Oui, la France a joué un rôle au procès de Nuremberg. Antonin Tisseron montre qu'elle a tenté d'y faire émerger ses valeurs, héritées de la Révolution et des Lumières, malgré sa faiblesse, ses ambivalences et ses contradictions de l'époque.
Photo : Rex Features/Sipa Press
Une petite nation incapable d'un quelconque poids sur la scène du monde, mais désireuse de reconquérir son rang perdu. C'est l'image de la France dans le procès de Nuremberg que véhiculent encore nombre d'historiens. Une vulgate que déconstruit le jeune chercheur Antonin Tisseron. « La contribution des représentants [de ce pays] est la plupart du temps réduite à quelques images : l'impréparation de la délégation française, la moustache à la "gauloise" du juge Henri Donnedieu de Vabres, les voitures en panne sur le bas-côté de la route menant à la salle du tribunal », précise-t-il. Son travail vient combler une lacune. « On ne savait pratiquement rien sur la délégation française à Nuremberg », souligne dans la préface l'historienne Annette Wieviorka. En tout état de cause, nul n'avait jusqu'alors pris au sérieux la place de la France dans ce procès. Laquelle est ici restituée dans ses ambivalences et ses contradictions, entre volonté de punir et désir de justice, rejet de l'ennemi allemand et invocation de la tradition de la Révolution et des Lumières.
Dès la conférence de Saint-James, en 1941, il apparaît que « les crimes allemands ne doivent pas seulement révolter par le nombre de vies humaines prises, mais aussi par leur négation d'une humanité reposant sur des valeurs et un rapport à l'autre ». Tandis que Paris se détourne de l'événement, l'idée de l'homme et de la civilisation est ensuite portée par une poignée d'acteurs français qui ont joué un rôle central. Parmi eux, René Cassin et André Gros. Pour René Cassin, précise l'auteur, « la punition des criminels de guerre dépasse les seules considérations juridiques. Se battre pour voir les nazis punis est surtout l'occasion de construire un monde meilleur conforme aux idées défendues par la France révolutionnaire de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ».
Certes, la guerre d'Algérie mettra un coup d'arrêt à cette ambition. Reste un enseignement - encore actuel : ce monde meilleur, dont les Français se voulaient les hérauts, a besoin d'une justice internationale qui dépasse le cadre strict du droit. La preuve que l'histoire permet aussi de penser le présent.
Source : Marion Rousset - Marianne
La France et le procès de Nuremberg, d'Antonin Tisseron, Les Prairies ordinaires, 400 p., 24 €.