Dans un roman sur un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, Caroline Grimm écorne le mythe du grand homme mort il y a tout juste 50 ans.
"Churchill m'a menti" est le deuxième roman de Caroline Grimm. © Astrid di Crollalanza
Churchill m'a menti, de Caroline Grimm (Flammarion).
C'est l'histoire d'une population reniée et abandonnée parce qu'elle est insulaire et tenue pour quantité négligeable. L'histoire, vraie mais méconnue, d'une île démilitarisée à l'aube de la Seconde Guerre mondiale et qui va être envahie par les Allemands, puis occupée pendant plus d'un an après la fin du confit. Cette île, c'est celle de Jersey et, plus largement, toutes les îles anglo-normandes, que Churchill, dans ses Mémoires, rattache à la France, alors qu'elles sont sous la protection de la Couronne.
Cette histoire qui s'inscrit dans la grande, c'est aussi celle de destins individuels auxquels Caroline Grimm donne voix dans un roman choral bouleversant, empathique sans pathos et dont l'énormité du propos - un archipel abandonné à son sort et devenu théâtre des horreurs nazies - n'empêche pas la simplicité de l'écriture et de l'intrigue - le quotidien des insulaires - pour mieux atteindre son but : toucher le lecteur.
Relais entre Histoire et fiction
Le roman s'ouvre sur une scène de liesse soudain interrompue par des bombardements. Les Allemands arrivent, s'emparent de l'île. Ici comme ailleurs à cette époque, d'aucuns vont se révéler héroïques, d'autres d'une bassesse infinie, certains vont (juste) essayer de (sur)vivre. Mais ici plus qu'ailleurs, car il s'agit d'une île, l'occupation exacerbe tout. Les points de vue adoptés par l'auteur, essentiellement féminins, donnent d'autant mieux à voir la violence de la guerre qu'ils balaient en un peu moins de trois cents pages cinq ans d'une déchéance qui va crescendo. On s'attachera particulièrement à Victoire que l'on découvre gamine insouciante et dont la chair tendre va prendre des coups chapitre après chapitre, année après année, jusqu'à la fin, poignante et à l'image de ce personnage particulièrement courageux.
"Oh, un énième roman sur la guerre", diront les grincheux - comme l'auteur le fait dire à l'un de ses personnages, car l'intrigue historique est mise en abîme dans une autre, celle d'une narratrice partie sur les traces de son grand-oncle, juif déporté sur l'île d'Aurigny où (mais qui s'en souvient ?) se trouvait un camp de concentration. Ils se trompent. Non seulement parce qu'il s'agit ici d'un chapitre ignoré de la guerre, mais aussi, et surtout, parce que l'écriture de Caroline Grimm nous transporte, qu'elle fait des allers et retours entre le passé et le présent, le relais entre l'Histoire - le livre est particulièrement documenté - et la fiction. Et aussi parce que, en quelque sorte, Churchill m'a menti est un roman qui rend justice.
Source : Le point - Par CHARLOTTE PONS