Robert Antelme a écrit: Dire que l’on se sentait alors contesté comme homme, comme membre de l’espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C’est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c’est cela d’ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres. La mise en question de la qualité d’homme provoque une revendication presque biologique d’appartenance à l’espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la « nature » et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l’espèce donc, et pour finir, surtout à concevoir une vue claire de son unité indivisible.
Dans ce livre publié en 1947, Robert Antelme nous fait d’abord partager sa vie de travailleur forcé dans le camp de Gandersheim, kommando de Buchenwald, puis nous emmène dans la marche de la mort qui le conduira à Dachau où il sera libéré par les Américains le 29 avril 1945. Plus qu’un témoignage de la vie quotidienne dans un camp de travail forcé, Robert Antelme nous livre aussi ses réflexions sur la nature humaine, sur ce qui, envers et contre tout, fait que nous participons tous de la même espèce, que nous partageons tous les mêmes démons et les mêmes espoirs. De cette plongée au cœur de l’âme humaine, où les ténèbres les plus sombres côtoient la lumière la plus éclatante, le lecteur ne peut sortir indemne, ou du moins inchangé, tant les méandres de ce voyage initiatique le confronte à sa propre nature d’homme. Devenu spectateur de ces effroyables destinées, où victimes et bourreaux côtoient jour après jour des « civils » aveugles volontaires, complices ou impuissants, le lecteur réalise en fin de compte ce que lui annonce l’auteur dans son avant-propos :
Robert Antelme a écrit:Je rapporte ici ce que j’ai vécu. L’horreur n’y est pas gigantesque. Il n’y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n’aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu’au bout, des hommes.