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Le Général Touzet du Vigier

Venez nous présenter votre dernière lecture ou des ouvrages qui vous tiennent particulièrement à coeur. Parlons des dernières parutions concernant la seconde guerre mondiale. Une belle photo de la couverture est toujours la bienvenue...
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Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau message Post Numéro: 21  Nouveau message de Vincent Dupont  Nouveau message 12 Oct 2009, 22:05

Bonsoir à tous !
Un post lancé par JARDIN DAVID souhaitant aborder la place de l'armée de Vichy dans la résistance, de ses officiers, je me suis dis pourquoi pas rajouter un autre morceau du mémoire (toujours pour ceux qui aiment la lecture, car c'est long). Je rajoute donc le chapitre fait par votre serviteur sur le passage de Touzet du Vigier à la tête du 3e bureau de l'EMA. Bien sûr, comme le reste, ces posts sont à la disposition des "scribes" de l'Histomag ;) .
Dernière chose, si un admin ou un modo passant par là pouvait déplacer ce post dans le forum les grandes figures de la SGM, cela serait plus approprié...

Place au texte...

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Chef du 3e bureau de l’état-major de l’armée de Vichy

Nous allons maintenant étudier l’action entreprise par Touzet du Vigier et ses hommes alors qu’il est nommé à la tête du 3e bureau de l’EMA le 16 novembre 1940, jusqu’à sa mutation en janvier 1942.

Les fonctions officielles du 3e bureau au sein de l’EMA

Il nous faut tout d’abord présenter l’organisation de l’état-major de l’armée de Vichy et la place que doit y tenir le 3e bureau de façon officielle. Ainsi, Du Vigier, après avoir passé plusieurs jours au 3e bureau pour se familiariser avec ce nouvel environnement et surtout après avoir rassemblé une équipe, prend en main le 3e bureau le 18 novembre. Les fonctions du 3e bureau en temps en guerre sont de préparer les opérations et de veiller à l’instruction, or pour une armée devant demander l’autorisation au vainqueur avant de déplacer ses troupes, cet aspect est plutôt restreint. Officiellement, donc, le 3e bureau est chargé de s’occuper de l’instruction de l’armée, tâche qui est d’ailleurs dans le prolongement du travail commencé par du Vigier à la direction de la cavalerie, mais il se voit attribué d’autres taches que nous allons présenter.

Mais avant de présenter les missions du 3e bureau de du Vigier, il convient de présenter l’équipe dont il s’entoure. A la tête donc, Touzet du Vigier, qui sera fraîchement nommé colonel le 25 décembre 1940 . Son bras droit, sous-chef du 3e bureau, est le lieutenant-colonel Clogenson, artilleur que du Vigier avait déjà pris à son bord à Dunkerque. Cette direction dispose d’un secrétaire. Le reste des officiers qui l’entoure est divisé en différentes sections de travail .

La première de ces sections est la section E, qui s’occupe des Etudes générales ainsi que de l’organisation du 3e bureau. Elle est chargée du maintien de l’ordre et de la discipline. Le commandant Moillard dirige cette section jusqu’au 20 décembre 1941 avec sous ses ordres le commandant Louis Bosc, qui lui succédera provisoirement, ainsi que le capitaine Henri Mesnet, chargé de la ligne de démarcation.
La section I, commandée par le commandant Desazars de Montgailhard puis par le commandant Dillmann, s’occupe quant à elle de l’instruction générale de l’armée. Elle se compose de deux sous-sections : du commandant Agostini et du capitaine Boreau de Roince (Instruction de l’armée, écoles, cours et stages pour les cadres et la troupe) et enfin du lieutenant-colonel Van Gehuchten (pelotons d’instruction, instruction militaire sportive et camps à cet usage). Y est rattachée la section M chargée de l’étude du matériel.

La section G quant à elle est chargée de l’emploi de l’armée. Son chef est le commandant Durieux, chargé des questions de principe sur l’emploi de l’armée. Le commandant Pelabon est chargé également du maintien de l’ordre et de la Garde mobile. Ils disposent d’un chancelier chargé du budget et des moyens d’instruction. Cette section est chargée de la répartition des moyens mis en œuvre pour la surveillance de la ligne de démarcation ainsi que de la préparation de renforts éventuels pour les territoires d’outre-mer (TOE). Est également rattaché à cette section le bureau du commandant Metaye et du capitaine Gambiez (Moral et propagande, état d’esprit, bulletin d’informations ainsi que jeunesse et scoutisme).

Le lieutenant-colonel d’Arnaud de Vitrolles forme quant à lui une sous-section en temps qu’officier de liaison de l’Armée de l’Air chargé de la défense aérienne du territoire (DAT), du guet et de la répartition des forces terrestres antiaériennes (FTA), en ce sens il est rattaché à la section G.

La section T, commandée par l’ingénieur en chef Roulaud, est chargée des transmissions, avec le capitaine Leonard et l’ingénieur Abadie. Cette section avait une importance particulière aux yeux de du Vigier, car comme de nombreux officiers, il avait été déçu par les moyens de transmissions, alors dépendants de la direction du Génie, durant la campagne. Il travailla donc à créer l’arme des transmissions, indépendante du Génie . Ce changement fut d’ailleurs bénéfique par la suite, puisque des officiers des transmissions affectés au ministère des Communications projetèrent d’installer une dérivation pour espionner les conversations téléphoniques allemandes à partir du câble Paris-Metz-Berlin dès octobre 1941. Cette idée prit forme en avril 1943 et les écoutes durèrent cinq mois.

Enfin la section cartographique qui devient rapidement l’Institut Géographique National (IGN) ainsi que le service cinématographique sont rattachés au 3e bureau. Ce service constituera bientôt des lots de cartes, notamment pour les opérations dites de maintien de l’ordre qui seront transmises aux Alliés en 1943. Il existe enfin un service cinématographique rattaché au 3e bureau.

Les effectifs du 3e bureau à la fin de l’année 1941 s’élève à vingt-six officiers et neuf civils, soit un total de trente-cinq personnes.

Passons maintenant au travail exécuté par cette équipe. Tout d’abord le 3e bureau est chargé de compiler les résultats d’enquêtes sur les enseignements tirés de la campagne qui vient de se dérouler, afin de déterminer quelles sont les leçons à tirer des erreurs de l’armée française. Ces enseignements sont regroupés par armes et au sein de chacune les plus hauts gradés produisent d’imposants rapports sur les leçons reçues de cette brève campagne. Ce travail a été en grande partie exécuté par le prédécesseur de du Vigier, le colonel Lagarde, mais les « enseignements », utiles pour instruire l’armée, vont cependant continuer d’arriver au 3e bureau durant le reste du conflit. On y observe donc, basés sur des récits de combats individuels ou collectifs demandés aux commandants d’unités, des rapports sur l’utilisation des blindés durant la campagne . Le général Keller, inspecteur des chars, les généraux Delestraint, Blanchard, Besson, Georges ou encore Olry produisent d’importants rapports avec des projets de réorganisation mentionnant la composition des « divisions blindées futures ». D’autres officiers proposent des projets de réorganisation de l’arme comme le lt-col de Vernejoul, où il est déjà question de fusionner les chars et la cavalerie, ou tout simplement, comme le lieutenant Vié, qui fut sous les ordres de Touzet du Vigier, un rapport sur le matériel durant la campagne. Une importante étude réalisée à partir des témoignages recueillis auprès de plusieurs dizaines d’officiers de toutes armes apporte un rapport de qualité sur la tenue des engins blindés dans l’offensive, la défensive, le combat entre engins blindés, la liaison avec l’aviation ou encore la lutte anti-char. Le même travail est fait pour l’artillerie et pour le génie . Un rapport provenant de l’attaché militaire à Bucarest apporte même des réflexions sur les enseignements de la campagne de Russie dès décembre 1941 , sur les tactiques et stratégies défensives de type guérilla notamment. Des études sur la tactique allemande observée ainsi que sur les engins nouveaux sont également déposées . Nous le verrons plus loin mais ces constatations motiveront l’orientation des plans de défense de la zone non-occupée jusque novembre 1942.

Nous l’avons vu plus haut, le 3e bureau (section E) a également en charge la gestion de la ligne de démarcation , ce qui aura une certaine utilité pour l’organisation clandestine du 3e bureau comme nous le verrons plus loin. Après l’instauration par l’armistice d’une ligne de démarcation, il faut en effet, du coté français, contrôler la ligne qui sépare la zone occupée de la zone non-occupée. Ceci passe par la surveillance des points de franchissement, la surveillance des étrangers, des personnes entrant en zone libre, la protection des militaires français évadés, notamment venant s’engager en zone libre, le contrôle des mouvements de marchandises ou encore la gestion des incidents avec les troupes allemandes et italiennes. Cette section est également chargée de l’affectation des unités chargées de la surveillance de la ligne ainsi que de leur relève. Sur ce point un des objectifs majeurs de du Vigier et de cette section fut de réduire au minimum l’importance des effectifs de l’armée affectés à la ligne, en remplaçant les unités militaires par des unités de gendarmerie ou de douaniers , jugeant que ce n’était pas la place de soldats que l’on pourrait regrouper en unités à l’arrière. Le 3e bureau rédigea d’ailleurs une note à cet effet en avril 1941, soulignant : « l’intérêt qui s’attache à libérer le maximum d’unités de l’Armée, d’une mission de police et de douane qui ne répond pas à sa mission normale à et son organisation. »

Afin de maintenir la discipline et le moral, mais également pour transmettre les directives concernant l’instruction, du Vigier est également amené à effectuer des tournées d’inspection auprès des unités, accompagnés des officiers concernés au sein du 3e bureau. Pour la partie défense aérienne du territoire, le rôle du 3e bureau consiste au renforcement des moyens antiaériens en métropole comme en AFN ou au Levant, à l’instruction et l’entraînement des FTA . Il doit également s’assurer que la dotation en matériel soit la plus moderne possible en général, pour tout ce qui concerne la défense passive , comme les projecteurs par exemple. Bien sûr tout ceci devant passer par les commissions d’armistice allemandes ou italiennes.

En matière de maintien de l’ordre, des « plans de maintien de l’ordre » sont échafaudés, la participation des chantiers de la jeunesse et des FTA est prévue dans le cadre du maintien de l’ordre . L’hypothèse d’une invasion de la zone sud ou d’un retrait allemand de la zone nord, même illusoire, est au cœur des plans de maintien de l’ordre.

Ainsi la question de la conduite à tenir en cas d’avancée allemande est posée dès janvier 1941 par le chef d’état-major de l’armée, le général Picquendar, du point de vue du maintien de l’ordre : « […] ce qu’il nous faut rechercher et obtenir, en pareille occurrence, c’est le maintien sur place et dans l’ordre de la population. On ne doit pas revoir l’exode de juin dernier, ni le désordre qui en serait la conséquence inévitable. Or l’armée de l’armistice n’a pas les moyens de s’opposer par la force à une véritable avance militaire ennemie. N’étant pas en mesure de soutenir la lutte, elle assurera sa mission, en donnant l’exemple à tous dans la discipline et la dignité, en protestant contre la violence qui nous est faite. En outre, les bruits récemment répandus tendant à faire croire à une irruption imminente des troupes allemandes en zone libre paraissent venir à l’appui d’une manœuvre politique en cours : ils peuvent être l’œuvre d’agents provocateurs intéressés à son succès. J’ai l’honneur, en conséquence, de vous demander de n’accueillir qu’avec la plus grande circonspection les rumeurs de cette nature et, dans la mesure du possible à en déceler l’origine. » De même, une note de service du 2 mars 1942 du commandant la 12e DM pose également la question : « Au cours d’une inspection, une Commission de contrôle a posé la question suivante : « Simple hypothèse : si les forces allemandes franchissaient la ligne de démarcation, que feraient les postes ? » à laquelle il a été répondu : « Ils se replieraient sans combattre ». A ma connaissance une telle éventualité n’a pas été envisagée. » . Du Vigier réfléchit néanmoins à cette probabilité d’invasion allemande en planifiant une action combinée avec les forces de débarquement anglo-américaines sur la côte méditerranéenne (plan qui sera celui exposé par le général Giraud à l’automne 1942). A ce moment, l’Armée d’armistice tiendrait un « point d’appui » sur la ligne Alpes-Cévennes, les unités stationnées plus au nord faisant mouvement vers le sud en direction de cette ligne, tandis que les unités côtières remonteraient vers l’intérieur des terres. La section E – et de par ses membres le bureau d’étude sur lequel nous reviendrons – mit en place une étude géographique du terrain en zone non-occupée permettant facilement la résistance, mettant en avant les points de résistance possibles comme le « robinet de Donzère » pour la vallée du Rhône . Cette étude mit donc en avant les bases géographiques d’une organisation défensive généralisée de la zone sud, s’appliquant à évaluer la valeur défensive des couronnes montagneuses des pays méditerranéens. Un système dit « des îlots et des masses » s’y rattacha, augurant une résistance armée de type guérilla face à l’hypothétique avancée allemande. Les plans sur ce point furent mêmes poussés jusqu’à la place que devraient tenir les différentes divisions dans le déroulement de ces opérations. Des officiers au sein de chaque division avaient des ordres à faire appliquer le moment venu.

Le cas d’un retrait des forces d’occupation allemande est également soumis, et rentre dans le cadre de la création et de l’action des Groupes d’Auto-Défense (GAD) sur lesquels nous reviendrons.

L’hypothèse d’un retrait allemand – qui entraîne la préparation de plans de réoccupation de la zone nord – est en fait perçue comme un risque de trouble, communiste notamment, comme le souligne une note du 22 janvier 1941 du général Huntziger relative au : « danger d’émeutes communistes dans Paris, lorsque les troupes d’occupation quitteront cette ville. […] nécessité d’étudier dès maintenant un plan de protection de la capitale qui serait mis en application dès le départ des troupes allemandes, avec tous les moyens (police, garde, éléments de l’armée d’armistice) que l’on pourrait amener à pied d’œuvre. » Cette note expose également les nécessités de telles mesures : « 1) Organisation d’un service de renseignements qui suive dans la région parisienne le mouvement communiste et précise à chaque instant : son organisation, ses moyens, son plan d’action ; 2) Organisation d’un système de liaison sûr, entre Paris et le gouvernement et à l’intérieur de la région parisienne ; 3) Organisation d’une force d’intervention composée de forces de police régulières, d’éléments de l’armée d’armistice, de forces supplétives (volontaires) dont le recrutement et l’organisation seraient à déterminer ; 4) Emploi de la force d’intervention en fonction des hypothèses que l’on peut faire sur la forme et le développement des troubles ». Le 3e bureau est donc chargé d’établir des plans permettant de résoudre ces difficultés, en liaison avec les autres bureaux de l’état-major de l’armée. Or ces plans sont faussés à la base car tablant sur un départ hypothétique des Allemands. En effet les auteurs de ces projets estimaient que les pertes considérables essuyées par l’armée allemande en Union Soviétique à l’automne 1941 et l’indisponibilité prolongée des forces allemandes engagées dans les profondeurs russes en 1942 provoqueraient le retrait allemand du nord de la France. Un mois plus tard un plan de protection de Paris sera soumis à l’état-major de l’armée et le 7 août c’est un plan spécial en vue du retour du gouvernement qui est proposé. Ce dernier est accompagné d’un plan identique de maintien de l’ordre du colonel Faurelle sur lequel du Vigier et le 3e bureau font des remarques : « 1) l’hypothèse envisagée est dominée pour nous par l’attitude du gouvernement français (donc de l’armée française) vis-à-vis du Reich (donc de l’armée allemande) ; ce point essentiel est systématiquement passé sous silence dans la note du colonel Fauvelle. 2) Si l’attitude du gouvernement française n’était pas agressive, il serait néanmoins indispensable que l’armée allemande ait évacué Paris préalablement à l’arrivée de toute formation militaire française. Sur le plan « Police » la collaboration franco-allemande est aujourd’hui inévitable et d’ailleurs indispensable, elle ne peut être envisagée sur le plan « répression » au moyen de formations militaires. Ces observations initiales faites, le 3e bureau estime que l’hypothèse envisagée nous met en face de 2 problèmes distincts : 1) le gouvernement français ne prend pas vis-à-vis du Reich une attitude agressive, dans ce cas, s’il veut conserver la direction d’un mouvement spontanée qu’il ne sera pas en mesure d’empêcher ou il sera balayé par ce mouvement et la colère soulevée par son attitude. 2) le gouvernement français prend vis-à-vis du Reich une attitude agressive et dans ce cas, le problème du maintien de l’ordre à Paris rentre dans le cadre du plan de libération du territoire national, dont il n’est qu’un cas particulier. »

Une fois la question de l’attitude politique à tenir soulevée, du Vigier met en avant l’aspect opérationnel : « Les formations militaires ne pourront atteindre Paris avant d’avoir mis la main sur le nœud de communication de Tours-Angers-Le Mans, condition essentielle à l’achèvement de la désorganisation des forces allemandes et à la sûreté de nos forces dirigées ensuite sur Paris. Le 3e bureau estime donc que la collaboration Armée-Intérieur doit être strictement limitée à l’étude du plan de maintien de l’ordre dans Paris, par la collaboration de moyens militaires (2 ou 3 GM) et de police sans aucune hypothèse sur les conditions de temps et d’acheminement des forces militaires sur la capitale. » Cette présente note est indiquée comme ayant été soumise au général Verneau qui l’approuve. Différents plans vont être ainsi conçus par la section E, avec les nécessités militaires que cela impose : effectifs à renforcer dans l’hypothèse du maintien de l’ordre sous la direction du préfet de Paris ou dans l’hypothèse de troubles ou menace de troubles graves sous la direction du commandement militaire français (en l’occurrence il est prévu que ce soit le général De Lattre qui prenne le commandement de l’armée de Paris ). Il se peut également que le risque de troubles communistes soit un leurre pour l’état-major de l’armée pour préparer la réoccupation de Paris, mais il se peut également que ce soit une réelle crainte comme l’exprime le général Huntziger : « Dans le cas où la puissance occupante serait amenée un jour à évacuer rapidement Paris, de graves troubles communistes menaceraient la capitale momentanément privée de forces de maintien de l’ordre suffisantes. Quel que soit le degré de probabilité de tels évènements, leurs conséquences seraient tellement graves qu’il convient de rechercher en tout état de cause les moyens d’y parer. En conséquence, l’état-major de l’armée voudra bien étudier, en collaboration avec le ministère de l’intérieur, le plan des dispositions à prendre pour maintenir l’ordre à Paris dans l’hypothèse envisagée plus haut. » Toujours est-il qu’officiellement cette démarche sera approuvée pour ces raisons par le cabinet du maréchal Pétain.

Bien entendu il n’y a pas que Paris dans les plans de réoccupation de la zone nord. Des plans en cas d’entrée de l’Espagne dans le conflit et d’opérations au Maroc sont également soumis en décembre 1941 . A plus courte portée, il est prévu de prendre Bordeaux et son port, dans l’hypothèse toujours – et comme en 1940 – d’un éventuel secours venant de l’Atlantique. L’EMA n’ayant pas le monopole de ce genre d’idées, le deuxième groupe de divisions militaires exécuta lui aussi un exercice sur carte en 1941 visant à reprendre le contrôle de La Rochelle . Mais il est important de préciser que toute entrée en action de l’armée d’armistice était conditionnée. En effet, il n’était pas question d’entreprendre quoi que ce fut sans être assuré que les Alliés débarqueraient simultanément en France, sur la face méditerranéenne ou atlantique, en force et avec des moyens garantissant qu’une telle opération n’aboutirait pas à une impasse meurtrière sur le sol français . L’entretien que R. Paxton avait obtenu du général Touzet du Vigier rapporte même que pour ce dernier : l’ « on ne pourrait intervenir que dans le cadre d’une coalition ». Bien entendu il fallait pour cela attendre que les Alliés soient prêts, et les plus optimistes des officiers français espéraient un débarquement pour 1943. L’invasion de la zone sud en découragea plus d’un.

Pour ce qui est de l’instruction, confiée au commandant Desazars de Montgailhard, le 3e bureau a la charge de veiller au maintien d’une armée bien entraînée bien que dépourvue d’armes lourdes. Du Vigier prête une grande attention à l’instruction, participant lui-même aux tournées d’inspection en métropole comme en AFN comme l’indique ses carnets. Ceux-ci indiquent les lieux où du Vigier participe aux inspections. A la fin du mois de février, c’est le sud de la France qui fait l’objet d’inspection, puis du 15 au 18 mars, le sud-ouest. A Auch notamment, le colonel Schlesser – ancien du 2e bureau – a déjà commencé l’instruction du 2e régiment de dragons selon les nouvelles directives, mais participe également à la mise en place de cachettes d’armes dans la région. L’éducation physique et sportive est en effet mise en avant dans toutes les unités et dans les écoles. Bien que n’ayant pas les moyens d’une armée moderne, les nouvelles tactiques, inspirées des leçons reçues de la campagne, sont également enseignées, comme le combat de rue, l’infanterie aérotransportée . Du Vigier encourage et félicite par exemple la création des écoles des cadres comme celle d’Uriage par Dunoyer de Segonzac ou encore celle d’Opme par le général De Lattre de Tassigny . Au mois de mai, du Vigier visite Avignon et Orange, rendant visite à son camarade Henri de Vernejoul, commandant le 12e régiment de cuirassiers. Le 27 août, il visite l’école des cadres d’Opme. Sa plus longue inspection fut celle en AFN, du 13 au 22 octobre 1941. Durant cette visite, il inspecte plusieurs écoles militaires, dont l’école de cavalerie de Hussein Dey à Alger puis Bizerte, Tunis, où il rencontre à nouveau De Lattre. Ensuite il part inspecter la ligne de Mareth et revient en métropole. Sur le point de la Ligne de Mareth, il est intéressant de se pencher sur les carnets de du Vigier. En effet, la visite de la Tunisie sembla lui donner des idées car il note : « Travaux dans le sud tunisien pour remettre en état et réarmer les organisations existantes » ou encore « 8 DI en AFN, il en faudrait 3 blindées+2mot+3N = 8 ; 1er stade : moderniser les 8 existantes ; 2e stade : augmenter de 4 à 6 divisions nouvelles ; But final : 14 div. ; Div Normale : 100 CAC par div (84) et 100 petits calibres DCA (87) ; Div Blindée : 200 AM – 400 chars. » ce qui laisse entrevoir les projets de réarmement en AFN.

Il est également question, comme nous venons de le voir, que les écoles de cadres ou encore les chantiers de la jeunesse prennent part aux opérations de maintien de l’ordre si celles-ci devaient avoir lieu. Le 3e bureau est en fait chargé de donner une ligne de conduite pour l’instruction et d’organiser les compétitions sportives en métropole, entre métropole et AFN voir des rencontres dites « internationales » qui ont lieu en Suisse.

Bien sûr à coté de l’instruction et de la culture physique en image d’Epinal de l’armée, dès le 21 août 1940, une directive met en place : « l’organisation d’une instruction motorisée « camouflée » », ce qui laisse augurer du caractère officiel douteux des actions du 3e bureau. Cette directive vise à continuer l’instruction d’un maximum d’effectif pour les formations mécanisées. Sous la direction effective mais dissimulée de l’armée, des organismes vont ainsi être mis en place. Ces organismes, répondant donc à un but avoué d’équipement économique du pays ou d’émulation sportive, permettront en fait l’instruction et l’entraînement du personnel de « L’Arme Motorisée ». C’est donc ainsi que furent créés : la Fédération Motocycliste Française (FMF) , pour le développement du sport motocycliste, avec l’arrière pensée de faciliter la formation d’unités de fusiliers-motocyclistes. Mais également la Coopérative des Grands Travaux Agricoles (CGTA), dont le but est d’accélérer la remise en culture des terres en friche, tout en préparant le personnel des Unités blindées chenillées. La Société des Transports Ruraux (STR), à ne pas confondre avec les Travaux Ruraux, est quant à elle créée pour l’amélioration des transports dans les zones de repeuplement de manière officielle mais est utilisée en même temps pour la formation des Unités de Dragons et d’Infanterie portée. Tous les jeunes gens qui n’avaient pas encore accompli leur service militaire étaient conviés à intégrer ces organisations, ceci afin de leur donner un rudiment d’instruction technique et pratique des engins motorisés. Quant aux autres « mobilisables », cela leur permettrait d’entretenir l’instruction déjà reçue auparavant.
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Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau message Post Numéro: 22  Nouveau message de Vincent Dupont  Nouveau message 12 Oct 2009, 22:06

L’action du 3e bureau jusqu’au départ de Touzet du Vigier

Après avoir vu les fonctions officielles du 3e bureau de l’état-major de l’armée, nous allons maintenant présenter les fonctions officieuses de ce même bureau, que du Vigier va soutenir et couvrir, jusqu’à son évincement en janvier 1942. Les « agissements » plus clandestins du 3e bureau ont un rapport étroit avec les fonctions officielles des officiers sous les ordres de du Vigier. En effet, celles-ci permettaient de couvrir leurs démarches qui se situaient dans le prolongement de leurs travaux au grand jour. Mais pour mieux comprendre la signification de ces actes, il convient de mieux présenter l’opinion que du Vigier avait de ses fonctions au 3e bureau : « Le 3e bureau c’est, par définition, le bureau dit « de l’instruction ». Mais, après le désastre de 1940, l’instruction était singulièrement réduite. En réalité je me suis occupé de beaucoup de choses sauf de l’instruction, dont je m’étais débarrassé, si je puis dire, sur mon camarade que j’avais fait venir auprès de moi, et en qui j’avais entière confiance. Il s’appelait Desazars de Montgaillard […]. Quant à moi j’avais à me préoccuper de cinq armées. » .

Il faut préciser avant de détailler quelles étaient ces armées que le but de l’organisation entreprise par du Vigier et ses homologues des autres bureaux était bel et bien la revanche. En effet leur action était conditionnée par ce sentiment car il faut le rappeler, tout comme la majorité des officiers de l’armée, du Vigier avait semble-t-il une opinion maréchaliste mais au sens où cette politique devait mener à la revanche. Dès lors que les officiers, notamment au sein de l’EMA, s’aperçurent que celle-ci ne viendrait pas du gouvernement, ils entreprirent de la préparer dans la clandestinité. Et du Vigier a donc cette opinion si l’on en croit le témoignage du capitaine Lecoq en juin 1941 qui, revenu de captivité pour raison de santé, était aller voir le chef du 3e bureau : « Touzet du Vigier, alors colonel et chef du 3e bureau de l’état-major de l’armée de Vichy, m’avait accueilli avec beaucoup d’amitié, avant de me poser cette question à brûle-pourpoint. […] Il ajouta : – Nous « remettrons cela » un jour. Ce jour, il faut le préparer. Pourriez-vous établir la liaison avec les camps d’officiers en captivité ? Réarmés, le moment venu, ils seront les meilleures troupes parachutées et pourront vous donner un sérieux coup de main. Sur ma réponse enthousiaste, le colonel du Vigier, dont le bureau était installé dans la chambre n°64 de l’hôtel des Bains, m’amena dans les W.-C. attenants pour me montrer un appareil téléphonique clandestin correspondant directement avec la zone occupée. » Connaissant dès lors la motivation de du Vigier, nous allons maintenant exposer ce que du Vigier entend par ses cinq armées et le rôle qu’elles sont amenées à jouer.

L’idée et la mise en place de ces armées ont tout d’abord été pensée au sein du bureau d’études de l’EMA, rattaché au 3e bureau. Car en effet, toute l’organisation que nous allons décrire avait le soutien de du Vigier et de l’état-major de l’armée, ces chefs se réunissant régulièrement pour résoudre les difficultés qui se présentaient en matière de camouflage de matériel, de mise en place des groupes d’auto-défense, au sein d’un « Comité Directeur de la Résistance dans l’Armée » . Ce comité se composait du colonel Rivet (SR clandestin), du colonel Baril (2e bureau), du colonel du Vigier (3e bureau), des colonels Zeller et Pfister (1er bureau), du commandant Mollard (CDM et 1er bureau), du commandant d’Alès (BMA) et du capitaine Paillole (TR) et se réunissait à Royat régulièrement. Ce comité avait également des émissaires comme l’industriel André Poniatowski, qui se rendit personnellement à Washington et à Londres plaider la cause des militaires décidés à la résistance dans le contexte peu favorable des « Protocoles de Paris » . Le colonel Groussard fut également envoyé à Londres pour prendre contact avec les Alliés et la France Libre. Le 13 juillet Huntziger avait même remis à Groussard une lettre l’autorisant à prendre en son nom tous contacts utiles avec la France Libre .

Les militaires se méfiant du ministère de la défense nationale, les mesures prises au sein de ce comité et de l’état-major de l’armée et les informations qui en découlent ne devaient jamais remonter plus haut que le général Picquendar ou le général Verneau, son successeur. Néanmoins il apparaît que des personnalités auraient été informées de ces mesures sans pour autant vouloir y être mêlées, jugeant probablement que ces actions isolées n’auraient pas de réel poids, tel le maréchal Pétain, Pierre Laval, ou encore le général Revers, successeur du général Huntziger et futur chef de l’ORA .

A l’échelon inférieur de ce comité, sous les ordres directs du général Picquendar puis du général Verneau, mais sous la responsabilité de Du Vigier et du 3e bureau, se plaçait le bureau d’études, chargé d’établir les plans d’action prévisionnels pour l’armée d’armistice. Il aurait été créé sous l’impulsion de du Vigier, le 19 novembre 1941, afin de connaître au plus vite les possibilités de combat en matière de guérilla et d’envisager la formation de groupes mobiles par divisions militaires. Il se composait d’officiers et ne devait être connu que d’eux-mêmes : commandant Mesnet (détaché du 4e bureau pour les problèmes de transport), Moillard, Bosc et Métayer du 3e bureau , commandant Mollard du CDM (officiellement au 1er bureau), le commandant Courbeaux des transmissions ainsi que le capitaine Michel de La Blanchardière . Henri Mesnet sera remplacé en juin 1942 par le commandant Henri Masson, du 4e bureau. Ce bureau était dirigé par le lieutenant-colonel Clogenson, sous-chef du 3e bureau. La mise en place de ce cercle d’études dont du Vigier fait partie semble-t-il, en qualité d’observateur, se situe, d’après ses carnets, vers le mois de mai-juin 1941, dès lors, on y constate que les réunions du cercle d’études se multiplient, 13 août, 29 août, 10 septembre, 10 octobre puis quand du Vigier regagne la France après sa tournée d’inspection en AFN, le 24 octobre, le 7 novembre, le 21 novembre . En décembre 1941, comme nous le verrons plus loin, l’activité des GAD sera remise en question car trop voyante désormais et le ministère décida de « faire le ménage » ce qui entraîna le départ de nombreux chefs de bureaux dont du Vigier et par voie de conséquence la fin du bureau d’études. Avant son départ, on constate cependant dans ses carnets qu’il mettra en place la continuité de l’action clandestine du 3e bureau, donnant sans doute des instructions, car le 18 janvier, il dîne avec Olleris, Lambert et d’Ornant. Le lendemain midi Mesnet se joint à eux et le 20 janvier, le déjeuner à lieu à la villa Eole, ce qui augure de la complicité des TR dans la continuité des GAD notamment. Une semaine plus tard, du Vigier quittera Vichy pour n’y plus revenir. Après avoir montré l’importance du bureau d’études, qui en fait va réellement penser les cinq armées voulues par du Vigier et coordonner les différents services auxquels elles font appel, il convient enfin de les présenter.

La première de ces armées entre dans les responsabilités officielles de du Vigier, car c’est de l’armée régulière dont il parle : « C’étaient les 100 000 hommes de l’armée de l’armistice. Pour moi, et pour mon camarade Desazars qui en était chargé, c’était une « armée-cadre ». » La tâche pour cette première armée, mais nous venons de le voir plus haut, était de se tenir prête en s’entraînant. Pour cela du Vigier favorisa la création des écoles des cadres de De Lattre, et selon du Vigier : « Il y a formé les cadres d’une armée qui n’était certainement pas celle de l’armistice mais bien celle de la revanche. »

La deuxième armée, c’était essentiellement l’armée d’Afrique, appelée « Laboratoire et Conservatoire » par du Vigier et les trois officiers qui en avaient la charge. « Laboratoire », car c’est en AFN que purent se poursuivre les essais clandestins en matière de matériel nouveau, commencés en métropole. Parmi ces essais, on peut citer ceux de la fusée EA1941 (Engin Autopropulsé 1941). Fonctionnant à l’oxygène liquide et à l’essence de pétrole, ce prototype de missile avait été mis au point par l’équipe de Jean-Jacques Barré et les premiers essais avaient eu lieu dans le Larzac. Avec l’invasion de la zone libre les essais en vol ne purent se faire que dans le sud oranais du 3 au 16 octobre 1942, à Béni-Ounif . Le second terme utilisé par du Vigier, « Conservatoire », est plus une référence au général Weygand dont il était très proche. Ce concept consiste en fait à conserver l’armée d’Afrique avec une capacité combattante et chercher par tous les moyens à accroître cette capacité, en prévoyant de plans de mobilisation et en camouflant des armes et du matériel. Il s’agit également d’envoyer tous les cadres qui avaient fait leurs preuves pendant la Campagne de France de 40 . C’est ainsi que l’idée de constituer des réserves mobiles s’est formée et a permis de constituer une Brigade Légère Mécanique en Algérie que du Vigier commandera en 1942-1943. Toutes les mesures nécessaires pour maintenir les troupes de l’armée d’Afrique avec des moyens pour se battre sont tentées, jusqu’au camouflage du matériel, ce avec l’accord du général Picquendar, le chef d’état-major de l’armée. Du Vigier porte d’ailleurs sur lui ce jugement : « C’est un homme à qui j’ai vu signer des papiers qui auraient valu de recevoir douze balles dans la peau. Il les signait en renâclant quelque peu, mais il les signait tout de même ».

La troisième armée n’existait pas réellement, mais elle représentait les mesures visant au dédoublement de l’armée de l’armistice puis à son détriplement par la voie de la mobilisation clandestine. « C’était une armée fantôme » comme le reconnaît du Vigier . Cette armée fictive une fois mobilisée devrait être équipée et armée avec les moyens du service du camouflage, qui a soustrait des armes et des véhicules aux commissions d’armistice. Il va s’en dire que le personnage le plus important de cette « armée » était le commandant Mollard, chef du CDM (Camouflage du Matériel), qui, sous couvert d’une entreprise de camionnage, l’« Entreprise Dubourg et Cie » , a organisé un réseau de sociétés et de dépôts clandestins de matériels et d’armes. Le matériel camouflé, si l’on en croit la déposition du général Picquendar au procès du maréchal Pétain, aurait permis de « compléter l’équipement des huit divisions de l’armée d’armistice et d’armer en armes légères et d’équiper le personnel de vingt-quatre divisions » . En réalité, les plans de mobilisation ne pouvaient rajouter que seize divisions à l’armée d’armistice selon R. Paxton . Cependant il faut être réaliste, le CDM bien qu’ayant déployé d’importants moyens, n’avait pas de quoi équiper vingt-quatre divisions ou alors avec des fusils uniquement, ce qui reviendrait à équiper une armée de partisans qui d’ailleurs n’auraient pas eu assez de cartouches pour tenir bien longtemps. Les efforts du CDM sont néanmoins visibles, tous les véhicules pouvant être soustraits à la saisie par l’occupant sont confiés à des sociétés privées comme les Sociétés XV . De plus à l’issue d’un projet lancé en avril 1940, un prototype d’automitrailleuse fut essayé et présenté au général Picquendar. Environ 200 automitrailleuses blindées de ce modèle furent en projet de fabrication clandestine et trente-huit furent effectivement fabriquées et cachées dans la région de Sarlat , dans le Périgord, sur la base de châssis General Motors acquis par la France en 1940. Bon nombre de grenades artisanales furent également fabriquées. Néanmoins en concentrant les moyens sur un nombre d’unités plus restreint, l’hypothèse de la troisième armée est réalisable sur le papier et le CDM aurait sûrement renforcé la capacité des Français à soutenir les forces d’invasion alliées, sans pour autant faire de l’armée d’armistice un adversaire aussi fort que les troupes d’occupation allemandes. Du Vigier et le bureau d’études devaient en être conscients .

De plus il fallait de l’essence pour tous ces véhicules. Outre les quotas d’essence autorisés, toute idée méritait d’être retenue et c’est ainsi qu’une note d’un certain monsieur Bagrachof est soumise à Touzet du Vigier en 1941 à propos de la fabrication d’un carburant végétal . Cette note très détaillée présente un carburant à base d’alcool (80% d’alcool et 20% de produit végétal), démontrant que 12 litres de ce mélange donnent autant de puissance que 22 litres d’alcool pur, ce qui représente donc une économie de 40% d’alcool environ sans aucun changement à faire dans les voitures.

Restait à trouver les hommes à armer en cas de besoin. A l’origine, les Chantiers de la jeunesse étaient tout désignés pour former au moins une partie de l’effectif : des jeunes encadrés par des officiers, qui plus est qualifiés sur du matériel militaire puisque utilisant des véhicules et des engins (de type Lorraine notamment) confiés par l’armée. Mais ni le général de la Porte du Theil, ni le haut commandement ne voulaient compromettre la mission éducative des chantiers . Les bureaux de recrutement étant interdits, l’armée ne pouvant se servir de ses archives qui auraient permis un retour rapide des troupes démobilisées, la légion française des combattants étant beaucoup trop politisée, il fallait donc trouver un moyen nouveau de mettre en place la mobilisation. L’idée vint de René Carmille, nommé en 1941 directeur général du service national des statistiques. Grâce au système de mécanographie informatique qu’il avait mis en place au service du recensement, la mobilisation clandestine pouvait être mise en place . En effet une ration de tabac supplémentaire était accordée à tous les jeunes hommes âgés de vingt à vingt-cinq ans. Par le biais de leurs cartes de tabac leur adresse pouvait donc être connue. Le recensement incluait dans ses critères la spécialité (cavalier, artilleur ou fantassin) et de cette manière les ordres de mobilisation pouvaient être adressés aux mobilisables. Durant l’hiver 1941-1942, Carmille sortit donc ainsi quelques 220 000 noms d’anciens combattants entraînés et vivant en zone non-occupée et les affecta par localité et par unité, de telle sorte qu’une mobilisation partielle, sur une base régionale, devenait possible en cas d’urgence ; il prépara également des cartes perforées permettant d’imprimer les ordres de mobilisation en quelques heures. Dans un délai de deux semaines quinze divisions environ auraient donc pu être mobilisées.

La quatrième armée a un caractère encore plus clandestin qui touche aux services secrets, c’est celle des GAD (groupes autodéfense) dont nous avons déjà parlé. Bien qu’en réalité embryonnaire, il convient de présenter cette organisation, ce réseau avant l’heure. Tout d’abord, c’est sur l’idée de du Vigier et du lieutenant-colonel d’Alès, chef du service des menées antinationales, que furent créés les Groupes d’Auto-Défense (GAD). Leur commandement fut confié au capitaine Jacques Lambert, ancien adjoint du lieutenant-colonel d’Alès au 5e bureau. Le but officiel, nous l’avons vu, était de faire partie des avant-gardes françaises dans les plans de réoccupation du territoire, afin de prévenir toute menée communiste, au sein des villes notamment. Celui qui était alors le capitaine Lejeune et allait prendre la tête des GAD par la suite décrit parfaitement sa mission : « La mission réservée « officiellement » aux GAD était la participation au maintien de l’ordre en cas de troubles provoqués par les communistes au moment de la défaite allemande. Sous cette couverture, ils étaient en réalité conçus en vue de participer à la lutte contre l’occupant. Ceci n’a jamais fait aucun doute ni pour mes supérieurs directs, ni pour moi-même et mes camarades »

Et en effet pour du Vigier et ceux qui en firent partie, le but des GAD était de renseigner l’EMA pour pouvoir ensuite frapper l’occupant. Ce réseau devait donc devenir un réseau de renseignement opérationnel en zone occupée et en particulier dans les zones interdites qui, le moment venu, servirait également de service action, à l’image des UCR (Unités Combat Renseignement) mis en place par le BCRA par la suite . Constitués et imaginés par des cavaliers, c’est donc fort logiquement que du Vigier qualifie ces GAD de « découverte » devant aller chercher le renseignement chez l’ennemi, localiser ses points stratégiques et savoir où l’on lui ferait le plus de mal. En l’occurrence, les points stratégiques étaient les grandes villes, Paris en premier lieu. Le personnel requis pour ces missions serait composé d’officiers dégagés des cadres ou en congé d’armistice. Leur mission serait de s’entourer d’hommes déterminés pour harceler l’occupant quand celui-ci se retirerait. Au vu des sources dont nous disposons, les GAD semblent avoir pu rassembler en zone occupée le soutien d’anciens militaires, de réservistes ou d’industriels, permettant de constituer de petits groupes de sept à dix hommes calqués sur les limites administratives . Des Alsaciens et Lorrains, réfugiés en zone libre, furent contactés pour retourner en zone occupée à cette fin et permirent aux GAD de développer leur action en faveur des évadés d’Allemagne et la taille du réseau GAD Alsace semble avoir été la plus importante. Les GAD participèrent dès lors aux filières d’évasions, et les contacts Alsaciens et Lorrains furent activés notamment pour l’évasion du général Giraud. Bien entendu, comme réseau de renseignement naissant, les GAD furent constamment en liaison avec le SSDN et donc les Travaux Ruraux (TR) de Paul Paillole ainsi que les Bureaux des Menées Antinationales (BMA) du commandant d’Alès. Ainsi les officiers comme Lejeune, Du Passage, De Dionne, Hallard, recrutés par le capitaine Lambert, premier chef des GAD et ancien adjoint du commandant d’Alès, furent formés à la villa Eole de Marseille. Les TR fournirent ainsi les premiers moyens aux GAD, notamment des radios, ils leur fournirent des renseignements et enquêtèrent sur les recrues .

Car l’action des GAD ne pouvait se concevoir en dehors des services secrets, très vite le général Verneau s’empressa de favoriser les transmissions avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, via l’ambassadeur du Canada Dupuis, les attachés militaires des ambassades américaines et canadiennes à Vichy, Bob Schow et Cassidy, et à Berne, Legge. Enfin par le Portugal et les valises diplomatiques. Ces divers contacts allaient d’ailleurs favoriser la liaison entre les Alliés et l’ORA par la suite.

Sur le terrain, les GAD étaient répartis par postes, et les structures – semblables à celles des postes TR – se constituèrent en « fuseaux », dont la tête était en zone non occupée. Un poste GAD était ainsi établi dans chaque division militaire frontalière à la ligne de démarcation avec un poste bis, projection du poste principal, en zone occupée, et jumelé à un poste TR. Les premiers résultats obtenus par les GAD furent modestes, comme pour la plupart des groupes de résistance à l’époque. Une des raisons essentielles comme le rapporte le capitaine Lejeune (devenu général) après la guerre tient dans les conditions de travail à l’intérieur des fuseaux : « Ces fuseaux, dont la tête était en zone libre, représentaient une solution intellectuellement satisfaisante, mais le chef pouvait tout au plus faire deux ou trois voyages par mois, en zone occupée. A l’occasion d’un premier voyage il prenait un contact, après son passage l’interlocuteur essayait d’obtenir de zone libre une indication sur le degré de confiance à accorder, il fallait attendre la réponse pour organiser une nouvelle rencontre, bref on avançait très lentement. »

Le capitaine Lambert et son adjoint l’adjudant-chef Henrich installèrent leur poste de commandement à Marseille, villa Eole, au PC même des Travaux Ruraux, ce qui permettait de disposer de leurs moyens et de former les nouveaux cadres. C’est ainsi que Lejeune, de Dionne, Hallard, Du Passage, de La Chapelle y furent formés en vue de leurs missions en zone occupée .

Le plus important des postes en zone dite « libre » était le poste 214 de La Mulatière-Les-Lyon, sous les ordres des capitaines Lambert et Chazalmartin. Y était rattaché l’adjudant-chef Derringer, qui organisa le plus important des GAD dans les départements de l’est de la France ainsi qu’en Haute-Savoie, avec des filières de passage pour les prisonniers évadés, des armes et plus que tout, des hommes sur lesquels on pouvait compter. « Chazalmartin, nous dit Derringer, était un ancien des chars. Il a recruté chez ses camarades – notamment en Bretagne, un réseau qui allait devenir une branche du réseau Alliance –, moi chez les miens. Finalement ces contacts ont fait tache d’huile. La résistance dans les Vosges a donc tourné autour de nous. Partout nous avions des éléments actifs dont le docteur Bareis qui correspondait avec moi par l’intermédiaire d’agents de liaison, Falsbisaner et Brucker, qui faisaient le voyage entre Lyon et Strasbourg. Ils n’étaient pas du tout soutenus avec des fonds. Ils devaient se débrouiller par leurs propres moyens ». En dix-huit mois Derringer avait bâti un solide réseau, traversant lui-même plusieurs dizaines de fois la ligne jusque Strasbourg où se tenaient des réunions. Dans ces réunions, Derringer et Bareis définirent les objectifs à atteindre : « 1). Le recrutement de membres (cadres) en vue de l’organisation militaire de la résistance, 2). L’aide aux prisonniers évadés français et alliés : habillement, hébergement et passage de frontière, 3). La transmission de renseignements (…) militaires et économiques. La propagande antinazie ; le sabotage de la nazification de l’Alsace par le Gauleiter Wagner ; l’aide aux jeunes Alsaciens pour l’évasion en zone Sud » . Ce comportement était d’ailleurs d’autant plus risqué pour Derringer qu’une balle en pleine figure reçue sur la Somme en 1940 lui avait laissé une cicatrice très apparente sur le visage. Naturellement, Derringer contribua à la planification de l’évasion du général Giraud . Par la suite, le capitaine d’Ornant, qui avait déjà commencé avec des réservistes à monter un réseau de résistance, repris le flambeau du GAD pour l’Alsace . Déjà en septembre 1940, le capitaine d’Ornant, alors affecté au 2e Dragons, avait rencontré du Vigier et « lui avait exposé les consignes qu’il avait données à ses camarades en vue de la résistance future. Du Vigier envisageait déjà son action d’ensemble sur la zone nord » . Il semble donc que dès fin 1940, le rôle des GAD s’oriente vers l’action et non sur le renseignement comme il était prévu, ce qui modifie la pensée première.

Le second poste GAD le plus important était celui de Paris, c'est-à-dire le fuseau Limoges-Paris, respectivement poste 212 et 212 bis dont le rayon d’action semble s’étendre jusqu’à Amiens et la zone interdite. Le poste principal était donc celui de Limoges avec les capitaines Hallard puis Dullin. Hallard faisait les allers-retours sur Paris pour mettre en place le GAD sur le terrain et prit ainsi contact avec un industriel, Maurice Ripoche , qui avait mis en place un service de renseignement dès juillet 1940 (qui allait devenir le réseau « Ceux de la Résistance »). Tout de même méfiant, Hallard dut d’abord lui amener deux valises d’armes de la zone sud. Par la suite le capitaine De Dionne resta en permanence sur Paris avec le capitaine du Passage. Pierre du Passage avait, comme presque tout ses collègues, demandé son congé d’armistice afin de pouvoir pénétrer en zone occupée et y organiser son poste. On ne sait que peu de choses de l’activité clandestine des officiers des GAD, car eux-mêmes n’ont laissé aucun témoignage. Mais l’on peut aisément imaginer le caractère clandestin de la vie menée par ces officiers à travers l’exemple de Pierre du Passage : il arrivait chez sa tante et ses cousins au couvre-feu et recevait d’autres officiers comme le capitaine Lambert dans le salon. Puis il repartait à l’aube, sans rien dire . Le 15 novembre 1941, le poste TR 112 bis, commandé par le lieutenant Martineau , avec lequel travaillait le poste 212 bis des GAD à Paris, est démantelé par l’Abwehr. Hallard et De Dionne y sont également arrêtés et déportés. L’affaire fait du bruit, et les responsables dont du Vigier sont mutés tandis que le capitaine du Passage reprend le commandement à Paris d’un GAD mis en sommeil pour quelque temps mais l’organisation n’est pas atteinte dans sa totalité car il semble que De Dionne et Hallard n’aient pas parlé. Or ils connaissaient tout l’organigramme jusqu’à du Vigier.

Le poste 213 était celui de Clermont-Ferrand, commandé par le capitaine Lejeune – évadé d’Allemagne –, qui succédera à Lambert à la tête de GAD, assisté de son adjoint, l’adjudant-chef Perusse. Son rayon d’action était tourné vers la Champagne et l’est en général, Lorraine et Alsace exclues. Lejeune se chargea d’organiser les premiers refus de répondre au STO, sur l’ordre de Lambert, avec un agent habitant Mâcon .

Quant au poste 217 de Toulouse, commandé dans un premier temps par le capitaine Dullin et dont le rayon d’action s’étendait sur le sud-ouest de la France, on ne sait que peu de choses. Son action la plus importante mentionnée dans les sources fut préparée en août 1941 : « il s’agit de saboter l’écluse centrale du Bassin à flots de Bordeaux, où se trouvaient une vingtaine de sous-marins italiens ; cependant, précise Dullin, comme l’explosif utilisé n’aurait pas provoqué de dégâts définitifs, et comme l’on craignait l’exécution d’otages (après la vague d’exécutions d’octobre), l’action n’eut pas lieu. » . Le parcours du capitaine Dullin est à mentionner cependant. En 1940 il est perdu dans une garnison du centre de la France et il décida durant l’hiver 1940-1941, d’écrire un rapport sur l’organisation d’une cinquième colonne en France. Son rapport fut transmis par la voie hiérarchique et la réponse fut sans appel : ordre lui fut donné de le brûler. Toutefois son chef de corps le transmit à des chefs plus compréhensifs et Dullin fut convoqué à Vichy. Le 3 février 1941 du Vigier le reçut et lui confia l’organisation du GAD 217 de Toulouse.

Pour chacun de ces chefs de poste, il fallait également un point de passage, pour retourner prendre les ordres à Vichy ou Marseille. Le point de passage de Martigny-le-Comte semble avoir été très apprécié, grâce à un agent du service de sécurité militaire française – transmissions de renseignements, relevant des TR, Jean Chauvot. Officiellement ce « passeur » était électricien à Montceau-les-Mines, doté d’une voiture et d’un ausweis pour franchir la ligne. Jusqu’à son arrestation le 22 janvier 1943 , il fit passer sans problème les agents comme Derringer, connu comme le cousin Henri par les allemands ou encore Lambert ou du Passage .

L’avantage de la mise en place des GAD se fit aussi, sur le plan clandestin, en parallèle à celle des premiers réseaux de résistance. Ainsi le mouvement Combat fondé par Henri Frenay, qui avait demandé son congé d’armistice, se développa à ses débuts en étroite relation avec les services de du Vigier. Et si l’on en croit le témoignage de Stanislas Mangin cité par Bénédicte Vergez-Chaignon : « Le colonel du Vigier, chef du 3e bureau, aurait confié à Louis Mangin, frère de Stanislas, qu’il avait laissé Frenay monter son organisation en en sachant tout, de façon à pouvoir faire pression sur lui et l’utiliser. « Nous le tenions par tous les bouts, il ne pouvait continuer sans notre assentiment. Bon gré mal gré, il lui faut travailler pour nous. » » Et ceci est en partie vrai car en effet, les premiers postes radio dont Fresnay disposa lui avait été fournis par l’armée. La liaison entre le lieutenant-colonel Clogenson du bureau d’études et Henri Frenay était assurée par un inspecteur de la sûreté, Mazillat . Une collaboration se mit également en place avec le réseau « Hector » du colonel Heurtaux et il semble d’après l’action du capitaine d’Ornant que la volonté de fusionner les premiers réseaux de résistance se soit formée, tout du moins en Alsace.

Bien sûr il ne faut pas en oublier l’adversaire qui est bien là et les GAD tout comme les TR font l’objet d’une traque de la part de l’Abwehr puis de la Gestapo. Un dossier secret sera établi à Paris par le Sonderführer Scheide à date du 12 août 1942, comprenant des schémas des réseaux TR et un aperçu sur les GAD . Après les arrestations de novembre 1941 à Paris, les GAD devinrent un réseau dormant. Touzet du Vigier, beaucoup trop impliqué dans l’organisation, reçut son affectation au commandement d’une brigade de cavalerie à Mascara deux mois plus tard. Une fois l’affaire tassée, d’Ornant et Derringer, passant outre les préventions de l’EMA, poursuivirent leur activité dans l’Est. Puis c’est presque tous les autres réseaux qui reprirent leur activité sur des bases plus modestes et dans une clandestinité renforcée . Suite à l’invasion de la zone sud par les Allemands, le capitaine du Passage reprit le commandement des GAD laissé vacant par le capitaine Lejeune – qui rejoignit Londres et devint chef du service action du BCRA – et s’assura du maintien des postes encore actifs. Quelques mois plus tard, les GAD devinrent une des branches de l’ORA (Organisation de la Résistance dans l’Armée), l’aidant dans son installation en zone nord par ses contacts déjà établis. En tant que mouvement de résistance constitué, et dans le cadre de l’ORA, Pierre du Passage multipliera les contacts avec l’Angleterre, ce qui le conduisit le 15 novembre 1943 , à prendre l’avion aux côtés d’un certain Morland qui partait lui aussi pour Londres.

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Quant à la cinquième et dernière armée, tout aussi fictive que la troisième d’ailleurs, elle représente pour Du Vigier « l’armée parachutée » . Ces « parachutés » étaient en fait les près d’un million cinq cent mille prisonniers français au peu partout en Allemagne. Le but pour cette armée était donc de collecter les renseignements, favoriser les évasions et les planifier par des filières et avant tout maintenir un contact en envoyant des colis avec des messages ou encore des outils permettant de s’évader. Le capitaine Lecoq, dont nous avons déjà parlé, fut ainsi « affecté » pour ainsi dire, à cette armée. En effet, ce dernier fut affecté à la section « moral » du 3e bureau mais si l’on en croit son témoignage, c’est d’une forme de moral détourné dont il s’occupait : « Notre service s’occupait ouvertement de la revue militaire et d’autres publications anodines, très discrètement du retour des drapeaux cachés en 1940, mais surtout de la préparation de ma mission : fabrication clandestine de papier à lettres et de formulaires de colis destinés aux prisonniers, collecte de denrées nous permettant d’expédier nous-mêmes des colis et d’y glisser par la même occasion des faux « ausweis », faux papiers d’identité et itinéraires de filières ». C’est donc ainsi que l’on peut se représenter la « cinquième armée » et ceux qui, au rez-de-chaussée de l’hôtel des Bains, travaillent depuis la zone non-occupée, à maintenir le lien avec les prisonniers, à dresser des plans des Oflags. Du reste, la mise en place de ces filières eut l’avantage d’être assez bien organisée pour planifier l’évasion du général Giraud de 1941 à 1942. La difficulté résidait cependant dans la réalisation de faux papiers et l’envoi de matériel. Il fallut s’entourer de collaborateurs pour la mise en place de ce service, et notamment dans le cadre de l’évasion du général Giraud. C’est le commandant de Linarès qui apporta les compétences et les moyens de faussaire du capitaine Israël en septembre 1941. Lecoq quant à lui apportait l’appui de du Vigier dans cette entreprise, ainsi que celui des chefs de bureaux dans la confidence à l’EMA, y compris Picquendar et Verneau (chef et sous-chef), mais également les moyens matériels et financiers nécessaires à la fabrication des colis, de brosses à faux dessus, de pantoufles à double semelle ou encore de conserves à double fond ou à double paroi. Tout ce matériel était fabriqué par des artisans de Clermont-Ferrand.

Trop impliqué, comme nous l’avons vu, dans son organisation, du Vigier trouve un jour sur son bureau son ordre de mutation pour l’Algérie, en rentrant de permission. Ses chefs, reconnaissant sa valeur, lui témoignèrent d’autant plus d’amitié dans sa notation pour ses activités au sein de l’armée au moment de son départ. Ainsi le général Verneau le décrivit donc en décembre 1941 comme un : « Officier supérieur de grande valeur intellectuelle et morale qui dirige d’une façon très satisfaisante le 3ème Bureau de l’Etat-Major de l’Armée en utilisant à plein son expérience d’instructeur et de combattant. A servi magnifiquement au cours des deux guerres en s’affirmant comme un chef en un entraîneur d’hommes de tout premier plan. Ce brillant passé de combattant, ses excellents services du temps de paix et l’ensemble de ses qualités désignent le colonel du Vigier pour une promotion rapide au grade de général de brigade.»
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Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau message Post Numéro: 23  Nouveau message de Vincent Dupont  Nouveau message 12 Oct 2009, 22:07

Reprendre la lutte : une idée réalisable finalement ?

Après avoir présenté l’action de du Vigier et de son 3e bureau, bien que celui-ci soit muté en Algérie, il apparaît nécessaire de faire une présentation du résultat de tant de préparations en vue de la revanche et il importe de se poser la question de la faisabilité de la reprise des combats, dans le cas de figure prévu par le 3e bureau d’invasion de la zone sud, invasion qui a effectivement lieu le 11 novembre 1942.

Nous avons en effet pu voir que dans le cadre des réflexions faites par le bureau d’étude, des plans avaient été bâtis dans l’hypothèse d’une invasion allemande de la zone sud. Or, dans cette hypothèse, les ordres du gouvernement ne seraient pas favorables à une action militaire. Des directives furent donc données par le général Picquendar, ces directives furent d’ailleurs reprises puis par son successeur, le général Verneau, responsable des ordres à donner en cas d’invasion : « En cas d’entrée des Allemands dans la zone libre, si l’armée de l’armistice fait le moindre geste de résistance, notre plan de mobilisation consistant en la formation de vingt-quatre divisions au total jouera et vous vous mettrez à la disposition des commandants de région. Si l’armée de l’armistice ne fait aucun geste de résistance, vous essaierez de mettre ce matériel à la disposition des Français qui veulent en conserver la responsabilité. Vous essaierez de camoufler le reste dans des dépôts morts, de manière que les propriétaires ou les détenteurs ne puissent être mis en cause. Vous distribuerez des armes, des munitions, du matériel à tous ceux qui vous en demanderont et qui en accepteront la responsabilité. Le reste, vous essaierez de le détruire. »

Au mois de janvier 1942, quand Picquendar, atteint par la limite d’âge, laisse sa place au général Verneau, l’organisation en vue d’une résistance de l’armée à une invasion est planifiée avec la complicité des commandants des divisions militaires. Chaque commandant de compagnie, d’escadron ou de batterie, avait dans sa poche un petit journal manuscrit de mobilisation de son unité avec le nom des cadres et le nom des hommes suivis de leur spécialité. Chaque homme savait en outre dans quelle cachette il allait trouver son flingot, sa mitrailleuse ou son tromblon. Sur le plan opérationnel, le 3e bureau et le bureau d’études avaient établi des plans pour l’utilisation la plus rapide de ces divisions militaires et la mobilisation clandestine en 48h de près de 200 000 hommes armés par le CDM. Des lignes et des points de résistance en fonction de la géographie physique de la zone sud avaient été également prévus, nous l’avons vu. Des études commandées par du Vigier dès son arrivée au 3e bureau avaient été orientées sur le combat de type guérilla, nous l’avons également vu ; ceci laisse entrevoir que les officiers de l’armée prêts à résister à l’invasion allemande à nouveau n’étaient cependant pas fous au point de résister dans le cadre de combats réguliers. Ces études s’étaient notamment inspirées de rapports de l’attaché militaire français à Bucarest qui avait renseigné l’EMA sur les modalités de résistance des unités de partisans soviétiques face à l’armée allemande, ce qui permet de se faire une idée du type de résistance que l’armée française devrait présenter.

L’armée était donc prête à reprendre le combat, mais ses officiers semblaient oublier dans leur désir de revanche que la décision revenait au gouvernement et que celui-ci, surtout après le retour de Pierre Laval à sa tête en avril 1942, s’y opposerait catégoriquement.

Le 8 novembre 1942, les troupes expéditionnaires alliées débarquent en différents points de l’Afrique du Nord. Ces opérations entraînent alors en métropole la question de la survie de la zone dite « libre », l’Etat français ne pouvant plus garantir la neutralité de l’AFN comme prévu. Le 9 novembre, la ligne de démarcation est fermée par les Allemands et des troupes commencent à se déployer pour pénétrer en zone sud. Outrepassant les consignes du général Bridoux, secrétaire d’Etat à la Guerre alors absent – et plutôt favorable au gouvernement et aux autorités d’occupation –, le général Verneau transmet ses ordres dans la nuit du 9 au 10 novembre :
« I°/ En vue d’éviter contact entre troupes armistice et troupes étrangères, les généraux commandant les divisions militaires doivent être prêts en cas d’avance allemande au-delà de la ligne de démarcation à exécuter déplacements des troupes et EM en dehors des garnisons et des axes principaux de pénétration. Toutes munitions seront prises.
2°/ Mesures d’exécution décidées à l’initiative des commandants de DM uniquement sur renseignement certain de franchissement de la ligne de démarcation.
3°/ Contact sera conservé avec EMA par postes radio électriques mobiles dont vous disposez avec indicatifs et fréquences du réseau radio de sécurité. » . Si l’on lit entre les lignes, on comprend très bien que cet ordre signifiait : « Préparez-vous à prendre le maquis », c’est d’ailleurs l’avis du colonel Clogenson sur le sujet . Dans la nuit, Vichy s’agite, les conducteurs de l’EMA (civils) sont convoqués, doivent aller faire le plein d’essence en pleine nuit pour conduire les chefs de l’EMA au PC provisoire de la ferme de La Rapine, qui était alors un PC transmissions camouflé, endroit parfait pour communiquer les ordres aux unités. Le problème était que bon nombre des officiers de l’EMA dont Olleris et Verneau n’étaient jamais allés à La Rapine. Le secret avait d’ailleurs été si bien gardé que beaucoup de voitures de l’EMA se perdirent dans la nuit du 9 au 10, avant de trouver La Rapine. L’affaire ne fit pas long feu et le général Bridoux dès le lendemain annula cet ordre et envoya un contre-ordre indiquant aux unités de rester dans les cantonnements l’arme au pied. Seul le général De Lattre avait déjà gagné son PC de campagne dans le maquis, les autres commandants avaient obéi. Il faut dire que dès l’arrivée de Bridoux au secrétariat d’Etat à la guerre, les commandants de divisions furent presque tous changés.

Néanmoins, en toute objectivité, l’on peut évaluer la capacité de résistance de l’armée en novembre 1942. En effet, en admettant que l’armée ait pu se mettre en place sur ses positions de résistance ou prendre le maquis dans des zones difficiles d’accès, il est très difficile d’envisager que ces unités aient pu résister bien longtemps. L’exemple du maquis du Vercors en 1944 peut fournir un exemple de comparaison sur le plan militaire et opérationnel : constitué d’unités relativement bien organisées sur un modèle militaire et disposant d’un armement approximativement similaire à celui en dotation dans l’armée française (à l’exception des canons de 75), ce puissant maquis ne put tenir qu’un mois environ face aux assauts des troupes allemandes (et des franc-gardes). En 1942 le nombre des divisions allemandes en France était plus élevé qu’en 1944, ce qui réduit d’autant plus la durée hypothétique de la résistance de l’armée française d’armistice. Si l’on ajoute à cela que dans les faits l’armée française d’alors n’avait jamais eu la moindre expérience du combat de type guérilla, si ce n’est sur le papier, il est peu probable qu’elle ait tenu longtemps. Néanmoins, l’argumentation des créateurs du plan de défense de la zone sud, conscients des limites en terme de capacité de résistance des troupes françaises, prévoyait un débarquement rapide des alliés afin de venir au secours de ces unités isolées, autour de ports comme Toulon ou Marseille ou à l’intérieur des terres. Or le fait est que la coordination avec les alliés sur ce point n’aboutit jamais. Qui plus est les Américains, sur lesquels comptaient les militaires de l’armée de Vichy, venaient d’ouvrir leur premier front terrestre en Afrique du Nord et il est donc peu probable que ceux-ci aient eu les moyens d’en ouvrir un second quasi-simultanément en métropole.
Bref, reprendre la lutte, sur le plan politique, était hors de question pour le gouvernement. Sur le plan militaire, c’était une hypothèse réalisable bien que vouée à l’échec.
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Re: Le Général Touzet du Vigier

Nouveau message Post Numéro: 24  Nouveau message de JARDIN DAVID  Nouveau message 12 Oct 2009, 22:18

Post très intéressant. Juste une remarque sur les aspects très administratifs de cette armée de l'ombre.
Vincent Dupont a écrit:l’organisation en vue d’une résistance de l’armée à une invasion est planifiée avec la complicité des commandants des divisions militaires. Chaque commandant de compagnie, d’escadron ou de batterie, avait dans sa poche un petit journal manuscrit de mobilisation de son unité avec le nom des cadres et le nom des hommes suivis de leur spécialité. Chaque homme savait en outre dans quelle cachette il allait trouver son flingot, sa mitrailleuse ou son tromblon. Sur le plan opérationnel, le 3e bureau et le bureau d’études avaient établi des plans pour l’utilisation la plus rapide de ces divisions militaires

On retrouve les mêmes principes dans l'Est avec l'organisation très bureaucratique du GMA Vosges: il est important qu'un état major fonctionne avec secrétaires, tampons, notes écrites .... et des listes complètes de noms pour les centuries encore non armées. Ces listes seront retrouvées lors d'une opération allemande dans des sacs d'officiers abandonnés. Vous imaginez la suite.
Bref, une organisation absolument pas adaptée à la vie de maquis. Le désastre assuré. Sur ce point les communistes étaient plus pragmatiques.
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