L'ouvrage, donc :
André PICHOT, La société pure, de Darwin à Hitler, Champs Flammarion, Paris, 2001.
Un titre qu'on pourrait trouver racoleur, pour le très sérieux ouvrage du chercheur au CNRS André Pichot, Historien des Sciences.
Qui a ici rédigé l'une des rares histoires de l'eugénisme.
A l'apparition des théories de Darwin, de nombreuses personnalités, scientifiques ou non, vont tenter, du XIXè à nos jours, de les appliquer à la société. Fondant ce que E. Wilson appellera la Sociobiologie. C'est à dire l'application des concepts de la Biologie à la Sociologie.
Dès le début, le succès de ces théories est immédiat. Les notions de lutte pour l'existence et d'évolution, sorties de leur cadre biologique strict, permettent de donner une base biologique, scientifique, à la victoire de la Bourgeoisie sur la Noblesse, puis légitiment la condition de vie catastrophique des pauvres aux commencements de la Révolution industrielle, et la Colonisation.
Bien entendu, on passera vite à l'application des théories sociobiologiques : castration des "déviants", stérilisations massives... Imaginées pour protéger la société de la "dégénérescence biologique".
Les Américains sont les premiers à élaborer des lois eugénistes, bientôt suivis par la Scandinavie, la Suisse...
Les pays de culture catholique résistent. L'URSS également, Lyssenko ne croyant heureusement pas en la génétique de l'époque.
L'Allemagne est également touchée. L'eugénisme démarre surtout à la vue des métis, fruits des relations entre soldats noirs et Allemandes lors de l'occupation d'un pan de l'Allemagne dans les années 20. Métis castrés par le régime hitlerien.
L'eugénisme entraînera l'Aktion T4 bien connue. Pichot soutient que la plupart des historiens passent relativement vite sur l'élimination des handicapés, perçue comme un entrainement, un prélude à la Shoah, objectif essentiel d'Hitler. Il rappelle qu'en Allemagne même, il y eu plus d'handicapés éliminés que de Juifs (si quelqu'un a les chiffres).
Une analyse serrée des théories des eugénistes allemands de l'époque montre, selon lui, que la volonté d'extermination des Juifs trouve également sa source dans l'eugénisme. Les Juifs ont progressivement, par emballement des théories eugénistes des années 30, été assimilés à une menace biologique...
Au-delà de cette extraordinaire histoire de l'eugénisme, qui nous permet de revisiter les prémisses de la Shoah, quelques faits marquants retiennent l'attention :
Pour André Pichot, Alexis Carell sert de bouc émissaire aux biologistes de l'époque. Il a mollement tenté d'ouvrir une officine eugéniste sous Vichy, avec un succès mitigé.
Une grande part des biologistes du début du XXè, de toutes nationalités, ont été mouillés dans l'eugénisme, et ils s'en tirèrent relativement bien.
Otmar von Verschuer, par exemple. Supérieur de Mengele, Directeur de l'Institut de biologie de l'hérédité et d'hygiène raciale de l'université de Francfort, l'un des plus grands scientifiques de l'époque, s'est livré à des expériences assez atroces, pour le compte de la Luftwaffe.
Ce qui ne l'a pas empêché, après la guerre, de devenir l'un des scientifiques les plus renommé et admiré, en Allemagne et dans le monde.
De même, un grand nombre d'eugénistes ont aidé à la rédaction de la déclaration contre le racisme de l'UNESCO, après la guerre...
Autre fait marquant : la mort massive des handicapés dans les asiles sous Vichy. Si en Allemagne la mort des handicapés fut volontaire, en France, la mort des internés en asile (plusieurs milliers de victimes) trouve son origine dans la dégradation des moyens hospitaliers consécutive à la guerre, et au fait que le personnel soignant revendait la nourriture des handicapés au marché noir...
Je me permets de poster quelques critiques de l'ouvrage, mieux écrites que ce post tapé rapidement :
Historien des sciences, c’est un déficit de pensée qu’André Pichot vient combler. Question embarrassante que celle de l’eugénisme. Médias et historiens pensaient l’avoir verrouillée à l’intérieur de l’idéologie nazie. Or, ce qui transparaît de cette étude serrée, c’est que si l’eugénisme a été laissé dans l’ombre, c’est parce qu’il offrait une image gênante des sociétés de la première moitié du 20è siècle dans leurs relations avec le nazisme. En effet, les premières lois eugénistes datant de 1907 furent américaines. En Suède, elles restèrent en vigueur jusqu’en 1970. Le Directeur de l'UNESCO, Julian Husley, humaniste social-démocrate, attestait encore, en 1946, de leur bien-fondé. Quant à la Fondation Rockefeller, elle joua un rôle des plus important dans son implantation en Europe, en particulier par le financement de laboratoires allemands. L’eugénisme était ainsi le lieu commun de la pensée scientifique de cette époque. Si par ailleurs on a voulu faire de Gobineau le père de cette idéologie abjecte, c’est en réalité du côté de Darwin qu’on en trouve les fondements. On lui doit entre autres l’interprétation des problèmes sociaux en termes biologiques. Et bien sûr, son prestige est aujourd’hui intact. Ce ne sont ainsi pas les horreurs nazies qui ont fait disparaître l’eugénisme, mais les progrès de la génétique. Or celle-ci, très à la mode désormais, campe sur les mêmes questions : éviter par exemple la naissance d’individus malades. Il semblerait que le racisme moderne, décalqué de l’eugénisme, ne trouble plus personne… --Joël Jégouzo
L'ouvrage entreprend de retracer l'histoire de l'évolutionnisme et de la génétique depuis le début du XIXe siècle. Pour ce travail, André pichot utilise des données textuelles (textes théoriques, législations nationales ou déclarations internationales, correspondance entre chercheurs) ainsi que des données chiffrées sur les victimes des mesures eugénistes et de l'extermination des handicapés et des « asociaux » menée par les nazis.
Une idée couramment répandue veut la science ait été instrumentalisée et dévoyée par des idéologies extrémistes comme le nazisme, alors qu'elle n'est pas en elle-même productrice d'idéologie. André pichot s'attache au contraire à démontrer que les théories racistes et évolutionnistes ont été très largement partagées par la plus grande partie des biologistes et des généticiens et que ces derniers ont œuvré pour la mise en place de lois eugénistes dès le début du XXe siècle. La politique d'extermination nazie se situe dans la continuité de telles doctrines. La science porte une part des responsabilités dans le déroulement chaotique de l'histoire du XXe siècle, car elle est sortie de sa sphère et s'est donné pour mission de régler des problèmes politiques et sociaux en imposant des catégories prétendument scientifiques de distinction entre les êtres vivants...
J'espère vous avoir donné envie de lire cet ouvrage fondamental pour comprendre le nazisme, qui est caractérisé, comme l'écrit Pichot, par la finalité biologique comme objectif politique.
Si vous avez des questions...
PS : N'ayant plus l'ouvrage sous la main, j'ai pu commettre certaines erreurs.