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Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 04 Juin 2009, 16:23
de Vincent Dupont
Suite et fin...

Des choix à faire pour la Cavalerie, et leur insertion dans la stratégie française…

Nous avons pu aborder, à travers le parcours de Touzet du Vigier, les difficultés d’éprouvait la Cavalerie dans les années trente, il convient d’en apporter un aspect plus général afin de mieux saisir, sur le plan stratégique, les conséquences de l’évolution de la Cavalerie, de la dualité entre Divisions de Cavalerie et Divisions Légères Mécaniques, face à une montée de l’effort de guerre allemand sur lequel il faut s’attarder. Enfin, nous verrons les conséquences de cette évolution, des choix faits pour la Cavalerie comme l’indique ce titre, sur la stratégie française en 1939-1940. Tout d’abord nous allons nous pencher sur la dualité qui se développa entre les Divisions de Cavalerie et les Divisions Légères Mécaniques au sein de l’organisation de la Cavalerie. Nous l’avons déjà aperçu à travers les difficultés qu’éprouvait la Cavalerie à se motoriser, cette arme conserve ce que Gérard Saint-Martin à fort bien nommé « de vieux démons équestres » . Ces vieux démons sont à l’origine de la dualité qui existera en 1940 au sein de la Cavalerie entre les trois Divisions Légères Mécaniques et les cinq Divisions Légères de Cavalerie issues des divisions mixtes type 1932, modifiées en 1936.

En effet, nous avons déjà pu le constater, l’évolution de la cavalerie vers la cavalerie motorisée fut longtemps entravée par le cheval et ses défenseurs. Ceux-ci persistèrent dans les années trente, ce qui conduisit à cette dualité. Il semble qu’un milieu équestre fit obstacle, comme le fait remarquer Gérard Saint-Martin à la suppression du cheval, le monde hippique étant encore très présent dans la cavalerie, de part les concours notamment. La Revue de Cavalerie resta une tribune pour les défenseurs du cheval, ceux-ci défendant « l’importance sentimentale et économique » que représentait le cheval, ainsi que ses aptitudes tactiques tous terrains supérieures aux engins blindés. Les défenseurs du cheval avancèrent que la supériorité du cheval en terrain difficile était incontestable, ce que l’on était forcé de reconnaître, et c’est ainsi que le cheval pu rester au tableau d’effectif. D’autres raisons sont avancées, budgétaires notamment comme le souligne le général Boucherie dans la Revue de Cavalerie : « La motorisation intégrale de la Cavalerie est, au point de vue matériel, certainement possible dès à présent, mais sa réalisation présente des difficultés sérieuses, en particulier : les charges importantes qu’elle imposerait au budget ; le risque de constituer des approvisionnement considérables avec des engins qui dans quelques années seront périmés. » Les arguments des défenseurs du cheval ne manquaient donc pas de sens. Il fallut que le général Weygand tranche, et c’est lui qui est en quelque sorte responsable de cet état de fait, ce que le général De Gaulle lui reprocha amèrement par la suite. Hanté par les problèmes de ravitaillement en carburant des GU blindées, par son amour du cheval et par les impératifs politico-financiers, il créa la distinction entre la Division Légère Mécanique et ce qui allait devenir par la suite la Division Légère de Cavalerie.

Le fait est que l’Armée française possédait encore près de 700 000 chevaux dans ses effectifs de guerre en 1940, et cela montre combien le cheval était ancré dans les esprits et difficile à en sortir. Les avantages développés par les Divisions Légères Mécaniques tendirent à remplacer la fonction que l’on accordait encore au cheval dans les divisions mixtes : apporter des troupes qui puissent suivre un mouvement. Ces avantages se traduisirent par l’introduction de véhicules non blindés tous terrains pouvant transporter des Dragons Portés, ou tout simplement des motocyclistes. La cause de cette dualité fut également le fait que les défenseurs du cheval cherchèrent à tout prix à le mettre au même niveau que l’engin blindé. La nouveauté faisant toujours peur, nombreux sont ceux qui voulurent croire à cette égalité, oubliant subitement la vulnérabilité du cheval devant le feu de l’ennemi, ainsi que les faibles capacités des unités montées en terme de puissance de feu. Il y eut bien cependant des conciliateurs pour persuader les cavaliers que le changement entre le cheval et le char n’était que matériel, nous avons d’ailleurs vu du Vigier à l’œuvre au 18ème Dragons.

Il est important maintenant de produire un objet de comparaison avec l’évolution de la Cavalerie française, et quel autre exemple que le développement du système blindé allemand pour produire cette comparaison ? En effet, les Allemands développèrent dans les grandes lignes, les mêmes théories que la Cavalerie française, et l’on dit souvent que le nombre des chars était presque identique en 1940 de chaque côté des belligérants, la stratégie d’utilisation faisant la différence. Les Allemands eurent aussi, en 1940, trois types de chars, légers, moyens, lourds, destinés à des missions différentes et qu’il convient de présenter également, puisqu’ils feront face aux blindés français. La gamme des panzers allemands s’étendait alors du Pz I au Pz IV. Les Pz I et II que nous retrouverons face aux engins commandés par du Vigier en Belgique, étaient de type légers et destinés à la reconnaissance, l’équivalent de nos AMR. Le Pz I n’était apte à combattre que face à des fantassins et tout comme le Pz II sa capacité de combat contre d’autres chars était quasi nulle quoi qu’il faille mitiger ce jugement pour le Pz II, disposant d’un canon automatique permettant de perforer les faibles blindages. La force réelle des Panzerdivisions résiderait en fait sur la capacité des chars moyens, les Pz III ainsi que les chars d’origine tchèque, de 35 t et de 38 t, récupérés sur l’armée tchécoslovaque après l’annexion de ce pays en mars 1939 par le IIIème Reich. Ces chars constituèrent la force de frappe qui permit de combattre les chars français, presque équivalent au char Somua S 35, les Allemands considérant même que le S 35 pourrait surclasser le Pz III, ce qui se confirma en de nombreuses occasions en Belgique. Le dernier élément qui fit la différence est le Pz IV, char lourd qui su s’adapter et évoluer jusqu’à être toujours en dotation dans certaines unités en 1944. Ce char sera capable de percer n’importe quel blindage en 1940, et permit aux Allemands de faire la différence, bien que leur nombre ne soit pas alors très élevé dans les unités allemandes.

Quant à la grande unité de base de la Panzerwaffe, la panzerdivision, elle se présentait sous deux formes : la première était le modèle proposé par Guderian lors de la création de l’Arme, une division forte tant numériquement que qualitativement. La seconde forme, sorte d’accomplissement de ce que la Cavalerie française n’avait pas fait de ses divisions de Cavalerie, était la transformation des divisions légères au cours de la drôle de guerre, en panzerdivisions. L’Allemagne avait donc risqué et réussi le pari de la conversion de la Cavalerie en unités blindées même si il resta une unité montée en 1940 dans l’armée allemande, plus par nostalgie qu’autre chose, puisque motorisée en partie. Le cadre et l’organisation de l’arme blindée allemande posés, il nous faut montrer la comparaison entre l’arme blindée allemande et la Cavalerie française, non pas que nous voulions éluder du sujet les chars des futures Divisions Cuirassées mais ils sont hors de notre sujet. Il faut en fait expliquer ce qui fit la différence. Ces différences, bien que jouant en faveur des chars français parfois, confirmèrent la supériorité également technique des allemands. En effet, nous le reverrons plus loin alors que se profile l’entrée en campagne, mais les chars allemands se distinguent tout d’abord par leur capacité de tir sous tourelle. Tant en matière de calibre de canon qu’en matière de conception de tourelle, ils firent la différence. Bien que le char S 35 soit doté du canon de 47 mm, la conception des tourelles, monoplace dans les chars de Cavalerie français avec ce que cela implique comme multi-rôle pour le servant, était inférieure à la conception allemande, où 2 à 3 hommes pouvaient êtres présents dans la tourelle. Cette donnée influait donc sur la lenteur de tir. L’autonomie des chars fit également la différence, bien que le S 35 ait une bonne autonomie, l’ensemble des blindés allemands surclassaient en distance les Hotchkiss notamment. Les blindés allemands étaient en outre tous équipés d’une radio. La qualité technique des chars, leurs trains de roulement, leur blindage, dans l’ensemble, plaçait également les blindés allemands en position de favori.

Enfin, ce qui fit une réelle différence, reconnue et évidente sur le plan stratégique, est l’utilisation des près de 2900 chars disponibles de part et d’autre, et c’est sur cette différence d’utilisation des unités de cavalerie que nous allons nous pencher désormais.

En effet, quand on analyse la plan Dyle-Breda de 1940 en confrontation avec le plan Jaune du général Von Manstein, la différence entre les axes d’efforts est visible, et la place qu’y occupent les unités blindés ou de cavalerie est primordiale. Les blindés allemands ont l’avantage d’être regroupés en grandes unités, rassemblées au sein de corps blindés eux-mêmes placés sur les axes d’effort. Le plan Dyle-Breda prévoyait l’emploi des Divisions Légères Mécanique tout d’abord, comme une action retardatrice, pensant que les Allemands viendraient s’user sur ces divisions qui malgré leur puissance, ne disposent pas de celle des Pz Div. Les Divisions Légères Mécaniques et leurs chefs n’en recherchent pas pour autant un combat de rencontre, conscients que celui-ci tournerait à leur désavantage. Comme le fera le Corps de Cavalerie du général Prioux qui à en charge cette mission, le but sera de retarder le plus longtemps possible la poussée allemande. Par leur force, on compte sur les trois Divisions Légères Mécaniques dans cette mission : la 1ère DLM ayant elle la mission de gagner au plus vite Bréda et de tenir l’extrême nord du dispositif français, tandis que la 2ème et la 3ème DLM devrait retarder les Allemands à l’ouest, en attendant que les divisions d’infanterie se mettent en place.

Quand au rôle confié aux Divisions Légères de Cavalerie, il s’agit de retarder également la poussée allemande, mais en terrain plus difficile. Leur mission consiste à épauler au plus tôt les Belges dans les Ardennes, dès l’offensive allemande. La mobilité en terrain difficile des unités montées justifie ce choix stratégique, mais le manque de puissance de feu révéla que les faiblesses des unités montées dépassaient leurs maigres avantages. Le combat de la Horgne en est un cruel exemple, les spahis de la 3e brigade ne disposant que de trois antichars face au 19ème Panzerkorps de Guderian.

-:-:-:-:-:-:-

Voilà... je me tiens à disposition pour les questions...

Amicalement ;)

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 04 Juin 2009, 17:10
de Daniel Laurent
Bonjour,
Pour une composition du niveau CM2, cela me semble bien parti.
:mrgreen:
Je reviens demain avec des eventuels commentaires eventuellement plus intelligents, il est deja tard chez moi
:D

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 27 Juin 2009, 12:22
de Vincent Dupont
Bonjour !!!

Aux dernières nouvelles fanacyr, tu en étais arrivé à la jonction des armées alliées... tu as fini je pense ? non parce que j'aimerai bien avoir ton avis, comment tu as trouvé le bouquin, etc... :mrgreen:

Amicalement ;)

Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 27 Juin 2009, 20:06
de fanacyr
salut Ami,

j'ai montré le bouquin à mon beau-père qui a libéré le Pays avec le 2ème cuir (Durosoy)
Je le trouve sobrement écrit, sans emphase et ce qui est passionnant, c'est l'accès aux archives familiales, comme le texte de l'oraison funèbre à Weygand.
Très intéressé aussi par son raid de cavalerie de septembre 14 (je suis également fana de l'Escadron de Gironde) mais...nous sommes hors sujet !

Je redis et j'affirme haut et fort qu'il faut faire réciter aux enfants des écoles le dialogue du Vigier/ Leclerc de 1943 cité dans la bio du général Compagnon 8)

Il faudrait que Cyr honore ce Grand Ancien par un nom de promo (la dernière a choisi Carrelet de Loisy, c'est pas mal du tout !)

à suivre...

bien cordialement

fanacyr

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 27 Juin 2009, 20:56
de Vincent Dupont
Oui la reco est pas mal, c'est vrai. Pour le pb de l'amalgame avec la rencontre Leclerc-Du Vigier, je suis allé la chercher en intégralité dans le Leclerc de Compagnon pour la mettre dans mon mémoire (le CA Alain du Vigier ne l'avais pas mise en entier) et Compagnon en fait une analyse plus historienne je trouve. De toute façon il parle toujours de son père en terme très aimables...ce qui fausse le caractère objectif de son propos.

Quant à ce que du Vigier soit honoré à Cyr, ça viendra je pense. En tout cas j'en avais discuté avec UHU, il est déjà honoré à Saumur, avec un manège, une cour, un bâtiment à son nom, H. de Vernejoul de même... comme quoi à la maison mère on ne les a pas oublié... ;)

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 27 Juin 2009, 21:09
de fanacyr
les premiers contacts avec les américains fin 42 sont bien retraduits aussi; il faudrait rendre Hommage à ceux de Tunisie qui se sont battus quasi seuls !

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 28 Juin 2009, 07:55
de Pierre.S
Bonjour,
Une petite digression maritime vers le site ATF 40 où il est question du Général ESTIENNE à travers le nom donné à un prototype de B1 Ter qui se trouverait à bord du cargo "Mécanicien Principal CARVIN", coulé en juin 40 dans le Verdon,(...s'y trouve aussi une ou deux pièces de 380mm du Jean Bart).
http://atf40.forumculture.net/le-char-b1-f41/le-b1-ter-envoy-par-le-fond-t233-30.htm
Bonne lecture,
Pierre

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 22 Juil 2009, 10:17
de Vincent Dupont
Bonjour à tous !!

Le chapitre 4 se posant dans la continuité du chapitre 3 que j'ai déjà posté ici, je me suis dis qu'après tout il fallait le mettre aussi...

-:-:-:-:-:-:-

Se préparer à la guerre ou la Cavalerie à la fin des années trente.

Nous allons dans ce chapitre, aborder la préparation à la guerre ou la Cavalerie à la fin des années trente. Pourquoi ce titre ? Parce que la Cavalerie, nous l’avons entrevu dans le chapitre précédent, commence à se doter de chars capables de remplir ses missions dans le cadre d’un combat moderne. Dès lors, après cette prise de conscience, et toujours sous l’impulsion des hommes qui ont porté sa motorisation, la Cavalerie va se préparer au combat en révisant sa tactique d’emploi. Alors qu’il intègre le Centre d’Etudes Tactique Interarmes de Versailles, Touzet du Vigier va participer à cet élan, toujours en sa qualité de professeur reconnu à travers les Armes, en tant qu’expert, et contribuer à la rédaction du règlement de la Cavalerie, non sans en avoir testé les missions sur le terrain.

Un enseignement moderne au Centre d’Etudes Tactique Interarmes de Versailles…

Le 5 octobre 1936, le chef d’escadrons Touzet du Vigier est affecté à l’Etat-major Particulier du Centre d’Etudes Interarmes . Ce centre était alors dirigé par le général Millet mais c’est avec le général Daillé qui le remplace en 1937, que le travail de du Vigier va connaître plus d’ampleur. Daillé cumulant son poste avec celui d’adjoint au Général Inspecteur Général des Centres d’Enseignement Militaire Supérieurs et de Directeur adjoint du Collège des Hautes Etudes de Défense Nationale , du Vigier se verra ouvrir les portes de l’enseignement militaire supérieur. Le rôle de ce centre était d’une importance non négligeable, car il participait, à haut niveau, en collaboration avec les Centres d’Etudes Militaire et le Conseil Supérieur de la Guerre, à l’élaboration de la doctrine d’emploi de l’Armée Française, toutes Armes confondues, et en particulier des Règlements d’emploi des Grandes Unités . Son rôle impliquait aussi son concours à l’enseignement militaire supérieur, soit sous la forme de conférences au centre des hautes études militaire (CHEM) par exemple, soit en participant à la préparation et à l’exécution des Manœuvres. Nous verrons donc le rôle et le travail que va accomplir du Vigier sous ces divers aspects en commençant par les conférences qu’il donna durant ses années au CETI.

Avant cela, il est bon de rappeler, comme le rapporte son fils, que « sans doute était-il dans son Arme un des plus désigné, car il était, comme chef d’escadrons, le seul officier de Cavalerie, alors que l’infanterie et l’artillerie étaient, chacune, représentées par un général et trois officiers supérieurs ! » Ses notations sont d’ailleurs là pour confirmer sa valeur exceptionnelle, comme celle laissée par le colonel Evain, commandant le 18ème Dragons : « Le Commandant du Vigier termine en beauté son temps de commandement. Ne négligeant aucun détail, moral ou matériel, dans son groupe d’escadrons, préparant et dirigeant des instructions de cadres animées et fructueuses, traitant en conférences des sujets d’intérêt général ou militaire. […] De tempérament manœuvrier, toujours sous pression pour agir, conçoit et réalise vite. Intelligence et cœur de chef, doit arriver au plus vite dans les plus hauts grades en compensation de retards inexplicables. Camarade dont le départ laisse de vifs regrets. » Ses qualités sont donc reconnues au sein de la Cavalerie par ses pairs, même par les plus hauts gradés comme les généraux Mordacq, Giraud et Flavigny, qui insistent en 1936 sur sa « valeur exceptionnelle » et sur la nécessité de le placer au tableau « dans l’intérêt de l’Arme et de l’Armée. » Du Vigier constitue donc une particularité au sein de ce centre, puisque il est le seul officier représentant la Cavalerie dans ces hautes sphères. De plus il était connu pour être un professeur favorable, comme il l’avait montré à Reims en faisant des conférences interarmes, à des échanges et à une coopération entre les armes au combat.

La première des occupations de du Vigier comme chef de la section Cavalerie fut donc de dispenser des cours et des conférences pour les Ecoles et les Centres d’Etudes, afin de diffuser plus amplement, de faire connaître l’évolution de la Cavalerie, sa mécanisation et son impact tactique, en collaboration avec les autre Armes. Ses carnets nous fournissent d’ailleurs son emploi du temps au jour le jour de 1937 à 1939, ce qui nous permet de connaître très précisément le nombre de conférences qu’il fit et où il les donna. On note ainsi pour l’année 1937 dans un agenda généreusement offert par la firme « Somua », des conférences et cours de Cavalerie à l’Ecole Polytechnique, en janvier et février. Des cours au CHEM sont également prévus en février et mars, ainsi que le voyage du CHEM en juillet. Du 1er au 20 mars, du Vigier note que se déroule le Cours tactique des colonels d’artillerie. Le 10 mars, il dispense un cours de Cavalerie probablement au CETI et le lendemain, c’est un « amphi » sur les Divisions Légères Mécaniques qui l’attend à l’Ecole Supérieure de Guerre. En avril est programmé un séjour au camp du Valdahon où du Vigier ira souvent réaliser ses manœuvres à petite échelle sur lesquelles nous reviendrons plus en détail. Du 29 avril eu 29 mai, il a la charge du cycle d’information des colonels. Puis, durant le mois de mai, son cours à l’ESG porte sur les destructions. Dès juin commence la belle saison et les manœuvres peuvent reprendre. Il commence par celles du Valdahon où il se rend le 6 juin pour le cours des commandants, le stage d’instruction tactique qu’il leur prodigue ensuite dure jusqu’au 3 juillet. Il en note les détails sommairement : « 10 juin : chars : mission, débouché, protection » Le 5 juillet, le stage des commandants se poursuit à Versailles, ce jusqu’au 10 juillet. Il semble qu’il assure particulièrement un véritable suivi pour ce type de cours à deux niveaux, théorique et pratique, dans le cadre du CETI, ce qu’il ne fait pas pour toutes ses conférences. Durant le mois de juillet et août il rencontre beaucoup le général Daille et assiste à de nombreuses réunions au CETI dont il fait partie de l’état-major rappelons-le. Enfin on peut relever que le 9 juillet, il note : « Matériel Cavalerie à Satory ». Du Vigier voulait en effet montrer concrètement ce qu’il exposait dans ses cours, et outre les manœuvres, il présentait, comme au camp de Satory tout proche, différents modèles d’automitrailleuses, de chars, de véhicules blindés ou pas, à ses auditeurs venant des autres armes. A l’issue de sa première année, du Vigier a réussi à conquérir son supérieur, le général Daillé, comme tous ses précédents supérieurs : « […] le Commandant du Vigier s’est imposé à tous par ses brillantes qualités de conférencier, d’instructeur sur le terrain et les sentiments élevés qui l’animent. Esprit clair, méthodique, apte à saisir rapidement les ensembles, doué d’un tact et d’une distinction portés à un rare degré, il s’affirme comme un des plus remarquables officiers supérieurs qu’il m’a été donné de rencontrer. Est l’honneur de son arme. Il doit être inscrit au tableau pour Lt-colonel et mérite d’être l’objet d’un choix hors-[tour]. Candidat d’une valeur exceptionnelle. »

Enfin trois lettres datées de 1937 nous informent sur l’importance qu’a pris du Vigier au sein de la cavalerie tout comme au sein de l’armée lorsqu’il est au CETI. Elles montrent aussi le degré d’appréciation de ses chefs. La première de ces lettres est datée de juin 1937 et provient du colonel Evain, précédent chef de du Vigier à Reims, qui commence sa lettre par « Mon cher ami, j’ai été navré que nous ne soyez pas au tableau ». Du Vigier n’avait pas été en effet, inscrit au tableau d’avancement, il ne sera Lt-Col que l’année suivante. Evain poursuit en disant qu’il le savait et explique les démarches qu’il à tenté d’accomplir pour l’inscrire au tableau : « Au début de décembre, j’avais été voir Robert Altmayer […] les limites qui lui étaient fixées ne lui permettaient pas de descendre jusqu’à vous. Il m’a dit : « pour mettre du Vigier il faut en rayer un – lequel ? Et il m’a récité les services et l’ancienneté des candidats. Je lui ai dit que c’était de l’arithmétique et pas du commandement – qu’un type entré à Cyr plus jeune que vous était peut-être abruti maintenant tandis que votre fougue et votre lucidité allaient croissant. – on observe encore ici l’admiration de ses supérieurs pour les qualités de du Vigier – Qu’on ne vous avait pas payé justement et qu’il fallait réparer. […] J’ai espoir que vous rattraperez cela dans les échelons suivants où l’arithmétique joue moins. Au lieu de 4 ou 5 ans vous resterez 2 ans Lt-Col […] et vous serez Gal de brigade à 55 ans et Gal Cdt la 8ème DLM à 57. » Cette lettre montre donc bien le dévouement qu’avait les supérieurs de du Vigier pour lui, motivés par une amitié certaine et par sa sympathie à l’égard de tous. La constante, dans ses notations, et également à travers une lettre privée comme celle que nous venons de découvrir, est donc bien l’incompréhension face au retard de son avancement.

La seconde lettre provient du général Petiet en juin 1937. Dans cette lettre, alors que du Vigier est au CETI de Versailles, il lui propose de devenir le Directeur de Etudes de l’Ecole de Cavalerie de Saumur, ce qui pourrait constituer une étape dans sa carrière. Ce poste offre alors un rôle de premier plan pour diriger la formation tactique de la cavalerie, à travers la direction des officiers du Cadre Noir, des différentes divisions d’instruction dont le cours des lieutenants d’instruction. Mais laissons cette lettre nous expliquer la situation. Tout d’abord, le général Petiet reconnaît que Du Vigier à « un rôle capital à jouer vis-à-vis des autres armes. » à Versailles. C’est pour cela qu’il lui écrit, la cavalerie aurait besoin de lui à Saumur mais également à Versailles comme il lui dit si bien : « Il faudrait beaucoup mieux pouvoir vous laisser à Versailles et mettre « votre équivalent » à Saumur. Malheureusement j’estime que celui-ci reste à trouver ». Petiet essaye néanmoins de le convaincre en lui « vendant » le poste : « A la direction des études, vous ne connaîtrez pas de « frictions ». Je crois bien pouvoir vous assurer que ce phénomène a pratiquement disparu de la Maison. Vous y disposerez d’un personnel, fruit d’une sélection […]. Tous ne sont – ou ne seront – pas des as, mais c’est très supérieur à ce qu’on trouve ailleurs. […] je vous confirme que vous n’aurez, de toute façon, aucun acte de candidature à faire… c’est moi qui traiterai la question avec le général Bineau. » Il sait combien du Vigier à dû se battre pour imposer ses vues, en particulier à la « Maison » où, durant son passage, le général de la Laurencie, pur équitant, n’avait encouragé que des expériences comprenant des unités mixtes. Petiet explique enfin sa motivation, tout à l’honneur de du Vigier : « En m’occupant à l’avance d’une question qui « jouera » à un tournant où je ne serai peut-être plus à l’Ecole, c’est surtout à mon arme que je pense. En plaçant à ce poste, capital pour elle, un officier qui jouit de l’estime unanime, on résout pour plusieurs années, de la seule manière qui soit véritablement excellente, un problème difficile ».

Enfin la troisième et dernière lettre nous a surpris car elle aurait pu changer radicalement le cours de la carrière de du Vigier et en vérité l’intérêt même de cette étude. Et c’est pour cela que nous avons jugé bon de la présenter. Touzet du Vigier reçut en effet une lettre du 2ème bureau de l’Etat-major de l’armée, durant l’été 1937. Cette lettre indiquait que l’on recherchait « un capitaine ou un commandant breveté de Cavalerie pour être détaché comme instructeur de Cavalerie de la Mission Militaire Française au Brésil. » Voilà qui aurait pu beaucoup changer le cours de sa carrière…

Reprenons maintenant le suivi de ses années au CETI. Son agenda pour l’année 1938 est encore plus précis que le précédent, du Vigier y ayant récapitulé l’ensemble de son planning au début de son carnet ainsi qu’à l’intérieur, avec les thèmes des cours. Tout d’abord, c’est la Gendarmerie qui fait l’objet d’un cours du 31 janvier au 6 février. Puis le Cycle des colonels à Versailles prend le relais du 7 mars au 2 avril. Du Vigier a d’ailleurs noté les thèmes de certains cours pour ce cycle, comme l’étude de la Cavalerie allemande, les guerres récentes, les carburants ou encore les armées belges et hollandaises. Du 30 mai au 20 juin il est à Saumur, puis du 1er au 25 juin, il assiste aux expérimentations et manœuvres de la 1ère Division Légère Mécanique à Mourmelon. Il reprend également les manœuvres au Valdahon du 30 mai au 20 juin puis à Mourmelon du 22 août au 1er septembre. Il revient à Versailles à la mi-septembre et présente les chars comme il l’a déjà fait l’année précédente, dans la deuxième moitié de novembre. Septembre-octobre-novembre étant enfin des mois consacrés au CHEM.

Rappelons qu’il continue de donner des conférences à Polytechnique et à l’Ecole de Guerre durant ce temps. Une fois d’ailleurs, comme le rapporte son fils, du Vigier sut capter l’attention des polytechniciens, en 1938, alors qu’il donnait un cours sur la Cavalerie motorisée, il réalisa, alors qu’il allait tomber à la renverse, « un saut périlleux en arrière avec bottes et éperons » . « Le fait qu’il était bien retombé sur ses pieds et qu’il enchaîna, comme si de rien n’était, sur le rôle formateur qu’il reconnaissait toujours au cheval, d’apprendre à son cavalier à savoir tomber et à remonter aussitôt sur sa monture » , fit qu’il su transmettre sa pensée à ses auditeurs sur la Cavalerie. Il leur fit comprendre que la Cavalerie devait conserver le cheval comme « modèle et comme éducateur » faute de pouvoir le conserver comme moyen d’action. Il leur exposa que le cheval, qu’il aimait toujours profondément – n’oublions pas que c’est un cavalier monté à l’origine – reste et restera le seul moyen de transport véritablement « tout terrain » ce qui peut surprendre à première vue. Faisant l’apologie des thèmes qui l’avaient rendu célèbre par sa Reconnaissance de 1914, il leur démontra l’importance que conservait le cheval, même si son cours n’en avait pas fait mention depuis le début. Il développa la complémentarité qui existe entre le cavalier et le cheval, ce dernier possédant l’instinct permettant de prévenir un danger proche ainsi qu’un dévouement à toute épreuve. Il démontra enfin que le cheval est un éducateur et que par sa longue pratique, le cavalier apprend à le soigner, « pour mettre un cheval au mieux de sa condition et pour l’y maintenir ». Ce cheminement, nous l’avons déjà vu à l’œuvre à Reims quand du Vigier fit comprendre à ses hommes qu’ils devaient considérer leurs engins comme leurs chevaux. La suite de ce cours allait dans ce sens bien sûr, agrémentant même d’un exemple le passage pour ainsi dire naturel et instinctif qui s’était fait entre le cheval et le char : il leur raconta qu’après les manœuvres de 1932, le général Maurin avait constaté avec satisfaction « que le matériel automobile avait subi très peu de dégradations. » . Il expliqua donc à ses auditeurs que cela était tout à fait normal, même pour conducteurs novices, car les cavaliers « savaient, d’expérience immémoriale, qu’arrivés à l’étape, ils devaient des soins à leurs moyens de manœuvre avant de penser à leur propre repos. La technique avait changé d’objet, non de méthode. Quant aux facultés d’ordre plus élevé : audace, sang-froid, prévision, etc. que nous avons vues si nécessaires au chef de Cavalerie, qui les développe davantage que le cheval ? Un parcours sur des obstacles un peu sévères oblige à prendre une série de décisions rapides en période de crise et à placer des gestes au moment précis où ils sont nécessaires, quelles que puissent être les difficultés du moment. Le travail de manège, par la finesse, le tact et la correction qu’il comporte, rend en outre habituelle une certaine élégance de forme et de tenue qui est de tradition dans l’Arme et qui doit s’y conserver. » Ce passage bien qu’un peu long pourrait d’ailleurs être cité pour la façon dont du Vigier pensa toute sa vie, en cavalier. Lui-même avait fait cette transition, du cheval au moteur. Malgré tout, cela n’avait rien changé à la Cavalerie qui dans son essence, restait la même…

Pour finir, sa deuxième année au Centre d’Etudes Tactique lui octroie de nouveau les éloges de son supérieur : « Inscrit au tableau, le Commandant du Vigier a gagné encore, si possible, en autorité et en maîtrise. Sa notoriété comme professeur et chef de Cavalerie dépasse le Centre Interarmes et lui a valu le choix flatteur de collaborer efficacement à la rédaction des règlements de l’arme et de participer à tous les exercices des grandes unités de Cavalerie – sur lesquels nous reviendrons –. Cet officier supérieur mérite d’arriver rapidement à des commandements dignes de sa valeur professionnelle et morale et de bénéficier de mesures exceptionnelles qui seules, lui permettront d’accéder aux plus hauts échelons de la hiérarchie. »

Reprenons l’agenda de du Vigier pour sa dernière année au CETI, l’année 1939, où il poursuit ses cours avec les mêmes habitudes que les années précédentes. Il travaille à l’ESG durant l’été puis reprend ses cours au CETI du 20 février au 20 mars, par le cycle des Colonels. Durant deux mois, de juin à juillet, il est au camp du Valdahon pour suivre les manœuvres. Puis il retourne à Versailles pour dispenser ses cours d’instruction générale sur la Cavalerie, ce qu’il fait très régulièrement depuis deux ans. Il participe toujours aux conférences du CHEM d’octobre à décembre ainsi qu’à l’Ecole de Guerre, tout en poursuivant son enseignement à Versailles. Enfin la traditionnelle présentation du matériel qui lui est chère a lieu au camp des Loges le 7 juillet. Le 1er septembre, alors qu’il se prépare à partir pour les traditionnelles manœuvres, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Du Vigier rejoindra sa nouvelle affectation : chef du 3ème bureau du Corps de Cavalerie, lui qui avait dirigé un cours au CETI pour les officiers de 3ème bureau d’Armée, était le mieux placé pour ce poste, où il prépara de nouveau le déroulement de manœuvres qui furent bien réelles cependant… Pour sa dernière année, le général Daille termine ses éloges pour son chef de la section cavalerie en mettant en avant la « largueur de vue » de du Vigier, la « justesse de ses décisions », affirmant qu’il a acquis une fois de plus « une autorité accrue et reconnue par tous ses auditeurs. […] son sens profond des possibilités de la Cavalerie moderne, son jugement équilibré […] constituent un ensemble de qualités qui rendent cet officier supérieur digne d’accéder aux plus hauts emplois dans son arme. »

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 22 Juil 2009, 10:18
de Vincent Dupont
… mis en pratique sur le terrain…

Après avoir vu quel était l’emploi du temps général de du Vigier, quels étaient ses cours tout au long de l’année, nous allons montrer comment ses vues, sur le terrain, s’exprimaient après les avoir exposées. Nous disposons pour cela des plans de manœuvre de l’Inspection de la Cavalerie mais également des Papiers Touzet du Vigier dans lesquels nous pouvons découvrir l’autre versant des cours que nous avons abordé précédemment, sous un angle pratique désormais. Cette étude nous permettra donc de mieux définir quels sont les aspects tactiques majeurs que du Vigier entend enseigner à ses élèves, tous Centres confondus, en les exposant puis en les mettant en pratique devant leurs yeux et les nôtres. Nous avons pu voir que le Cours des Commandants occupait une place importante dans l’année, avec un suivi pratique au camp du Valdahon (Jura) puis de nouveau des stages à Versailles. Ce cours au Valdahon comporte des archives dans lesquelles nous pouvons voir en détail les thèmes de ces travaux. Travaux pour lesquels il reçu l’approbation de ses chefs, le général Daille le notant ainsi en 1939 : « A présenté de la façon la plus remarquable au camp du Valdahon une série d’exercices aux troupes extrêmement intéressants. Officier à pousser sans retard. » . Ces simulations au Valdahon permettaient par exemple l’étude de l’emploi des Groupes de Reconnaissance Divisionnaire sur le terrain. La manière dont devait se dérouler la prise de contact, la sûreté, la liaison, la défensive ou encore l’exploitation, en somme les manœuvres traditionnelles de Cavalerie étaient soigneusement étudiées, et appliquées à ces groupements mixtes ou motorisés dont du Vigier est, rappelons-le l’initiateur et le théoricien particulier. Du Vigier pousse le réalisme dans ses exercices à simuler la présence de deux états (bleu et rouge comme le veut la tradition) de part et d’autre du Doubs et faire travailler ainsi ses élèves sur la prise de contact et la découverte vers cette frontière fictive. On comprend dès lors pourquoi il réussit si bien sa percée vers le Rhin en 1944, connaissant parfaitement le terrain sur lequel il évolue.

En attendant les chevauchées de blindés de la Libération, du Vigier poursuit ses exercices, préparant, toujours avec les GRD, les différentes tactiques d’emploi alors en application, comme l’avance par bonds successifs, tel que le feront les DLM en mai 1940 en Belgique. Du Vigier va donc pouvoir également développer sur le terrain ses conceptions en matière de combat interarmes. Ainsi, il insère comme donnée dans ses exercices tactiques l’importance des postes de transmissions et des PC mobiles, afin que le renseignement soit transmis au plus vite et que les grandes unités soient plus à même de s’adapter à la situation. Cette théorie est d’ailleurs soutenue par le 2ème bureau qui demande officiellement au directeur du CETI de mettre du Vigier à leur disposition durant deux jours en mars 1937, ceci afin d’étudier les meilleures possibilités de renseignement dans le cadre de l’exploration d’une DLM dans un cours aux officiers de 2ème bureau d’Armées. Du Vigier, durant son passage au CETI, fera en effet des transmissions son « cheval de bataille ». En effet la Cavalerie se modernisait, ses chars et automitrailleuses étaient excellents, sa tactique se précisait. Mais restait toujours le problème des transmissions, et, cruelle ironie du sort, c’est ce manque de moyens de transmissions, notamment entre les chars, qui causa le débordement des formations blindées françaises en mai 1940. Voilà pourquoi du Vigier va s’attacher également à prouver l’intérêt de la radio et des transmissions dans ses cours. Aux manœuvres de Mourmelon de 1936, il en fait un thème principal et l’inclut dans ses conférences sur les DLM. Nous avons d’ailleurs vu que du Vigier accordait une place importante à la présentation du matériel. Les radios, tout comme les chars, les véhicules de Cavalerie divers, le matériel de génie (mines notamment) ou d’artillerie, étaient demandées par du Vigier pour ses présentations au Camp des Loges ou au Camp de Satory. Nous avons enfin trouvé d’autres cours, dispensés par du Vigier à l’Ecole des Chars de combat par exemple, en novembre 1938, ayant pour thème « la Division de Cavalerie a laissé la place à la Division Légère Mécanique ». Cette pensée se retrouve encore dans le traditionnel cycle d’instruction des commandants où il met en avant le deuxième type d’unité qui lui est cher : le groupe de reconnaissance et ses missions.

Les exercices du CHEM occupèrent également une place importante dans l’année pour du Vigier, qui se chargea, tout comme pour son cours d’instruction tactique des Commandants, des conférences et des manœuvres pratiques. Le fond privé Touzet du Vigier au SHAT nous permet ainsi d’observer les travaux que du Vigier a dirigés pour le stage du CHEM en 1939. Le premier travail met encore en avant les thèmes qui lui sont chers : missions de la cavalerie, exploration notamment, que les transmissions doivent faciliter, l’importance de la couverture aérienne et de la DCA, travaux sur la défensive mais également sur la contre-attaque, les unités mécaniques permettant ce type de mission. Toutes les données tactiques qui firent la supériorité des divisions blindées par la suite sont donc enseignées. C’est ainsi qu’il présente un plan de simulation d’une contre-attaque par une Brigade de Combat, en définissant sa mission, ses moyens, le terrain et l’ennemi. Sur le plan tactique, du Vigier entend former ses auditeurs à ne rien laisser au hasard, en maîtrisant toutes les données du champ de bataille. Ceci afin qu’une action de cavalerie motorisée ou mécanique, ce que beaucoup n’avait encore jamais vu, ne soit compromise par méconnaissance de la tactique à employer. Il développe également l’exemple d’une action retardatrice en avant d’une position, insistant sur le mode d’emploi des Groupes de Reconnaissance et de la découverte, tel qu’ils seront utilisés durant la Campagne de France. Son travail consiste en fait à apprendre à rédiger correctement des ordres d’opérations, en ne négligeant aucun aspect. Ses ordres d’opérations, que nous avons retrouvés tant comme chef du 2ème Cuirassiers, de la 5ème BLM voir même plus tard de la 1ère DB sont un exemple de clarté et de rigueur. Ses simulations tendent également en premier lieu à montrer la supériorité tactique des unités mécanisées, de la DLM en particulier, comme Grande unité d’action. C’est ainsi qu’un de ses sujets favoris fut de reconstituer la manœuvre du Corps de Cavalerie Sordet dans lequel il était en 1914, ou bien de reproduire les conditions d’une offensive allemande comme celle de 1918, mais dans les deux cas, en mettant en ligne une DLM. Dans le troisième travail, la réflexion voulue est encore là visionnaire. Il met en place un parti rouge doté d’une DLM et d’une Division de Cavalerie et un parti bleu doté d’un potentiel identique, auquel on a ajouté une compagnie de sapeurs spécialisés dans les fumigènes ainsi qu’un nombre d’engins blindés supérieur à 50% à celui des DLM rouges. Nul n’est besoin de détailler ici ce que l’Histoire a montré depuis : le parti rouge peut très bien être la France et le parti bleu l’Allemagne. Cette dernière, par sa supériorité numérique sur le point d’impact, le schwerpunkt, appuyé par un écran de fumigènes, possède les capacités qui décident de la supériorité tactique sur un adversaire dans une percée.

Enfin un dernier exercice dirigé par du Vigier a retenu notre attention. Cette simulation opposant comme toujours un parti bleu à un parti rouge visait à donner un même objectif à une Division de Cavalerie et à une Division Légère Mécanique. Leur action, la Division Légère Mécanique devant en réalité couper la route à la Division de Cavalerie adverse, et contrôler des objectifs, fut un exercice chronométré. Ainsi, les rapports mais aussi les calques où les temps sont notés cherchent à dévoiler l’écrasante supériorité des Divisions Légères Mécaniques, capables de prendre de vitesse une unité de cavalerie traditionnelle dont les faiblesses opérationnelles sont encore montrées du doigt.

Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau messagePosté: 22 Juil 2009, 10:19
de Vincent Dupont
…qui conduit à la rédaction du Règlement de la Cavalerie.

Nous avons pu voir jusqu’ici quels genres de cours du Vigier dispensait aux différents centres d’enseignement militaire supérieurs de l’Armée française, et sa façon de les appliquer. Mais il faut maintenant aborder la rédaction du règlement de la Cavalerie de 1939 à laquelle il participa et au sein duquel l’emploi de la cavalerie fut déterminé pour les unités à cheval, motorisées ou mécaniques. Ce règlement définit ce que devrait être la cavalerie dans le prochain conflit. Tutes les théories, tactiques d’emploi et missions de la cavalerie y sont présentées telles que du Vigier les a défendues. Ainsi nous allons découvrir de quelle manière la cavalerie entend être utilisée, non plus grâce à des notices provisoires périmées mais grâce à un règlement nouveau.

Tout d’abord, il faut présenter les membres de la commission chargés de sa rédaction, placés sous la direction du général Massiet, Inspecteur de la Cavalerie. On y trouve également plusieurs officiers qui exerceront des responsabilités importantes au sein de la Cavalerie en 1940. Le général Langlois tout d’abord, qui commandera la 3ème Division Légère Mécanique puis le Corps de Cavalerie, succédant au général Prioux. Ensuite nous trouvons le colonel de la Font, qui remplacera le général Langlois au commandement de la 3ème Division Légère Mécanique, puis le général de Gaulle, au commandement de la 4ème Division Cuirassée. Le général René Altmayer fait également partie de la Commission de rédaction, ancien inspecteur de l’arme, il dirige alors la 2ème DLM. Le général Fornel de la Laurencie, commandant la 1ère Division de Cavalerie, est également présent. Il a été directeur de l’Ecole de cavalerie de Saumur lorsque du Vigier y enseignait, comme nous avons pu le voir précédemment. La commission compte également divers officiers consultés pour les autres armes, un professeur de l’Ecole de Guerre, des commandants de brigades de cavalerie, le Lt-Col Arlabosse, chef d’état-major de l’Inspection de la Cavalerie. Puis viennent enfin les deux théoriciens défenseurs de la cavalerie mécanisée : le général Flavigny tout d’abord, commandant de la 1ère DLM. Considéré comme l’« apôtre de la mécanisation de son arme » , il a transmis sa pensée sur les DLM en 1938 et 1939 au CHEM, du Vigier réalisant en quelque sorte les travaux pratiques de son maître. Ces conférences furent d’ailleurs gardées par du Vigier dans ses archives, où Flavigny montrait que « les DLM participaient au fer de lance du corps de bataille et multipliaient la puissance des moyens existants qui permettaient à la cavalerie d’assurer de nouveau ses missions » . Enfin, cette commission comprenait également le Lt-Col du Vigier, du Centre d’Etudes Tactiques Interarmes, dont nous connaissons le parcours. Cette commission eut pour mission de prescrire les modalités d’emploi d’une arme que nous avons vu « coupée en deux par le progrès » .

La cavalerie, rappelons-le, comporte d’un côté, les divisions de cavalerie (DC) devenues par la suite divisions légères de cavalerie (DLC) et de l’autre les divisions légères mécaniques (DLM). Les premières sont dotées d’une organisation mixte, où cohabitent cheval et moteur, « oil and oats » comme les Anglais qualifient ces divisions hybrides. Les secondes sont considérées comme les unités les plus modernes de l’armée française. Ces différences fondamentales poussèrent donc les membres de la commission, dont la composition variée invite à comprendre cette démarche, à compartimenter pour chaque chapitre les unités et leur mode d’emploi, en deux groupes : les unités de cavalerie montées, motorisées (dragons portés et motocyclistes) et les unités mécaniques (automitrailleuses et chars). Une des principales caractéristiques communes retenues pour tous les types d’unités sans distinction fut « la mobilité jointe à la puissance de feu », qui faisait abstraction du temps et du lieu. Les performances techniques ponctuelles du cheval furent rappelées afin de justifier son existence. Les rédacteurs furent cependant lucides et se penchèrent principalement sur les missions dont seules les DLM pourraient remplir les modalités d’exécution. Renseigner, couvrir et combattre demeuraient cependant les missions traditionnelles de l’arme. Mais c’est la cavalerie blindée qui allait les assumer désormais, en liaison étroite avec les autres armes, bien que la coopération avec l’aviation ne soit que rapidement évoquée. Mais l’on sait qu’elle n’est pas étrangère aux préoccupations des officiers de l’arme, du Vigier lui-même insérant les paramètres de couverture aérienne et de DCA dans ses simulations sur le terrain.

Enfin, après avoir signifié le but de ce règlement et ce que, en définitive, il portait comme intérêt à la cavalerie mécanisée, nous allons présenter brièvement – ce règlement fait 265 pages – les principaux thèmes abordés dans ce règlement. Le titre I portait sur les missions de la cavalerie. A l’honneur étaient les missions des GU de cavalerie, dans l’offensive comme dans la défensive, puis les missions des groupes de reconnaissance, dont nous avons déjà montré quel intérêt du Vigier y portait. Il préfacera d’ailleurs le Mémorial des GRCA et GRDI après guerre, lui qui avait contribué à définir les modalités tactiques de leur emploi. Le titre II abordait les moyens de la cavalerie. On rentrait pour ainsi dire dans le vif du sujet, car la différence était établie entre les unités à cheval, les unités motorisées et les unités mécaniques. De là, la différence dans leur emploi tactique malgré les mêmes missions allait montrer, comme nous venons de le voir, la supériorité des unités mécaniques. Cette supériorité apparaît à travers les chapitres où les différences entre matériels utilisés par la cavalerie sont mis en évidence. Ensuite les possibilités de coopération avec les autres armes achevèrent de creuser le fossé entre le cheval et le char sur le terrain. Le Commandement faisait l’objet du titre IV, le rôle du chef étant très important, du Vigier s’y appliquera durant toute sa carrière. Le titre V portait sur l’exécution des missions des grandes unités de cavalerie. Toutes les missions y étaient présentées, les DLM se distinguant dans la définition de toutes les missions. Les thèmes suivants étaient le combat des GU de cavalerie puis des unités subordonnées, des cas particuliers de combat sur le terrain étaient abordés, un titre déterminait l’emploi précis des Groupes de Reconnaissance et le dernier titre concernait les services.