Le Dr Meissner répond qu'il aurait sans doute mieux valu que ces renseignements, que l'on reconnaissait faux, eussent en fait, exprimé la vérité. Il n'est donc pas illogique de croire que les désillusions sont venues beaucoup plus tard, quand Erwin Rommel est revenu du front nord-africain, et qu'il n'a jamais tempé dans les crimes que l'on reproche aux armées allemandes.
Conclusion
Desmond Young, officier britannique auteur d'une biographie de Rommel, nous rapporte dans son livre: « ...il ne cessa jamais d'appartenir à l'Armée allemande depuis le jour où il entra au régiment jusqu'au jour de sa mort. Il ne fit jamais partie des Corps francs ni de la police, ni du parti nazi(5) et encore moins des troupes d'assaut; et ses relations avec Hitler s'établirent d'une manière vraiment fortuite. » Toujours dans le même livre, en préface, le Maréchal Sir Claude J. E. Auchinleck écrit: « Il semble que nous, ses adversaires, nous le représentions comme le type même du Junker, produit parfait de la machine militaire prussienne. Il ne l'était pas. Et peut-être cela compte-t-il pour beaucoup dans son extraordinaire succès comme conducteur d'hommes au combat. » Il ajoute: « Il ne montrait aucune merci et n'en espérait aucune. Cependant, je ne pourrais jamais transférer mon dégoût profond pour le régime qu'il servait en une haine personnelle pour lui, en tant qu'adversaire. Maintenant qu'il n'est plus, si je dis que je le salue comme soldat et comme homme et que je déplore les honteuses circonstances de sa mort, on va peut-être m'accuser d'appartenir à ce que M. Bevin appelle "le syndicat des généraux". Autant que je sache et à supposer qu'un tel syndicat existe, en être membre signifie simplement que l'on reconnaît chez l'ennemi les qualités que l'on voudrait soi-même posséder: le respect pour un adversaire brave, compétent et scrupuleux et le désir d'être traité par lui, lorsqu'on est battu, de la même façon dont on le traiterait soi-même si on était le vainqueur. On appelle habituellement cela: l'esprit chevaleresque. Beaucoup peuvent crier à la sottise et dire que les jours en sont loin.(6) C'est peut-être vrai, mais je ne puis alors m'empêcher d'en être désolé. » J'ai laissé les adversaires de Rommel le décrire plutôt que de me fier au jugement de l'Amiral Friedrich Ruge dont je possède un ouvrage. On aurait pu alors me taxer d'avoir laissé un loup juger le Renard.
(1) De là est peut-être née la légende qu'il avait fait partie de la police.
(2) Les observateurs étrangers possédaient une meilleure analyse que les principaux intéressés à l'époque.
(3) Il éprouve alors un grand respect pour Hitler le soldat de la Grande Guerre.
(4) C'est peut-être à ce moment qu'on se met à le soupçonner d'être un national-socialiste
(5) Ici, l'incertitude plane toujours.
(6) Petit clin d'oeil ici à mon ami Daniel Laurent.
Source: Rommel de Desmond Young