Tom a écrit:Eh bien ! même si Hardy a donné la réunion de Caluire ou a été filé jusqu'à la maison Dugoujon, c'est quelqu'un d'autre qui a révélé ou confirmé la présence de Max à ladite réunion...
Tom a écrit:Il y a tout de même un "gros hic" dans cette explication, c'est que Klaus Barbie ignore, lors de son intervention à Caluire, que Max (Jean Moulin) se trouve parmi les personnes qu'il a arrêtées ; il ne l'apprendra que dans la soirée à l'Ecole de santé militaire où il a établi ses quartiers.
En effet, Henri Aubry rapporte les faits suivants dans son témoignage : A un moment donné, alors que nous sommes en train de recevoir des coups, un grand bonhomme à mine patibulaire, du genre des sbires de la Gestapo tels que nous les connaissons, arrive et dit en français, en jetant une liasse de courrier sur la table : MAX EST PARMI EUX !
Immédiatement, jubilation intense de Barbie et de son acolyte. On fonce sur Lassagne et sur moi. Nous déclarons ne pas le connaître.
Ainsi, l'"argument majeur" de Jacques Baynac ne peut pas vraiment tomber là... (En fait, c'est René Hardy lui-même qui a déclaré que de nombreux résistants, parmi lesquels des dirigeants de premier plan, auraient été arrêtés s'il avait véritablement collaboré avec Barbie ou s'il avait été filé après sa libération.)
(Jacques Baynac, op. cit., p. 411)Déclaration ambiguë. Le "grand bonhomme" apprend-il à Barbie ce qu'il ignorait jusque là, à savoir qu'il a pris par hasard Moulin chez Dugoujon ? Ou bien confirme-t-il que, comme prévu, Moulin y a bien été arrêté, même si l'on ignore encore lequel c'est ?
Mais, s'agissant de René Hardy, c'est autre chose. D'abord, il existe des faits accablants contre lui : ses bobards, son arrestation, les circonstances de son évasion, les rapports allemands... Ensuite, Barbie n'a jamais varié dans ses déclarations : Hardy était bien le traître. Enfin, Edmée Delettraz travaillait in fine pour la Résistance, pas pour Barbie, et elle n'a certainement pas été manipulée contre Hardy par le "boucher de Lyon".
L'adjoint de Barbie, Steingritt, a également reconnu que Hardy était le traître. Mais il l'a nié au cours du second procès. Toutefois, un témoin, Georges Teulery, détenu comme ces deux personnages à Fresnes, les a vus "en bons termes, comme de bons et vieux amis" : sans doute l'Allemand a-t-il passé, en prison, un accord avec son ancien agent (voir Pierre Péan, La diabolique de Caluire, 1999, Fayard, p. 132-134). Ce qui remet en cause la sincérité du revirement de Steingritt.
Barbie sait que "Max" est censé se rendre à la réunion. René Hardy, informé par Bénouville et Aubry, lui a signalé le fait. Il sait donc que "Max" fait partie des personnes arrêtées, mais il ignore son identité véritable. Conserver Hardy lui apparaît inutile, puisque lui-même n'a jamais vu "Max".
Tom a écrit:René Hardy me paraît, en effet, coupable, non parce qu'il a caché son arrestation à ses camarades (ce pouvait être pour éviter qu'ils ne l'écartent, voire ne l'éliminent),
non parce qu'il a accepté de "collaborer" avec la "Gestapo" (Edmée Delétraz en a fait autant pour sauver sa peau et n'en a pas moins, semble-t-il, continué à travailler, au bout du compte, pour la Résistance),
non à cause des circonstances de sa première évasion (qui sont vraisemblables, en tout cas moins rocambolesques que certaines autres évasions dûment certifiées),
non à cause des rapports allemands (qui reprennent les déclarations de Klaus Barbie),
mais à cause de ces dernières qui n'ont effectivement jamais varié à ce sujet (sauf en 1948 dans un article destiné à la presse, où Klaus Barbie prétend que René Hardy lui aurait échappé,
et en 1990 où, alors qu'il est prisonnier à Lyon, il accuse... Lucie Aubrac d'avoir "donné" la réunion de Caluire)
et aussi parce que l'agent triple Edmée Delétraz, qui incrimine formellement René Hardy, a vraiment tenté d'avertir la Résistance à un moment (le 21 juin vers 11 h du matin) où il était encore possible d'annuler la réunion fatale.
En effet, je ne vois pas pourquoi, longtemps après la guerre, Klaus Barbie aurait voulu faire de René Hardy un bouc émissaire afin de dissimuler l'identité d'un autre résistant français dont il devait se contreficher éperdument (sauf, bien entendu, s'il s'agissait, comme le laisse entendre Jacques Baynac, de dissimuler une éventuelle culpabilité de l'OSS, c'est-à-dire des Américains qui ont protégé Klaus Barbie après la SGM).
Nicolas écarte le témoignage du général Desmazes, chef en second de l'AS, par ses mots : Témoignage de seconde main aussi imprécis que peu convaincant. Ne peuvent-ils encore bien mieux s'appliquer à ce Georges Teulery ?
En tout cas, Harry Steingritt maintient ce qu'on n'a pas pu chercher à lui faire dire : la tenue d'une réunion préparatoire dans le bureau de Klaus Barbie une heure avant l'intervention à Caluire où il a été question de la maison du docteur Dugoujon. Pourquoi alors Edmée Delétraz a-t-elle prétendu suivre René Hardy pour connaître le lieu de la réunion et pourquoi, si elle était seule, n'est-elle pas entrée pour donner l'alerte ?
Cette dernière explication ne tient pas vraiment. En effet, Klaus Barbie croit que Max (Jean Moulin) se trouve au premier étage avec les autres résistants et non pas au RDC parmi les patients (à preuve, pendant deux jours, il prend André Lassagne pour Jean Moulin). Si René Hardy a trahi, Klaus Barbie doit logiquement penser qu'il a eu le temps de faire connaissance avec Max entre 14 h 20 et 14 h 45 et IL NE DEVRAIT PAS PERMETTRE SON EVASION AVANT D'OBTENIR UNE INFORMATION DE SA PART A CE SUJET CAPITAL.
Si, et pour une raison très simple ! Hardy s'évade ? Ce n'est pas grave : les autres personnes arrêtées sont également susceptibles de connaître Max !
Cette évasion n'est pas rocambolesque, elle est invraisemblable : Hardy est le seul prisonnier à ne pas être menotté - il est relié à un gestapiste (Steingritt, crois-je) par une simple "ficelle" - et les Allemands le laissent, pour ainsi dire, s'enfuir. Un gestapiste armé d'une mitraillette ne daignera même pas, si mes souvenirs sont bons, ouvrir le feu. Un autre usera de son pistolet, mais il semble qu'il ait oublié les consignes de Barbie - c'est du moins ce que ce dernier prétendra.
Hardy prétendra avoir été blessé, mais nul ne remarque sur l'instant ladite blessure, qui apparaîtra bien plus tard, et vraisemblablement suite à un coup monté avec un médecin allemand convoqué pour l'occasion par Barbie.
Et je ne cause que de cette évasion, pas de la seconde (encore une !), celle de l'hôpital militaire allemand de la Croix-Rousse, quelques jours plus tard...
Tom a écrit:Certes, mais avouez qu'il serait bien plus simple pour Klaus Barbie d'interroger un traître complaisant que de torturer des résistants susceptibles de se taire ou de mentir !
En tout cas, cette question est si importante pour déterminer la culpabilité de René Hardy que Klaus Barbie a jugé bon de donner moult détails à ce sujet, lesquels se sont révélés complètement faux ! à savoir que René Hardy
- lui aurait d’abord fait un signe de tête pour lui confirmer la présence de Max à la réunion (ce que René Hardy ne pouvait faire puisqu’il ne connaissait pas Max et qu’il ne l’avait pas rencontré, Max étant resté au rez-de-chaussée) ;
- se serait ensuite caché dans un placard ou une armoire pour identifier Max parmi les suspects (ce que René Hardy ne pouvait faire puisque, encore une fois, il ne connaissait pas Max et que, de plus, il n’y avait ni placard ni armoire dans la pièce utilisée par Klaus Barbie).
En fait, René Hardy était retenu par un "cabriolet", qui est tout de même une chaîne, par l'adjoint et garde du corps de Klaus Barbie, qu'il a dû bousculer et frapper pour se dégager et s'enfuir.
Selon un témoin, le "gestapiste", de faction à l'entrée et armé d'un P.M., aurait été gêné par la voiture et aurait néanmoins ouvert, trop tard, le feu qu'il aurait immédiatement cessé pour permettre la poursuite de René Hardy par les autres agents.
Cela dit, au moins deux témoins, je crois, se souviennent que des coups de pistolet ont été tirés dans la direction de René Hardy par les agents, que celui-ci zigzaguait sur la petite place entre les platanes et des murets protecteurs, et qu'il a, brusquement, fléchi sous l'impact d'une balle qui l'aurait touché au bras...
D'accord, les deux évasions de René Hardy semblent rocambolesques, mais pourquoi Klaus Barbie aurait-il pris la peine de monter un tel coup alors qu'il n'a plus utilisé René Hardy par la suite, aucun des résistants que celui-ci a rencontrés n'ayant été arrêté.
Toujours de mémoire, des personnes arrêtées (le Dr. Dugoujon ?) se souviennent qu'au son produit par les coups de feu, les Allemands se seraient adressés des sourires et des clins d'oeil entendus.
En fait, le cantonnier Rougis, qui a eu l'occasion de voir Hardy de près, ne se rappellera pas l'avoir vu blessé...
De mémoire, une expertise réussira à déterminer que la blessure de René Hardy, sans gravité, aura été causée par une balle tirée à moins de cinquante centimètres. A vérifier - l'info se situe, de mémoire, dans les ouvrages que Pierre Péan consacre à l'affaire. De surcroît, et toujours de mémoire, Pierre Péan citait les déclarations du médecin militaire allemand qui avait causé ladite blessure.
Pourquoi se servir de René Hardy, puisque les autres sont en cellule et sont censés tout avouer ? D'autant que Max est une encyclopédie vivante sur la Résistance...
Sur la citation, cher Alain, gardez-la s'il vous en chaut ! J'ai juste voulu signaler que "pacifiste" aussi était un beau mot, du moins avec une certaine définition.
Sur votre dernière objection concernant Hardy, il faut considérer que tout va très vite. Barbie ne sait pas qu'il va avoir des difficultés à identifier Max et, s'il a promis à Hardy de le laisser partir, il faut bien qu'il s'exécute et ne peut le faire qu'à ce moment-là. Il a d'ailleurs briefé le personnel auparavant à ce sujet, notamment pour faire en sorte qu'Hardy ne soit pas menotté.
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