Un post lancé par JARDIN DAVID souhaitant aborder la place de l'armée de Vichy dans la résistance, de ses officiers, je me suis dis pourquoi pas rajouter un autre morceau du mémoire (toujours pour ceux qui aiment la lecture, car c'est long). Je rajoute donc le chapitre fait par votre serviteur sur le passage de Touzet du Vigier à la tête du 3e bureau de l'EMA. Bien sûr, comme le reste, ces posts sont à la disposition des "scribes" de l'Histomag .
Dernière chose, si un admin ou un modo passant par là pouvait déplacer ce post dans le forum les grandes figures de la SGM, cela serait plus approprié...
Place au texte...
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Chef du 3e bureau de l’état-major de l’armée de Vichy
Nous allons maintenant étudier l’action entreprise par Touzet du Vigier et ses hommes alors qu’il est nommé à la tête du 3e bureau de l’EMA le 16 novembre 1940, jusqu’à sa mutation en janvier 1942.
Les fonctions officielles du 3e bureau au sein de l’EMA
Il nous faut tout d’abord présenter l’organisation de l’état-major de l’armée de Vichy et la place que doit y tenir le 3e bureau de façon officielle. Ainsi, Du Vigier, après avoir passé plusieurs jours au 3e bureau pour se familiariser avec ce nouvel environnement et surtout après avoir rassemblé une équipe, prend en main le 3e bureau le 18 novembre. Les fonctions du 3e bureau en temps en guerre sont de préparer les opérations et de veiller à l’instruction, or pour une armée devant demander l’autorisation au vainqueur avant de déplacer ses troupes, cet aspect est plutôt restreint. Officiellement, donc, le 3e bureau est chargé de s’occuper de l’instruction de l’armée, tâche qui est d’ailleurs dans le prolongement du travail commencé par du Vigier à la direction de la cavalerie, mais il se voit attribué d’autres taches que nous allons présenter.
Mais avant de présenter les missions du 3e bureau de du Vigier, il convient de présenter l’équipe dont il s’entoure. A la tête donc, Touzet du Vigier, qui sera fraîchement nommé colonel le 25 décembre 1940 . Son bras droit, sous-chef du 3e bureau, est le lieutenant-colonel Clogenson, artilleur que du Vigier avait déjà pris à son bord à Dunkerque. Cette direction dispose d’un secrétaire. Le reste des officiers qui l’entoure est divisé en différentes sections de travail .
La première de ces sections est la section E, qui s’occupe des Etudes générales ainsi que de l’organisation du 3e bureau. Elle est chargée du maintien de l’ordre et de la discipline. Le commandant Moillard dirige cette section jusqu’au 20 décembre 1941 avec sous ses ordres le commandant Louis Bosc, qui lui succédera provisoirement, ainsi que le capitaine Henri Mesnet, chargé de la ligne de démarcation.
La section I, commandée par le commandant Desazars de Montgailhard puis par le commandant Dillmann, s’occupe quant à elle de l’instruction générale de l’armée. Elle se compose de deux sous-sections : du commandant Agostini et du capitaine Boreau de Roince (Instruction de l’armée, écoles, cours et stages pour les cadres et la troupe) et enfin du lieutenant-colonel Van Gehuchten (pelotons d’instruction, instruction militaire sportive et camps à cet usage). Y est rattachée la section M chargée de l’étude du matériel.
La section G quant à elle est chargée de l’emploi de l’armée. Son chef est le commandant Durieux, chargé des questions de principe sur l’emploi de l’armée. Le commandant Pelabon est chargé également du maintien de l’ordre et de la Garde mobile. Ils disposent d’un chancelier chargé du budget et des moyens d’instruction. Cette section est chargée de la répartition des moyens mis en œuvre pour la surveillance de la ligne de démarcation ainsi que de la préparation de renforts éventuels pour les territoires d’outre-mer (TOE). Est également rattaché à cette section le bureau du commandant Metaye et du capitaine Gambiez (Moral et propagande, état d’esprit, bulletin d’informations ainsi que jeunesse et scoutisme).
Le lieutenant-colonel d’Arnaud de Vitrolles forme quant à lui une sous-section en temps qu’officier de liaison de l’Armée de l’Air chargé de la défense aérienne du territoire (DAT), du guet et de la répartition des forces terrestres antiaériennes (FTA), en ce sens il est rattaché à la section G.
La section T, commandée par l’ingénieur en chef Roulaud, est chargée des transmissions, avec le capitaine Leonard et l’ingénieur Abadie. Cette section avait une importance particulière aux yeux de du Vigier, car comme de nombreux officiers, il avait été déçu par les moyens de transmissions, alors dépendants de la direction du Génie, durant la campagne. Il travailla donc à créer l’arme des transmissions, indépendante du Génie . Ce changement fut d’ailleurs bénéfique par la suite, puisque des officiers des transmissions affectés au ministère des Communications projetèrent d’installer une dérivation pour espionner les conversations téléphoniques allemandes à partir du câble Paris-Metz-Berlin dès octobre 1941. Cette idée prit forme en avril 1943 et les écoutes durèrent cinq mois.
Enfin la section cartographique qui devient rapidement l’Institut Géographique National (IGN) ainsi que le service cinématographique sont rattachés au 3e bureau. Ce service constituera bientôt des lots de cartes, notamment pour les opérations dites de maintien de l’ordre qui seront transmises aux Alliés en 1943. Il existe enfin un service cinématographique rattaché au 3e bureau.
Les effectifs du 3e bureau à la fin de l’année 1941 s’élève à vingt-six officiers et neuf civils, soit un total de trente-cinq personnes.
Passons maintenant au travail exécuté par cette équipe. Tout d’abord le 3e bureau est chargé de compiler les résultats d’enquêtes sur les enseignements tirés de la campagne qui vient de se dérouler, afin de déterminer quelles sont les leçons à tirer des erreurs de l’armée française. Ces enseignements sont regroupés par armes et au sein de chacune les plus hauts gradés produisent d’imposants rapports sur les leçons reçues de cette brève campagne. Ce travail a été en grande partie exécuté par le prédécesseur de du Vigier, le colonel Lagarde, mais les « enseignements », utiles pour instruire l’armée, vont cependant continuer d’arriver au 3e bureau durant le reste du conflit. On y observe donc, basés sur des récits de combats individuels ou collectifs demandés aux commandants d’unités, des rapports sur l’utilisation des blindés durant la campagne . Le général Keller, inspecteur des chars, les généraux Delestraint, Blanchard, Besson, Georges ou encore Olry produisent d’importants rapports avec des projets de réorganisation mentionnant la composition des « divisions blindées futures ». D’autres officiers proposent des projets de réorganisation de l’arme comme le lt-col de Vernejoul, où il est déjà question de fusionner les chars et la cavalerie, ou tout simplement, comme le lieutenant Vié, qui fut sous les ordres de Touzet du Vigier, un rapport sur le matériel durant la campagne. Une importante étude réalisée à partir des témoignages recueillis auprès de plusieurs dizaines d’officiers de toutes armes apporte un rapport de qualité sur la tenue des engins blindés dans l’offensive, la défensive, le combat entre engins blindés, la liaison avec l’aviation ou encore la lutte anti-char. Le même travail est fait pour l’artillerie et pour le génie . Un rapport provenant de l’attaché militaire à Bucarest apporte même des réflexions sur les enseignements de la campagne de Russie dès décembre 1941 , sur les tactiques et stratégies défensives de type guérilla notamment. Des études sur la tactique allemande observée ainsi que sur les engins nouveaux sont également déposées . Nous le verrons plus loin mais ces constatations motiveront l’orientation des plans de défense de la zone non-occupée jusque novembre 1942.
Nous l’avons vu plus haut, le 3e bureau (section E) a également en charge la gestion de la ligne de démarcation , ce qui aura une certaine utilité pour l’organisation clandestine du 3e bureau comme nous le verrons plus loin. Après l’instauration par l’armistice d’une ligne de démarcation, il faut en effet, du coté français, contrôler la ligne qui sépare la zone occupée de la zone non-occupée. Ceci passe par la surveillance des points de franchissement, la surveillance des étrangers, des personnes entrant en zone libre, la protection des militaires français évadés, notamment venant s’engager en zone libre, le contrôle des mouvements de marchandises ou encore la gestion des incidents avec les troupes allemandes et italiennes. Cette section est également chargée de l’affectation des unités chargées de la surveillance de la ligne ainsi que de leur relève. Sur ce point un des objectifs majeurs de du Vigier et de cette section fut de réduire au minimum l’importance des effectifs de l’armée affectés à la ligne, en remplaçant les unités militaires par des unités de gendarmerie ou de douaniers , jugeant que ce n’était pas la place de soldats que l’on pourrait regrouper en unités à l’arrière. Le 3e bureau rédigea d’ailleurs une note à cet effet en avril 1941, soulignant : « l’intérêt qui s’attache à libérer le maximum d’unités de l’Armée, d’une mission de police et de douane qui ne répond pas à sa mission normale à et son organisation. »
Afin de maintenir la discipline et le moral, mais également pour transmettre les directives concernant l’instruction, du Vigier est également amené à effectuer des tournées d’inspection auprès des unités, accompagnés des officiers concernés au sein du 3e bureau. Pour la partie défense aérienne du territoire, le rôle du 3e bureau consiste au renforcement des moyens antiaériens en métropole comme en AFN ou au Levant, à l’instruction et l’entraînement des FTA . Il doit également s’assurer que la dotation en matériel soit la plus moderne possible en général, pour tout ce qui concerne la défense passive , comme les projecteurs par exemple. Bien sûr tout ceci devant passer par les commissions d’armistice allemandes ou italiennes.
En matière de maintien de l’ordre, des « plans de maintien de l’ordre » sont échafaudés, la participation des chantiers de la jeunesse et des FTA est prévue dans le cadre du maintien de l’ordre . L’hypothèse d’une invasion de la zone sud ou d’un retrait allemand de la zone nord, même illusoire, est au cœur des plans de maintien de l’ordre.
Ainsi la question de la conduite à tenir en cas d’avancée allemande est posée dès janvier 1941 par le chef d’état-major de l’armée, le général Picquendar, du point de vue du maintien de l’ordre : « […] ce qu’il nous faut rechercher et obtenir, en pareille occurrence, c’est le maintien sur place et dans l’ordre de la population. On ne doit pas revoir l’exode de juin dernier, ni le désordre qui en serait la conséquence inévitable. Or l’armée de l’armistice n’a pas les moyens de s’opposer par la force à une véritable avance militaire ennemie. N’étant pas en mesure de soutenir la lutte, elle assurera sa mission, en donnant l’exemple à tous dans la discipline et la dignité, en protestant contre la violence qui nous est faite. En outre, les bruits récemment répandus tendant à faire croire à une irruption imminente des troupes allemandes en zone libre paraissent venir à l’appui d’une manœuvre politique en cours : ils peuvent être l’œuvre d’agents provocateurs intéressés à son succès. J’ai l’honneur, en conséquence, de vous demander de n’accueillir qu’avec la plus grande circonspection les rumeurs de cette nature et, dans la mesure du possible à en déceler l’origine. » De même, une note de service du 2 mars 1942 du commandant la 12e DM pose également la question : « Au cours d’une inspection, une Commission de contrôle a posé la question suivante : « Simple hypothèse : si les forces allemandes franchissaient la ligne de démarcation, que feraient les postes ? » à laquelle il a été répondu : « Ils se replieraient sans combattre ». A ma connaissance une telle éventualité n’a pas été envisagée. » . Du Vigier réfléchit néanmoins à cette probabilité d’invasion allemande en planifiant une action combinée avec les forces de débarquement anglo-américaines sur la côte méditerranéenne (plan qui sera celui exposé par le général Giraud à l’automne 1942). A ce moment, l’Armée d’armistice tiendrait un « point d’appui » sur la ligne Alpes-Cévennes, les unités stationnées plus au nord faisant mouvement vers le sud en direction de cette ligne, tandis que les unités côtières remonteraient vers l’intérieur des terres. La section E – et de par ses membres le bureau d’étude sur lequel nous reviendrons – mit en place une étude géographique du terrain en zone non-occupée permettant facilement la résistance, mettant en avant les points de résistance possibles comme le « robinet de Donzère » pour la vallée du Rhône . Cette étude mit donc en avant les bases géographiques d’une organisation défensive généralisée de la zone sud, s’appliquant à évaluer la valeur défensive des couronnes montagneuses des pays méditerranéens. Un système dit « des îlots et des masses » s’y rattacha, augurant une résistance armée de type guérilla face à l’hypothétique avancée allemande. Les plans sur ce point furent mêmes poussés jusqu’à la place que devraient tenir les différentes divisions dans le déroulement de ces opérations. Des officiers au sein de chaque division avaient des ordres à faire appliquer le moment venu.
Le cas d’un retrait des forces d’occupation allemande est également soumis, et rentre dans le cadre de la création et de l’action des Groupes d’Auto-Défense (GAD) sur lesquels nous reviendrons.
L’hypothèse d’un retrait allemand – qui entraîne la préparation de plans de réoccupation de la zone nord – est en fait perçue comme un risque de trouble, communiste notamment, comme le souligne une note du 22 janvier 1941 du général Huntziger relative au : « danger d’émeutes communistes dans Paris, lorsque les troupes d’occupation quitteront cette ville. […] nécessité d’étudier dès maintenant un plan de protection de la capitale qui serait mis en application dès le départ des troupes allemandes, avec tous les moyens (police, garde, éléments de l’armée d’armistice) que l’on pourrait amener à pied d’œuvre. » Cette note expose également les nécessités de telles mesures : « 1) Organisation d’un service de renseignements qui suive dans la région parisienne le mouvement communiste et précise à chaque instant : son organisation, ses moyens, son plan d’action ; 2) Organisation d’un système de liaison sûr, entre Paris et le gouvernement et à l’intérieur de la région parisienne ; 3) Organisation d’une force d’intervention composée de forces de police régulières, d’éléments de l’armée d’armistice, de forces supplétives (volontaires) dont le recrutement et l’organisation seraient à déterminer ; 4) Emploi de la force d’intervention en fonction des hypothèses que l’on peut faire sur la forme et le développement des troubles ». Le 3e bureau est donc chargé d’établir des plans permettant de résoudre ces difficultés, en liaison avec les autres bureaux de l’état-major de l’armée. Or ces plans sont faussés à la base car tablant sur un départ hypothétique des Allemands. En effet les auteurs de ces projets estimaient que les pertes considérables essuyées par l’armée allemande en Union Soviétique à l’automne 1941 et l’indisponibilité prolongée des forces allemandes engagées dans les profondeurs russes en 1942 provoqueraient le retrait allemand du nord de la France. Un mois plus tard un plan de protection de Paris sera soumis à l’état-major de l’armée et le 7 août c’est un plan spécial en vue du retour du gouvernement qui est proposé. Ce dernier est accompagné d’un plan identique de maintien de l’ordre du colonel Faurelle sur lequel du Vigier et le 3e bureau font des remarques : « 1) l’hypothèse envisagée est dominée pour nous par l’attitude du gouvernement français (donc de l’armée française) vis-à-vis du Reich (donc de l’armée allemande) ; ce point essentiel est systématiquement passé sous silence dans la note du colonel Fauvelle. 2) Si l’attitude du gouvernement française n’était pas agressive, il serait néanmoins indispensable que l’armée allemande ait évacué Paris préalablement à l’arrivée de toute formation militaire française. Sur le plan « Police » la collaboration franco-allemande est aujourd’hui inévitable et d’ailleurs indispensable, elle ne peut être envisagée sur le plan « répression » au moyen de formations militaires. Ces observations initiales faites, le 3e bureau estime que l’hypothèse envisagée nous met en face de 2 problèmes distincts : 1) le gouvernement français ne prend pas vis-à-vis du Reich une attitude agressive, dans ce cas, s’il veut conserver la direction d’un mouvement spontanée qu’il ne sera pas en mesure d’empêcher ou il sera balayé par ce mouvement et la colère soulevée par son attitude. 2) le gouvernement français prend vis-à-vis du Reich une attitude agressive et dans ce cas, le problème du maintien de l’ordre à Paris rentre dans le cadre du plan de libération du territoire national, dont il n’est qu’un cas particulier. »
Une fois la question de l’attitude politique à tenir soulevée, du Vigier met en avant l’aspect opérationnel : « Les formations militaires ne pourront atteindre Paris avant d’avoir mis la main sur le nœud de communication de Tours-Angers-Le Mans, condition essentielle à l’achèvement de la désorganisation des forces allemandes et à la sûreté de nos forces dirigées ensuite sur Paris. Le 3e bureau estime donc que la collaboration Armée-Intérieur doit être strictement limitée à l’étude du plan de maintien de l’ordre dans Paris, par la collaboration de moyens militaires (2 ou 3 GM) et de police sans aucune hypothèse sur les conditions de temps et d’acheminement des forces militaires sur la capitale. » Cette présente note est indiquée comme ayant été soumise au général Verneau qui l’approuve. Différents plans vont être ainsi conçus par la section E, avec les nécessités militaires que cela impose : effectifs à renforcer dans l’hypothèse du maintien de l’ordre sous la direction du préfet de Paris ou dans l’hypothèse de troubles ou menace de troubles graves sous la direction du commandement militaire français (en l’occurrence il est prévu que ce soit le général De Lattre qui prenne le commandement de l’armée de Paris ). Il se peut également que le risque de troubles communistes soit un leurre pour l’état-major de l’armée pour préparer la réoccupation de Paris, mais il se peut également que ce soit une réelle crainte comme l’exprime le général Huntziger : « Dans le cas où la puissance occupante serait amenée un jour à évacuer rapidement Paris, de graves troubles communistes menaceraient la capitale momentanément privée de forces de maintien de l’ordre suffisantes. Quel que soit le degré de probabilité de tels évènements, leurs conséquences seraient tellement graves qu’il convient de rechercher en tout état de cause les moyens d’y parer. En conséquence, l’état-major de l’armée voudra bien étudier, en collaboration avec le ministère de l’intérieur, le plan des dispositions à prendre pour maintenir l’ordre à Paris dans l’hypothèse envisagée plus haut. » Toujours est-il qu’officiellement cette démarche sera approuvée pour ces raisons par le cabinet du maréchal Pétain.
Bien entendu il n’y a pas que Paris dans les plans de réoccupation de la zone nord. Des plans en cas d’entrée de l’Espagne dans le conflit et d’opérations au Maroc sont également soumis en décembre 1941 . A plus courte portée, il est prévu de prendre Bordeaux et son port, dans l’hypothèse toujours – et comme en 1940 – d’un éventuel secours venant de l’Atlantique. L’EMA n’ayant pas le monopole de ce genre d’idées, le deuxième groupe de divisions militaires exécuta lui aussi un exercice sur carte en 1941 visant à reprendre le contrôle de La Rochelle . Mais il est important de préciser que toute entrée en action de l’armée d’armistice était conditionnée. En effet, il n’était pas question d’entreprendre quoi que ce fut sans être assuré que les Alliés débarqueraient simultanément en France, sur la face méditerranéenne ou atlantique, en force et avec des moyens garantissant qu’une telle opération n’aboutirait pas à une impasse meurtrière sur le sol français . L’entretien que R. Paxton avait obtenu du général Touzet du Vigier rapporte même que pour ce dernier : l’ « on ne pourrait intervenir que dans le cadre d’une coalition ». Bien entendu il fallait pour cela attendre que les Alliés soient prêts, et les plus optimistes des officiers français espéraient un débarquement pour 1943. L’invasion de la zone sud en découragea plus d’un.
Pour ce qui est de l’instruction, confiée au commandant Desazars de Montgailhard, le 3e bureau a la charge de veiller au maintien d’une armée bien entraînée bien que dépourvue d’armes lourdes. Du Vigier prête une grande attention à l’instruction, participant lui-même aux tournées d’inspection en métropole comme en AFN comme l’indique ses carnets. Ceux-ci indiquent les lieux où du Vigier participe aux inspections. A la fin du mois de février, c’est le sud de la France qui fait l’objet d’inspection, puis du 15 au 18 mars, le sud-ouest. A Auch notamment, le colonel Schlesser – ancien du 2e bureau – a déjà commencé l’instruction du 2e régiment de dragons selon les nouvelles directives, mais participe également à la mise en place de cachettes d’armes dans la région. L’éducation physique et sportive est en effet mise en avant dans toutes les unités et dans les écoles. Bien que n’ayant pas les moyens d’une armée moderne, les nouvelles tactiques, inspirées des leçons reçues de la campagne, sont également enseignées, comme le combat de rue, l’infanterie aérotransportée . Du Vigier encourage et félicite par exemple la création des écoles des cadres comme celle d’Uriage par Dunoyer de Segonzac ou encore celle d’Opme par le général De Lattre de Tassigny . Au mois de mai, du Vigier visite Avignon et Orange, rendant visite à son camarade Henri de Vernejoul, commandant le 12e régiment de cuirassiers. Le 27 août, il visite l’école des cadres d’Opme. Sa plus longue inspection fut celle en AFN, du 13 au 22 octobre 1941. Durant cette visite, il inspecte plusieurs écoles militaires, dont l’école de cavalerie de Hussein Dey à Alger puis Bizerte, Tunis, où il rencontre à nouveau De Lattre. Ensuite il part inspecter la ligne de Mareth et revient en métropole. Sur le point de la Ligne de Mareth, il est intéressant de se pencher sur les carnets de du Vigier. En effet, la visite de la Tunisie sembla lui donner des idées car il note : « Travaux dans le sud tunisien pour remettre en état et réarmer les organisations existantes » ou encore « 8 DI en AFN, il en faudrait 3 blindées+2mot+3N = 8 ; 1er stade : moderniser les 8 existantes ; 2e stade : augmenter de 4 à 6 divisions nouvelles ; But final : 14 div. ; Div Normale : 100 CAC par div (84) et 100 petits calibres DCA (87) ; Div Blindée : 200 AM – 400 chars. » ce qui laisse entrevoir les projets de réarmement en AFN.
Il est également question, comme nous venons de le voir, que les écoles de cadres ou encore les chantiers de la jeunesse prennent part aux opérations de maintien de l’ordre si celles-ci devaient avoir lieu. Le 3e bureau est en fait chargé de donner une ligne de conduite pour l’instruction et d’organiser les compétitions sportives en métropole, entre métropole et AFN voir des rencontres dites « internationales » qui ont lieu en Suisse.
Bien sûr à coté de l’instruction et de la culture physique en image d’Epinal de l’armée, dès le 21 août 1940, une directive met en place : « l’organisation d’une instruction motorisée « camouflée » », ce qui laisse augurer du caractère officiel douteux des actions du 3e bureau. Cette directive vise à continuer l’instruction d’un maximum d’effectif pour les formations mécanisées. Sous la direction effective mais dissimulée de l’armée, des organismes vont ainsi être mis en place. Ces organismes, répondant donc à un but avoué d’équipement économique du pays ou d’émulation sportive, permettront en fait l’instruction et l’entraînement du personnel de « L’Arme Motorisée ». C’est donc ainsi que furent créés : la Fédération Motocycliste Française (FMF) , pour le développement du sport motocycliste, avec l’arrière pensée de faciliter la formation d’unités de fusiliers-motocyclistes. Mais également la Coopérative des Grands Travaux Agricoles (CGTA), dont le but est d’accélérer la remise en culture des terres en friche, tout en préparant le personnel des Unités blindées chenillées. La Société des Transports Ruraux (STR), à ne pas confondre avec les Travaux Ruraux, est quant à elle créée pour l’amélioration des transports dans les zones de repeuplement de manière officielle mais est utilisée en même temps pour la formation des Unités de Dragons et d’Infanterie portée. Tous les jeunes gens qui n’avaient pas encore accompli leur service militaire étaient conviés à intégrer ces organisations, ceci afin de leur donner un rudiment d’instruction technique et pratique des engins motorisés. Quant aux autres « mobilisables », cela leur permettrait d’entretenir l’instruction déjà reçue auparavant.
Les fonctions officielles du 3e bureau au sein de l’EMA
Il nous faut tout d’abord présenter l’organisation de l’état-major de l’armée de Vichy et la place que doit y tenir le 3e bureau de façon officielle. Ainsi, Du Vigier, après avoir passé plusieurs jours au 3e bureau pour se familiariser avec ce nouvel environnement et surtout après avoir rassemblé une équipe, prend en main le 3e bureau le 18 novembre. Les fonctions du 3e bureau en temps en guerre sont de préparer les opérations et de veiller à l’instruction, or pour une armée devant demander l’autorisation au vainqueur avant de déplacer ses troupes, cet aspect est plutôt restreint. Officiellement, donc, le 3e bureau est chargé de s’occuper de l’instruction de l’armée, tâche qui est d’ailleurs dans le prolongement du travail commencé par du Vigier à la direction de la cavalerie, mais il se voit attribué d’autres taches que nous allons présenter.
Mais avant de présenter les missions du 3e bureau de du Vigier, il convient de présenter l’équipe dont il s’entoure. A la tête donc, Touzet du Vigier, qui sera fraîchement nommé colonel le 25 décembre 1940 . Son bras droit, sous-chef du 3e bureau, est le lieutenant-colonel Clogenson, artilleur que du Vigier avait déjà pris à son bord à Dunkerque. Cette direction dispose d’un secrétaire. Le reste des officiers qui l’entoure est divisé en différentes sections de travail .
La première de ces sections est la section E, qui s’occupe des Etudes générales ainsi que de l’organisation du 3e bureau. Elle est chargée du maintien de l’ordre et de la discipline. Le commandant Moillard dirige cette section jusqu’au 20 décembre 1941 avec sous ses ordres le commandant Louis Bosc, qui lui succédera provisoirement, ainsi que le capitaine Henri Mesnet, chargé de la ligne de démarcation.
La section I, commandée par le commandant Desazars de Montgailhard puis par le commandant Dillmann, s’occupe quant à elle de l’instruction générale de l’armée. Elle se compose de deux sous-sections : du commandant Agostini et du capitaine Boreau de Roince (Instruction de l’armée, écoles, cours et stages pour les cadres et la troupe) et enfin du lieutenant-colonel Van Gehuchten (pelotons d’instruction, instruction militaire sportive et camps à cet usage). Y est rattachée la section M chargée de l’étude du matériel.
La section G quant à elle est chargée de l’emploi de l’armée. Son chef est le commandant Durieux, chargé des questions de principe sur l’emploi de l’armée. Le commandant Pelabon est chargé également du maintien de l’ordre et de la Garde mobile. Ils disposent d’un chancelier chargé du budget et des moyens d’instruction. Cette section est chargée de la répartition des moyens mis en œuvre pour la surveillance de la ligne de démarcation ainsi que de la préparation de renforts éventuels pour les territoires d’outre-mer (TOE). Est également rattaché à cette section le bureau du commandant Metaye et du capitaine Gambiez (Moral et propagande, état d’esprit, bulletin d’informations ainsi que jeunesse et scoutisme).
Le lieutenant-colonel d’Arnaud de Vitrolles forme quant à lui une sous-section en temps qu’officier de liaison de l’Armée de l’Air chargé de la défense aérienne du territoire (DAT), du guet et de la répartition des forces terrestres antiaériennes (FTA), en ce sens il est rattaché à la section G.
La section T, commandée par l’ingénieur en chef Roulaud, est chargée des transmissions, avec le capitaine Leonard et l’ingénieur Abadie. Cette section avait une importance particulière aux yeux de du Vigier, car comme de nombreux officiers, il avait été déçu par les moyens de transmissions, alors dépendants de la direction du Génie, durant la campagne. Il travailla donc à créer l’arme des transmissions, indépendante du Génie . Ce changement fut d’ailleurs bénéfique par la suite, puisque des officiers des transmissions affectés au ministère des Communications projetèrent d’installer une dérivation pour espionner les conversations téléphoniques allemandes à partir du câble Paris-Metz-Berlin dès octobre 1941. Cette idée prit forme en avril 1943 et les écoutes durèrent cinq mois.
Enfin la section cartographique qui devient rapidement l’Institut Géographique National (IGN) ainsi que le service cinématographique sont rattachés au 3e bureau. Ce service constituera bientôt des lots de cartes, notamment pour les opérations dites de maintien de l’ordre qui seront transmises aux Alliés en 1943. Il existe enfin un service cinématographique rattaché au 3e bureau.
Les effectifs du 3e bureau à la fin de l’année 1941 s’élève à vingt-six officiers et neuf civils, soit un total de trente-cinq personnes.
Passons maintenant au travail exécuté par cette équipe. Tout d’abord le 3e bureau est chargé de compiler les résultats d’enquêtes sur les enseignements tirés de la campagne qui vient de se dérouler, afin de déterminer quelles sont les leçons à tirer des erreurs de l’armée française. Ces enseignements sont regroupés par armes et au sein de chacune les plus hauts gradés produisent d’imposants rapports sur les leçons reçues de cette brève campagne. Ce travail a été en grande partie exécuté par le prédécesseur de du Vigier, le colonel Lagarde, mais les « enseignements », utiles pour instruire l’armée, vont cependant continuer d’arriver au 3e bureau durant le reste du conflit. On y observe donc, basés sur des récits de combats individuels ou collectifs demandés aux commandants d’unités, des rapports sur l’utilisation des blindés durant la campagne . Le général Keller, inspecteur des chars, les généraux Delestraint, Blanchard, Besson, Georges ou encore Olry produisent d’importants rapports avec des projets de réorganisation mentionnant la composition des « divisions blindées futures ». D’autres officiers proposent des projets de réorganisation de l’arme comme le lt-col de Vernejoul, où il est déjà question de fusionner les chars et la cavalerie, ou tout simplement, comme le lieutenant Vié, qui fut sous les ordres de Touzet du Vigier, un rapport sur le matériel durant la campagne. Une importante étude réalisée à partir des témoignages recueillis auprès de plusieurs dizaines d’officiers de toutes armes apporte un rapport de qualité sur la tenue des engins blindés dans l’offensive, la défensive, le combat entre engins blindés, la liaison avec l’aviation ou encore la lutte anti-char. Le même travail est fait pour l’artillerie et pour le génie . Un rapport provenant de l’attaché militaire à Bucarest apporte même des réflexions sur les enseignements de la campagne de Russie dès décembre 1941 , sur les tactiques et stratégies défensives de type guérilla notamment. Des études sur la tactique allemande observée ainsi que sur les engins nouveaux sont également déposées . Nous le verrons plus loin mais ces constatations motiveront l’orientation des plans de défense de la zone non-occupée jusque novembre 1942.
Nous l’avons vu plus haut, le 3e bureau (section E) a également en charge la gestion de la ligne de démarcation , ce qui aura une certaine utilité pour l’organisation clandestine du 3e bureau comme nous le verrons plus loin. Après l’instauration par l’armistice d’une ligne de démarcation, il faut en effet, du coté français, contrôler la ligne qui sépare la zone occupée de la zone non-occupée. Ceci passe par la surveillance des points de franchissement, la surveillance des étrangers, des personnes entrant en zone libre, la protection des militaires français évadés, notamment venant s’engager en zone libre, le contrôle des mouvements de marchandises ou encore la gestion des incidents avec les troupes allemandes et italiennes. Cette section est également chargée de l’affectation des unités chargées de la surveillance de la ligne ainsi que de leur relève. Sur ce point un des objectifs majeurs de du Vigier et de cette section fut de réduire au minimum l’importance des effectifs de l’armée affectés à la ligne, en remplaçant les unités militaires par des unités de gendarmerie ou de douaniers , jugeant que ce n’était pas la place de soldats que l’on pourrait regrouper en unités à l’arrière. Le 3e bureau rédigea d’ailleurs une note à cet effet en avril 1941, soulignant : « l’intérêt qui s’attache à libérer le maximum d’unités de l’Armée, d’une mission de police et de douane qui ne répond pas à sa mission normale à et son organisation. »
Afin de maintenir la discipline et le moral, mais également pour transmettre les directives concernant l’instruction, du Vigier est également amené à effectuer des tournées d’inspection auprès des unités, accompagnés des officiers concernés au sein du 3e bureau. Pour la partie défense aérienne du territoire, le rôle du 3e bureau consiste au renforcement des moyens antiaériens en métropole comme en AFN ou au Levant, à l’instruction et l’entraînement des FTA . Il doit également s’assurer que la dotation en matériel soit la plus moderne possible en général, pour tout ce qui concerne la défense passive , comme les projecteurs par exemple. Bien sûr tout ceci devant passer par les commissions d’armistice allemandes ou italiennes.
En matière de maintien de l’ordre, des « plans de maintien de l’ordre » sont échafaudés, la participation des chantiers de la jeunesse et des FTA est prévue dans le cadre du maintien de l’ordre . L’hypothèse d’une invasion de la zone sud ou d’un retrait allemand de la zone nord, même illusoire, est au cœur des plans de maintien de l’ordre.
Ainsi la question de la conduite à tenir en cas d’avancée allemande est posée dès janvier 1941 par le chef d’état-major de l’armée, le général Picquendar, du point de vue du maintien de l’ordre : « […] ce qu’il nous faut rechercher et obtenir, en pareille occurrence, c’est le maintien sur place et dans l’ordre de la population. On ne doit pas revoir l’exode de juin dernier, ni le désordre qui en serait la conséquence inévitable. Or l’armée de l’armistice n’a pas les moyens de s’opposer par la force à une véritable avance militaire ennemie. N’étant pas en mesure de soutenir la lutte, elle assurera sa mission, en donnant l’exemple à tous dans la discipline et la dignité, en protestant contre la violence qui nous est faite. En outre, les bruits récemment répandus tendant à faire croire à une irruption imminente des troupes allemandes en zone libre paraissent venir à l’appui d’une manœuvre politique en cours : ils peuvent être l’œuvre d’agents provocateurs intéressés à son succès. J’ai l’honneur, en conséquence, de vous demander de n’accueillir qu’avec la plus grande circonspection les rumeurs de cette nature et, dans la mesure du possible à en déceler l’origine. » De même, une note de service du 2 mars 1942 du commandant la 12e DM pose également la question : « Au cours d’une inspection, une Commission de contrôle a posé la question suivante : « Simple hypothèse : si les forces allemandes franchissaient la ligne de démarcation, que feraient les postes ? » à laquelle il a été répondu : « Ils se replieraient sans combattre ». A ma connaissance une telle éventualité n’a pas été envisagée. » . Du Vigier réfléchit néanmoins à cette probabilité d’invasion allemande en planifiant une action combinée avec les forces de débarquement anglo-américaines sur la côte méditerranéenne (plan qui sera celui exposé par le général Giraud à l’automne 1942). A ce moment, l’Armée d’armistice tiendrait un « point d’appui » sur la ligne Alpes-Cévennes, les unités stationnées plus au nord faisant mouvement vers le sud en direction de cette ligne, tandis que les unités côtières remonteraient vers l’intérieur des terres. La section E – et de par ses membres le bureau d’étude sur lequel nous reviendrons – mit en place une étude géographique du terrain en zone non-occupée permettant facilement la résistance, mettant en avant les points de résistance possibles comme le « robinet de Donzère » pour la vallée du Rhône . Cette étude mit donc en avant les bases géographiques d’une organisation défensive généralisée de la zone sud, s’appliquant à évaluer la valeur défensive des couronnes montagneuses des pays méditerranéens. Un système dit « des îlots et des masses » s’y rattacha, augurant une résistance armée de type guérilla face à l’hypothétique avancée allemande. Les plans sur ce point furent mêmes poussés jusqu’à la place que devraient tenir les différentes divisions dans le déroulement de ces opérations. Des officiers au sein de chaque division avaient des ordres à faire appliquer le moment venu.
Le cas d’un retrait des forces d’occupation allemande est également soumis, et rentre dans le cadre de la création et de l’action des Groupes d’Auto-Défense (GAD) sur lesquels nous reviendrons.
L’hypothèse d’un retrait allemand – qui entraîne la préparation de plans de réoccupation de la zone nord – est en fait perçue comme un risque de trouble, communiste notamment, comme le souligne une note du 22 janvier 1941 du général Huntziger relative au : « danger d’émeutes communistes dans Paris, lorsque les troupes d’occupation quitteront cette ville. […] nécessité d’étudier dès maintenant un plan de protection de la capitale qui serait mis en application dès le départ des troupes allemandes, avec tous les moyens (police, garde, éléments de l’armée d’armistice) que l’on pourrait amener à pied d’œuvre. » Cette note expose également les nécessités de telles mesures : « 1) Organisation d’un service de renseignements qui suive dans la région parisienne le mouvement communiste et précise à chaque instant : son organisation, ses moyens, son plan d’action ; 2) Organisation d’un système de liaison sûr, entre Paris et le gouvernement et à l’intérieur de la région parisienne ; 3) Organisation d’une force d’intervention composée de forces de police régulières, d’éléments de l’armée d’armistice, de forces supplétives (volontaires) dont le recrutement et l’organisation seraient à déterminer ; 4) Emploi de la force d’intervention en fonction des hypothèses que l’on peut faire sur la forme et le développement des troubles ». Le 3e bureau est donc chargé d’établir des plans permettant de résoudre ces difficultés, en liaison avec les autres bureaux de l’état-major de l’armée. Or ces plans sont faussés à la base car tablant sur un départ hypothétique des Allemands. En effet les auteurs de ces projets estimaient que les pertes considérables essuyées par l’armée allemande en Union Soviétique à l’automne 1941 et l’indisponibilité prolongée des forces allemandes engagées dans les profondeurs russes en 1942 provoqueraient le retrait allemand du nord de la France. Un mois plus tard un plan de protection de Paris sera soumis à l’état-major de l’armée et le 7 août c’est un plan spécial en vue du retour du gouvernement qui est proposé. Ce dernier est accompagné d’un plan identique de maintien de l’ordre du colonel Faurelle sur lequel du Vigier et le 3e bureau font des remarques : « 1) l’hypothèse envisagée est dominée pour nous par l’attitude du gouvernement français (donc de l’armée française) vis-à-vis du Reich (donc de l’armée allemande) ; ce point essentiel est systématiquement passé sous silence dans la note du colonel Fauvelle. 2) Si l’attitude du gouvernement française n’était pas agressive, il serait néanmoins indispensable que l’armée allemande ait évacué Paris préalablement à l’arrivée de toute formation militaire française. Sur le plan « Police » la collaboration franco-allemande est aujourd’hui inévitable et d’ailleurs indispensable, elle ne peut être envisagée sur le plan « répression » au moyen de formations militaires. Ces observations initiales faites, le 3e bureau estime que l’hypothèse envisagée nous met en face de 2 problèmes distincts : 1) le gouvernement français ne prend pas vis-à-vis du Reich une attitude agressive, dans ce cas, s’il veut conserver la direction d’un mouvement spontanée qu’il ne sera pas en mesure d’empêcher ou il sera balayé par ce mouvement et la colère soulevée par son attitude. 2) le gouvernement français prend vis-à-vis du Reich une attitude agressive et dans ce cas, le problème du maintien de l’ordre à Paris rentre dans le cadre du plan de libération du territoire national, dont il n’est qu’un cas particulier. »
Une fois la question de l’attitude politique à tenir soulevée, du Vigier met en avant l’aspect opérationnel : « Les formations militaires ne pourront atteindre Paris avant d’avoir mis la main sur le nœud de communication de Tours-Angers-Le Mans, condition essentielle à l’achèvement de la désorganisation des forces allemandes et à la sûreté de nos forces dirigées ensuite sur Paris. Le 3e bureau estime donc que la collaboration Armée-Intérieur doit être strictement limitée à l’étude du plan de maintien de l’ordre dans Paris, par la collaboration de moyens militaires (2 ou 3 GM) et de police sans aucune hypothèse sur les conditions de temps et d’acheminement des forces militaires sur la capitale. » Cette présente note est indiquée comme ayant été soumise au général Verneau qui l’approuve. Différents plans vont être ainsi conçus par la section E, avec les nécessités militaires que cela impose : effectifs à renforcer dans l’hypothèse du maintien de l’ordre sous la direction du préfet de Paris ou dans l’hypothèse de troubles ou menace de troubles graves sous la direction du commandement militaire français (en l’occurrence il est prévu que ce soit le général De Lattre qui prenne le commandement de l’armée de Paris ). Il se peut également que le risque de troubles communistes soit un leurre pour l’état-major de l’armée pour préparer la réoccupation de Paris, mais il se peut également que ce soit une réelle crainte comme l’exprime le général Huntziger : « Dans le cas où la puissance occupante serait amenée un jour à évacuer rapidement Paris, de graves troubles communistes menaceraient la capitale momentanément privée de forces de maintien de l’ordre suffisantes. Quel que soit le degré de probabilité de tels évènements, leurs conséquences seraient tellement graves qu’il convient de rechercher en tout état de cause les moyens d’y parer. En conséquence, l’état-major de l’armée voudra bien étudier, en collaboration avec le ministère de l’intérieur, le plan des dispositions à prendre pour maintenir l’ordre à Paris dans l’hypothèse envisagée plus haut. » Toujours est-il qu’officiellement cette démarche sera approuvée pour ces raisons par le cabinet du maréchal Pétain.
Bien entendu il n’y a pas que Paris dans les plans de réoccupation de la zone nord. Des plans en cas d’entrée de l’Espagne dans le conflit et d’opérations au Maroc sont également soumis en décembre 1941 . A plus courte portée, il est prévu de prendre Bordeaux et son port, dans l’hypothèse toujours – et comme en 1940 – d’un éventuel secours venant de l’Atlantique. L’EMA n’ayant pas le monopole de ce genre d’idées, le deuxième groupe de divisions militaires exécuta lui aussi un exercice sur carte en 1941 visant à reprendre le contrôle de La Rochelle . Mais il est important de préciser que toute entrée en action de l’armée d’armistice était conditionnée. En effet, il n’était pas question d’entreprendre quoi que ce fut sans être assuré que les Alliés débarqueraient simultanément en France, sur la face méditerranéenne ou atlantique, en force et avec des moyens garantissant qu’une telle opération n’aboutirait pas à une impasse meurtrière sur le sol français . L’entretien que R. Paxton avait obtenu du général Touzet du Vigier rapporte même que pour ce dernier : l’ « on ne pourrait intervenir que dans le cadre d’une coalition ». Bien entendu il fallait pour cela attendre que les Alliés soient prêts, et les plus optimistes des officiers français espéraient un débarquement pour 1943. L’invasion de la zone sud en découragea plus d’un.
Pour ce qui est de l’instruction, confiée au commandant Desazars de Montgailhard, le 3e bureau a la charge de veiller au maintien d’une armée bien entraînée bien que dépourvue d’armes lourdes. Du Vigier prête une grande attention à l’instruction, participant lui-même aux tournées d’inspection en métropole comme en AFN comme l’indique ses carnets. Ceux-ci indiquent les lieux où du Vigier participe aux inspections. A la fin du mois de février, c’est le sud de la France qui fait l’objet d’inspection, puis du 15 au 18 mars, le sud-ouest. A Auch notamment, le colonel Schlesser – ancien du 2e bureau – a déjà commencé l’instruction du 2e régiment de dragons selon les nouvelles directives, mais participe également à la mise en place de cachettes d’armes dans la région. L’éducation physique et sportive est en effet mise en avant dans toutes les unités et dans les écoles. Bien que n’ayant pas les moyens d’une armée moderne, les nouvelles tactiques, inspirées des leçons reçues de la campagne, sont également enseignées, comme le combat de rue, l’infanterie aérotransportée . Du Vigier encourage et félicite par exemple la création des écoles des cadres comme celle d’Uriage par Dunoyer de Segonzac ou encore celle d’Opme par le général De Lattre de Tassigny . Au mois de mai, du Vigier visite Avignon et Orange, rendant visite à son camarade Henri de Vernejoul, commandant le 12e régiment de cuirassiers. Le 27 août, il visite l’école des cadres d’Opme. Sa plus longue inspection fut celle en AFN, du 13 au 22 octobre 1941. Durant cette visite, il inspecte plusieurs écoles militaires, dont l’école de cavalerie de Hussein Dey à Alger puis Bizerte, Tunis, où il rencontre à nouveau De Lattre. Ensuite il part inspecter la ligne de Mareth et revient en métropole. Sur le point de la Ligne de Mareth, il est intéressant de se pencher sur les carnets de du Vigier. En effet, la visite de la Tunisie sembla lui donner des idées car il note : « Travaux dans le sud tunisien pour remettre en état et réarmer les organisations existantes » ou encore « 8 DI en AFN, il en faudrait 3 blindées+2mot+3N = 8 ; 1er stade : moderniser les 8 existantes ; 2e stade : augmenter de 4 à 6 divisions nouvelles ; But final : 14 div. ; Div Normale : 100 CAC par div (84) et 100 petits calibres DCA (87) ; Div Blindée : 200 AM – 400 chars. » ce qui laisse entrevoir les projets de réarmement en AFN.
Il est également question, comme nous venons de le voir, que les écoles de cadres ou encore les chantiers de la jeunesse prennent part aux opérations de maintien de l’ordre si celles-ci devaient avoir lieu. Le 3e bureau est en fait chargé de donner une ligne de conduite pour l’instruction et d’organiser les compétitions sportives en métropole, entre métropole et AFN voir des rencontres dites « internationales » qui ont lieu en Suisse.
Bien sûr à coté de l’instruction et de la culture physique en image d’Epinal de l’armée, dès le 21 août 1940, une directive met en place : « l’organisation d’une instruction motorisée « camouflée » », ce qui laisse augurer du caractère officiel douteux des actions du 3e bureau. Cette directive vise à continuer l’instruction d’un maximum d’effectif pour les formations mécanisées. Sous la direction effective mais dissimulée de l’armée, des organismes vont ainsi être mis en place. Ces organismes, répondant donc à un but avoué d’équipement économique du pays ou d’émulation sportive, permettront en fait l’instruction et l’entraînement du personnel de « L’Arme Motorisée ». C’est donc ainsi que furent créés : la Fédération Motocycliste Française (FMF) , pour le développement du sport motocycliste, avec l’arrière pensée de faciliter la formation d’unités de fusiliers-motocyclistes. Mais également la Coopérative des Grands Travaux Agricoles (CGTA), dont le but est d’accélérer la remise en culture des terres en friche, tout en préparant le personnel des Unités blindées chenillées. La Société des Transports Ruraux (STR), à ne pas confondre avec les Travaux Ruraux, est quant à elle créée pour l’amélioration des transports dans les zones de repeuplement de manière officielle mais est utilisée en même temps pour la formation des Unités de Dragons et d’Infanterie portée. Tous les jeunes gens qui n’avaient pas encore accompli leur service militaire étaient conviés à intégrer ces organisations, ceci afin de leur donner un rudiment d’instruction technique et pratique des engins motorisés. Quant aux autres « mobilisables », cela leur permettrait d’entretenir l’instruction déjà reçue auparavant.