P. Vidal-Naquet a écrit:« […] 125 hommes, 125 témoignages en quête de crime ou d’innocence, qui se contredisent, se défaussent les uns sur les autres, chargeant de préférence les morts mais aussi les vivants, 125 récits qui déjà, dans l’Allemagne prospère des années soixante, paraissent incongrus et témoignent d’un monde disparu. […] »
C. R. Browning. a écrit:« Mes recherches […] me conduisirent dans la ville de Ludwigsburg, près de Stuttgart, où se trouve l’Agence centrale des administrations d’État de la justice (Zentrale Stelle des Landesjustizverwaltungen), autrement dit le bureau de la République fédérale qui coordonne les enquêtes sur les crimes nazis. L’Agence abrite une riche collection d’actes d’accusation et de jugement concernant pratiquement tous les procès intentés en Allemagne pour crimes nazis perpétrés à l’encontre des Juifs de Pologne. C’est en travaillant sur cette masse de documents que je suis tombé sur le dossier du 101e bataillon de réserve de la police, une unité de police régulière du Troisième Reich (Ordnungspolizei, ou, en bref, Orpo).
À partir des 210 interrogatoires de l’enquête judiciaire, menée à partir de 1962, et du livre de route du 101e bataillon de réserve de la police allemande, C. R. Browning, spécialiste mondialement reconnu de la Shoah, nous propose de suivre le parcours des 500 membres de cette unité qui vont, peu à peu, passer du statut « d’hommes ordinaires » à celui de « tueurs volontaires ». On découvre comment et pourquoi, des hommes, qui n’avaient pas, dans leur grande majorité, d’affinité particulière pour le nazisme et qui n’étaient pas encartés au NSDAP ou membres de la SS, ont pu, au fil d’actions de plus en plus meurtrières, se rendrent coupables et complices directement, par la fusillade d’au moins 38 000 hommes, femmes et enfants tous juifs, et indirectement, par la déportation d’au moins 45 200 juifs vers les centres de mise à mort de Belzec, Sobibor et Treblinka, du plus grand crime de notre histoire. Un livre qui fait froid dans le dos parce qu’il nous rappelle que nous ne sommes pas, loin s’en faut, à l’abri du pire et que nos consciences, engourdies de certitudes et de confort, refusent bien souvent d’admettre l’évidence : « si les hommes du 101e bataillon de réserve de police ont pu devenir des tueurs, quel groupe humain ne le pourrait pas ? »