Page 1 sur 6

Claude Lanzmann "scie" Les Bienveillantes

Nouveau messagePosté: 25 Sep 2006, 15:46
de gfregfre
La Shoah est-elle une chasse gardée ?

Elle est bien vilaine, bien inélégante vraiment, la façon de Claude Lanzmann de dénigrer Les bienveillantes de Jonathan Littell, comme si le succès de ce livre devait l’inquiéter…
En lisant l’extrait de ses propos recueillis par Marie-France Etchegoin dans la dernière livraison du Nouvel Observateur (« Une documentation impeccable mais… »), m’est revenu le souvenir du Professeur Schwartzenberg téléphonant un soir à une jeune confrère écrivain-médecin (Christian Lehmann) qui avait osé s’exprimer à la TV sur le cancer pour lui lancer : « Le cancer à la TV, c’est moi ! »
Claude Lanzmann déclare notamment, dans le Nouvel Obs’ , qu’il n’y a en somme que deux personnes au monde qui peuvent comprendre Les Bienveillantes : lui et Raul Hilberg, l’auteur de La destruction des juifs d’Europe. S’il reconnaît le travail monumental de Jonathan Littell, Lanzmann insinue, en se contredisant lourdement d’ailleurs, que ce livre n’est pas vraiment « incarné », tout en récusant le droit du romancier à peindre un personnage couturé de complexes et de perversions. Comme si les diarrhées de Max Aue, ses phobies et ses goûts sexuels risquaient de distraire l’attention du lecteur ! A en croire Lanzmann, ce livre serait trop difficile à lire, et surtout, surtout, le fait qu’il soit lu par tant de gens (plus de 120.000 lecteurs après trois semaines…) risque également d'aboutir à une mauvaise lecture… Passons sur les détails : si la mauvaise foi de Lanzmann est moins crasse et futile que celle d’un Angelo Rinaldi, elle est plus attristante pour ceux qui, comme Jonathan Littell lui-même, qui a été bien plus loyal à son égard en reconnaissant sa dette envers le film, ont été marqués par Shoah.
Est-ce à dire que Les Bienveillantes soit le chef-d’œuvre absolu qu’il s’agit de célébrer à genoux sans oser la moindre critique ? Nullement. Il est vrai que ce livre exige un grand effort de lecture. Vrai aussi que le protagoniste n’est pas un compagnon de route des plus gais. Vrai surtout que cette plongée progressive dans le Mal est une épreuve à la fois nerveuse et physique, mais qui me semble absolument pure de toute complaisance et de toute fascination.
Or c’est là que Claude Lanzmann est le plus injuste envers Jonathan Littell : en laissant croire que le romancier est fasciné par son personnage et qu’il se délecte de son abjection. C’est bas. C’est très bas, Monsieur Lanzmann, et les lecteurs de bonne foi apprécireont…
Les Bienveillantes, au demeurant, ne traite pas que de la Shoah. Contrairement à ce que d’aucuns ont déjà conclu sans l’entrouvrir, ce n’est pas une « lamentation juive » de plus (j’emprunte l’odieuse expression à ceux qui la ressassent de plus en plus ouvertement) mais c’est un très grand livre sur le consentement universel au Mal. Ce que vit Max Aue en se soumettant à son idéologie de mort ne concerne pas, cela va sans dire, que le nazisme, même si l’industrie des sieurs Eichmann & Co aura touché à des sommets d’organisation et d’efficacité dans l'extermination – ce que Jonathan Littell montre de l’extérieur et de l’intérieur. Il est vrai, par ailleurs, qu’on aura trop vite comparé le jeune romancier à Léon Tolstoï ou à Vassili Grossman, et que la masse du livre ne « bouge » pas du tout de la même façon que celle de La Guerre et La Paix ou que Vie et destin. Vrai aussi qu'il n'a pas leur amplitude artistique. Mais lui-même est le premier à récuser ces comparaisons hâtives, voire publicitaires, disons: médiatiques.

Alors quoi ? Alors rien : lisez Les Bienveillantes, foutez-vous de la rumeur et jugez par vous-même. Pour ma part, je n’ai rien lu cettte rentrée de plus sérieux, de plus bouleversant, de plus réellement nécessaire que ce livre, comme on a pu le dire, et là encore la comparaison a ses limites, de L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne.

http://carnetsdejlk.hautetfort.com/arch ... antes.html

a lire :
http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/2 ... ppel=GOOGL
http://www.gallimard.fr/rentree-2006/index1.htm
http://www.lire.fr/portrait.asp/idC=50337/idR=201/idG=3



j'ai vu ce livre dans l'émission littéraire de Durand, je viens d'en entendre parler à la radio, le débat bat son plein.
je vais acheter la bête pour me faire une idée.

qu'en pensez vous ?

Nouveau messagePosté: 25 Sep 2006, 22:43
de Colonel Fabien
J'ai acheté le livre aujourd'hui (avec Le Mythe Hitler de Kershaw). Un beau pavé d'ailleurs. Le sujet en soi est des plus interressant et méritait d'être exploré. Cette polémique autour de ce livre me fait penser à celle qui avait tournée autour du film La Chute de Bernd Eichinger. Déjà Mr. Lanzmann, pour qui j'ai beaucoup de respect, y était allé de son laïus.

Nouveau messagePosté: 26 Sep 2006, 17:40
de St Ex
Gfregfre, comme toi j'ai tiqué sur l'interview de Lanzmann que je n'ai pas trouvé franchement tellement élégant, c'est l'égo des artistes alors que là, il est très mal placé! Enfin!!!

St Ex

Nouveau messagePosté: 26 Sep 2006, 18:14
de Marc Binazzi
J'ai déjà posté un message sur ce bouquin le 24 août sans susciter beaucoup d'intérêt d'ailleurs (voir plus bas..) mais c'est le lot des précurseurs..... :)

En ce qui concerne Lanzmann évidemment il faut lire ce bouquin et se foutre royalement des épanchements de bile des uns ou des autres. D'ailleurs, l'a-t-il lu jusqu'à la dernière page??????

Nouveau messagePosté: 11 Oct 2006, 14:35
de BAST
moi je l'ai lu! ...
livre à polémique?
oui et non, c'est d'abord un roman et dans le domaine littéraire l'on doit et peut tout se permettre.
la force et l'intérêt de ce livre est que justement J.Littell arrive à faire rentrer le mal sans prévenir et impose de suite au lecteur une vision du nazisme et de la solution finale à travers les yeux d'un bourreau ss ordinaire.
ce bourreau n'est autre que le héro de ce roman, un certain Maximillien Aue.
ce mal nécessaire a un but évident celui de nous faire regarder les choses en face.
en effet ce Maximillien Aue pourrait être nimporte qui d'entre nous.
pourquoi?
parceque l'auteur réussit à nous faire partager ses peurs, ses dégoûts, ses inquiètudes et ses réflexions.
ce n'est ni un homme détestable, ni un idiot, un pervers, un monstre, ni encore un fanatique, et là, évidemment cela peut perturber certains intélectuels, journalistes ou lecteurs.
ce que fait Maximillien, il le fait en pleine connaissance de cause, en pensant qu'il y allait de son devoir et qu'il était nécessaire que cela soit fait.

ce livre est extraordianire car il présente la guerre et ses horreurs d'une manière nouvelle et c'est je trouve courageux de la part de Jonathan Littell d'avoir fait ça.

les seuls reproches que l'on peut lui faire sont les erreurs historiques comme la présence de la milice qui n'existait pas en 1943, contrairement à ce qu'il affirme dans son roman à la page 462.
ou bien la vision totalement fausse qu'il donne des volontaires français qu'il considère comme des petites frappes parisiennes, et que seul Berlin à été défendu par des finlandais, des estoniens et des hollandais.
c'est totalement faut!
certains diront de ce livre qu'il est dangereux, choquant et sujet à polémiques.
Un éditeur allemand ira même jusqu'à refuser de l'éditer pour soit disant éviter une "érotisation du nazisme".
malgré ça et certaines aproxiamtions historiques je le conseille à tous.
mais bon il faut pouvoir aussi être capable de digérer un pavet de 900 pages.

Image

présentation de l'éditeur:

« En fait, j'aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d'écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n'ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien : j'ai fait mon travail, voilà tout ; quant à mes histoires de famille, que je raconterai peut-être aussi, elles ne concernent que moi ; et pour le reste, vers la fin, j'ai sans doute forcé la limite, mais là je n'étais plus tout à fait moi-même, je vacillais, le monde entier basculait, je ne fus pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré mes travers, et ils ont été nombreux, je suis resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l'air, le manger, le boire et l'excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif. »

Avec cette somme qui s'inscrit aussi bien sous l'égide d'Eschyle que dans la lignée de Vie et destin de Vassili Grossman ou des Damnés de Visconti, Jonathan Littell nous fait revivre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale du côté des bourreaux, tout en nous montrant un homme comme rarement on l'avait fait : l'épopée d'un être emporté dans la traversée de lui-même et de l'Histoire.

aux éditions Gallimard.

Nouveau messagePosté: 12 Oct 2006, 11:14
de panzer5
Tu oublies de dire que Littel s'est extrêmement bien documenté en ce qui concerne le mode de fonctionnement de la SS, la hiérarchisation et l'organisation des Einsatkommando, les enjeux de l'Ostpolitik nazie, ainsi que sur les rivalités entre Wehrmacht et SS. Rien que pour ça, cet ouvrage apporte des éclairages extrêmement intéressant, sinon pour le reste je te rejoins tout à fait!
Un livre incontournable, d'aprés Jorge Semprun (auteur du "mort qu'il faut") Le XXe siècle a eu son roman avec "Le voyage au bout de la nuit" de Céline, le XXIe a déjà le sien avec "Les bienveillantes"! je suis entièrement d'accord.

Nouveau messagePosté: 12 Oct 2006, 13:28
de BAST
oui je suis d'acord, mais il ya quand même quelques erreurs; par exemple il y en a une qui a retenue mon attention.
c'est l'utilisation de l'apostrophe aux supérieurs, tel "Herr Oberstumfürer"
c'est une faute, car jamais on ne s'adressait à un supérieur en faisant précéder son grade de "herr" dans la waffen ss.
dans la wehrmacht oui mais pas dans la waffen ss, ou le style était tout autre, disons plus fraternel.

Nouveau messagePosté: 12 Oct 2006, 13:48
de panzer5
Est-ce que ça a réellement une quelconque importance?

Nouveau messagePosté: 12 Oct 2006, 17:48
de BAST
oui et non je l'admets, mais cependant je trouve que l'acumulation d'erreur peut au finale derservir l'intérêt d'un livre, et à mon avis la plus grosse bourde de ce bouquin c'est la vision éronnée que donne l'auteur des volontaires français.
ceci dit cela reste un grand roman, et bien évidemment l'on peut ne pas y attacher une grande importance. . .

Nouveau messagePosté: 13 Oct 2006, 09:34
de panzer5
En ce qui concerne les volontaires français, je n'en suis pas encore arrivé là donc je te donnerai mon point de vue à ce sujet un peu plus tard. ;)