Le livre de Desmond Young sur Rommel est très révélateur de ce que pensait le Renard du désert. Cet auteur a eu la chance de pouvoir parler avec Mme Rommel et son fils Manfred. Il a combattu contre lui également pendant la Seconde Guerre mondiale et a même été fait prisonnier par l'Afrika Korps.
Quelques passages intéressants:
1° Rommel venait de passer quelques jours en compagnie de Göring avec son épouse où le maréchal du Reich les avait amenés à Rome dans son train personnel.
Rommel le supporta trois jours. Puis il déclara: «Je ne fais rien de bon ici, si ce n'est me mettre en colère. Il vaut mieux que je rejoigne l'Afrika Korps.»
Il s'envola le lendemain, convaincu que Goering était fou et qu'Hitler ne valait guère mieux. Il en était arrivé au deuxième stade de sa désillusion.
2° À Margival, lors de la visite d'Hitler faite à Rommel et von Rundstedt, Desmond Young nous parle des objections soulevées par le Renard au sujet du massacre d'Oradour-sur-Glane:
«De pareilles choses salissent l'uniforme allemand, dit-il. Comment s'étonner de la force de la Résistance française agissant dans notre dos lorsque la conduite des S.S. pousse chaque Français un peu conscient à la rejoindre ?» Hitler aboya: «Ne vous mêlez pas de cela, ce n'est pas votre secteur. Résister à l'invasion, voilà votre travail.»
3° Selon Desmond Young, l'Allemagne menait une guerre de gentlemen en Afrique du Nord. On peut en douter, mais Young affirme également que Rommel ne savait rien des atrocités commises par le régime nazi avant de séjourner en Allemagne entre son retour d'Afrique et la prise de commandement du groupe d'armées B en Normandie. Ici j'aurais plutôt tendance à penser qu'Erwin Rommel savait tout, mais qu'il était bien content d'en être éloigné. Son retour en Allemagne n'aurait fait que lui confirmer de façon brutale ce qu'il savait déjà. Il aurait d'ailleurs dit à Hitler au sujet de ces atrocités: «Nous perdrons la guerre si nous tolérons cela !» Il proposa également le licenciement de la Gestapo et la dispersion des S.S. parmi les forces régulières.
En mars 1943, rentré d'Afrique, Rommel est décrit ainsi par Young:
Il avait maintenant perdu toutes ses illusions. Il savait désormais qu'Hitler ne possédait aucune générosité, qu'il n'était même pas loyal envers ceux qui le servaient et qu'il était inaccessible à la raison. Ce fut une révélation décourageante pour Rommel, homme simple et droit qui montrait d'ordinaire peu de subtilité d'esprit, sauf au combat. En soldat qui s'est toujours tenu à l'écart des courants politiques, cette révélation le frappa sur un plan purement personnel et professionnel. Il avait perdu la foi en l'homme qui avait été son ami et son patron mais qui restait le chef des forces armées. Il en vint ainsi à comprendre peu à peu que la victoire n'était pas seulement en danger mais que l'Allemagne courait tout droit à la défaite et la désintégration à cause de Hitler.
Pour moi, un vrai nazi est celui qui approuve le programme du parti. C'est pourquoi, à la lumière des extraits que j'ai cités, je ne peux absolument pas classer Rommel dans cette catégorie. Il a certes bénéficié de l'avènement du nazisme pour connaître une carrière militaire bien remplie. Il a probablement aussi cru en Hitler au début, comme bon nombre d'Allemands. Le simple fait d'avoir osé protester devant le Führer au sujet des atrocités commises par le régime ne font que renforcer ma certitude selon laquelle il n'était pas un nazi bon teint.
Je pense, Daniel, que la Wehrmacht était criminelle elle aussi à plusieurs niveaux, mais je continue à croire que l'Afrika Korps de Rommel n'entre pas dans cette catégorie. Trop de témoignages, comme ceux de Desmond Young, émanant de ses ennemis à l'effet qu'il a mené une guerre propre en Afrique sont là pour me le confirmer.