Pierre Lablache-Combier était un capitaine de corvette, passé à la Royal Navy après la bataille de France sous le pseudonyme de Paul Lewis Claire. Début 1941, il fut affecté à la section O (opérations aériennes et maritimes) du Secret Intelligence Service (SIS ou "MI6") et posté en Espagne pour participer aux opérations dans les eaux françaises.
En juillet 1941, le renseignement britannique apprit que Lablache-Combier avait contacté l'attaché naval de l'ambassade vichyste de Madrid, "divulgué de nombreux secrets des activités du service secret britannique en Espagne et ailleurs", et comptait regagner la France. L'ambassadeur britannique Sir Samuel Hoare câbla Londres en urgence en précisant : "je suis face au dilemme (1) le capturer ou le tuer et risquer de compromettre irrémédiablement la Mission [diplomatique] (2) le laisser aller en France avec les informations qui détruiront notre organisation de renseignement actuelle en Espagne et feront encore plus de dommages ailleurs." Il demandait des instructions d'urgence car Lablache-Combier devait passer reprendre son passeport le lendemain soir.
Le chef du SIS Stewart Menzies ordonna d'inciter Lablache-Combier à aller à Gibraltar en lui faisant croire qu'il pourrait y apprendre plus d'informations, et qu'une action serait menée sur place. Sans qu'on sache exactement pourquoi, l'opération ne se passa pas ainsi : le chef de station du SIS Leonard Hamilton Stokes, avec l'aide du captain Alan Hillgarth (attaché naval et représentant du SOE en Espagne), parvint à l'attirer à l'ambassade madrilène et à le mettre inconscient dans la nuit du 24 au 25 juillet. Drogué, il devait être transporté en voiture jusqu'à Gibraltar où il serait détenu. Mais le lendemain, un câble de Gibraltar rapportait : "Colis arrivé complètement détruit dû à sur attention pendant transit... on se débarrasse cette nuit des objets sauvés". Lablache-Combier s'était réveillé pendant le trajet et avait appelé à l'aide, et les agents britanniques l'avaient frappé à la tête avec un revolver, résultant par sa mort.
Étouffer l'affaire
L'homme était mort, mais l'affaire risquait de dégénérer politiquement. En effet, des diplomates allemands et français de Vichy se plaignirent aux autorités espagnoles, et le 12 août Radio France diffusa un compte-rendu selon lequel un Français avait été enlevé en Espagne par des agents britanniques. Deux jours plus tard le Daily Telegraph le dénonçait comme une invention de la propagande allemande, alors qu'en fait l'information était plutôt correcte.
Une fausse "version officielle" fut diffusée à la Croix rouge britannique par le commander Ian Fleming du renseignement de la marine (le futur inventeur de James Bond) en juillet 1942, selon laquelle "Claire" avait été à bord du SS Empire Hurst coulé par l'aviation allemande au large de Gibraltar le 11 août 1941 et était porté disparu présumé noyé.
Après la guerre, toujours pour protéger le SIS, il fut décidé de payer une pension à la veuve de Lablache-Combier. Celle-ci est décédée en 1968, et leur fille en 2012, sans avoir connu son sort véritable. Son gendre, Edouard Benois, l'a appris l'année suivante.
Sources :
- Keith Jeffery, MI6 : the History of the Secret Intelligence Service, 1909-1949
- Identity of double agent killed by MI6 in WWII revealed
- http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_lablachecombier_charles.htm
Selon l'auteur de l'histoire autorisée du SIS, ce service n'a été impliqué que dans deux homicides pendant les 40 premières années de son existence : un par accident (de toute évidence cette affaire-ci), l'autre étant un agent double exécuté par la résistance française avec la connivence, mais pas d'ordre spécifique, du SIS (quelques recherches web me donnent le nom de Arthur Bradley Davies alias Bla, tué par des membres du réseau Alliance).
Source : James Bond the MI6 killer was just artistic licence