UN JOURNALISTE AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON : ANDRÉ BRISSAUD

André Brissaud est un milicien de haut rang, qui passe en Allemagne avec toute la bande en août 44 avec l'idée de s'intégrer dans la division Charlemagne de la Waffen SS, en cours de constitution, pour se battre sur le front de l'Est. Il renonce devant l'obligation, contraire aux accords entre le chef milicien Darnand et le Reich, de revêtir un uniforme allemand et de prêter serment à Hitler. Rapatrié, il échappe à toute mesure d'épuration et entame en 1949 une carrière de journaliste à Combat, un journal issu de la Résistance. Une quinzaine d'années plus tard, il commence à publier des livres sur le nazisme et le fascisme, dont les deux premiers, sur les années 1943-1945, doivent beaucoup à son expérience, tout en dissimulant soigneusement son rôle personnel et en développant le thème d'un nazisme double, tiraillé entre une saine lutte contre le communisme et un condamnable délire racial. Personne ne s'avise du rôle qu'il y a joué et il devient l'un des principaux auteurs extra-universitaires écrivant sur ces dictatures, au point de truster les articles sur elles dans l'Encyclopedia universalis. La vérité n'apparaît qu'en 2022, par la publication d'une longue lettre de 1965 et grâce à une personne, Priscille Cuche, qui s'est décidée à dépouiller des papiers de famille pour éclaircir le tabou d'un cousin milicien disparu en 1945. Cf. https://portrait-culture-justice.com/20 ... cuche.html

QUE DIABLE NOUS CACHE-T-ON ENCORE ?
Les notices de Brissaud dans l'Universalis, disponibles en ligne https://www.universalis.fr/auteurs/andre-brissaud/ , sont en général factuelles et banales, mais recèlent aussi des affirmations très orientées. A propos par exemple d'Albert Speer, on est surpris de lire que "même ses détracteurs les plus résolus ont reconnu qu'il avait préservé son intégrité morale tout au long de sa carrière au service d'un système amoral". Même si Brissaud (1920-1996) n'avait peut-être pas connu avant d'écrire son article le livre de Gitta Sereny https://www.abebooks.fr/Albert-Speer... ... 23702/bd... , du moins aurait-il dû connaître la remarque dévastatriçe faite en 1971 par Eric Goldhagen sur sa présence à Posen le 6 octobre 1943, prouvant qu'il savait à quoi sen tenir sur la Shoah https://www.lemonde.fr/.../l-ami-de-c-3 ... e-hitler... . Quant aux SS, son article indique :

"Le dernier visage, bien connu celui-là, de la SS est celui des unités combattantes d'élite : la Waffen SS. Mais celle-ci, au contact des tragiques réalités de la guerre, s'éloigna irrésistiblement des divagations inhumaines des fanatiques du mythe du sang, tandis que le reste du Corps noir n'en continuait pas moins son existence fantastique semée de morts de plus en plus nombreux. Hitler et son bras séculier Himmler, poussés par leurs voix intérieures, poursuivirent leur action politico-mystique aux confins de la magie et de la criminalité qui atteignit des dimensions apocalyptiques."
Ce texte dédouane étrangement la Waffen-SS, qui se serait comme émancipée de la maison mère "au contact des tragiques réalités de la guerre". On ne trouve heureusement rien de tel chez les historiens de cette organisation, dont le Français Jean-Luc Leleu.

Il y a un grand sujet derrière tout cela Etudier ce que sont devenus après-guerre les Collaborateurs en tout genre.
Certains ont tourné la page
mais d'autres ont choisi de militer ouvertement ou non:
1- en passant leur vie à justifier leurs choix sous l'Occupation
2- en militant pour une vision moderne de leurs idées (dans des mouvements européistes et identitaires)
3- et plus subtil, d'autres ayant su faire oublier leur passé se sont fondus dans l'époque. Sommes nous sûrs qu'ils n'ont pas distillé certaines anciennes idées?

Les anciens Collaborateurs étaient au moins aussi nombreux que les anciens Résistants. Ils ont peut être autant voire davantage influencé notre époque que nous le pensons. Après tout Georges Albertini ou Robert Hersant ont pesé dans la vie publique française. Le jugement sur leur conduite sous l'Occupation doit il s'appliquer à toute leur vie?

Il faudrait aussi enquêter sur le parcours de Brissaud entre 1940 et 1944. Cette année-là, il est à la tête d'un des principaux centres de formation de la Milice, ce qui en dit long sur son implication.

Dans Pétain à Sigmaringen, en 1966, Brisssaud parle assez peu du maréchal et bien davantage des relations entre les collaborateurs français repliés en Allemagne après la libération de leur pays, sans laisser entendre le moins du monde qu'il parle d'expérience et sur un ton volontiers sarcastique.
Sachant ce que nous savons aujourd'hui, nous pouvons suivre à la trace ses mystifications, dont voici un échantillon à propos de la mort de Doriot sur une route allemande, le 22 février 1945, dans une voiture mitraillée par un avion.

Excipant du témoignage d'une passagère survivante sans dire où et quand il l'a recueilli, il fait apparaître que Doriot et son chauffeur se méfiaient du ciel mais furent rassurés en constatant que les avions qui s'approchaient étaient allemands. S'ensuit le récit d'un contact entre Doriot et le général de Lattre par l'intermédiaire d'une voyageuse française, épouse de collaborateur, qui venait d'arriver au QG de Doriot et de lui proposer une entente anticommuniste, et qui se serait confiée à la passagère puis aurait évoqué cette mission lors d'un procès, en 1947. Tout en manifestant un certain scepticisme devant ce récit intéressé, Brissaud s'affirme certain que Doriot a été assassiné sur un ordre supérieur. Passant en revue les dirigeants nazis qui auraient pu le donner, il ne retient finalement que Bormann, acharné contre les traîtres, possédant la signature d'Hitler et porté à en abuser : il aurait été indigné par le contact de Doriot avec avec de Lattre.

Le nazisme, c'est, avant tout, le règne du faux. La leçon n'a pas été perdue pour tout le monde !

Un subtil plaidoyer pro domo, donc : il ne faudrait pas en vouloir à ces exilés fuyant la justice des libérateurs et préparant un régime de terreur au cas où Hitler reprendrait la main grâce à ses armes nouvelles (dans lesquelles Brissaud avoue qu'ils plaçaient de grands espoirs !), c'étaient des patriotes seulement mus par le souci de délivrer la France et l'Europe du communisme, s'entendant avec ceux des nazis qui partageaient cette option et mortellement fâchés avec les nazis purs et durs !

La bio de Doriot par Jean-Paul Brunet https://www.babelio.com/livres/Brunet-J ... iot/167758 , longuement citée sur ce forum viewtopic.php?f=24&t=25714 il y a dix ans, fait justice de ces allégations.