Nicolas Bernard a écrit:
en cas de paix conclue avec la France et la Grande-Bretagne en juin 1940, Hitler n'avait absolument pas la possibilité de se retourner vers l'Est au point de lancer une offensive d'été.
Je ne souscris pas à toute l'argumentation, mais il est plausible en effet qu'il se soit abstenu. C'est d'ailleurs ce que je dis moi-même !
Le débat porte donc sur le caractère concevable ou non d'une offensive "Barbarossa" démarrant en mai ou juin 41, avec la même brutalité, la même obsession de porter un coup foudroyant, que celle que nous connaissons, en dépit du fait que la guerre n'aurait plus lieu que sur un front (donc avec une rapidité supérieure).
Bref, la Directive 21 serait entrée en application l'année suivante, et avec un peu d'avance (l'Italie demeure en paix et ne s'attaque pas à la Grèce, la Yougoslavie ne saurait constituer une menace malgré un éventuel coup d'Etat). La tension "belliciste" retombe ? Pas vraiment : il suffit d'exciter le Volk contre le communisme, tirer notamment parti de l'avancée soviétique vers la Baltique et Bucarest, mettre l'accent sur l'existence de minorités allemandes dans les ex-Etats baltes et en Roumanie inquiétée, voire même se revendiquer des Allemands de la Volga : la liste des prétextes à une guerre avec Staline est infinie. Le peuple approuvera parce que l'Allemagne ne se battra pas sur deux fronts et affrontera un adversaire aussi craint que méprisé, en particulier depuis la mésaventure finlandaise.
Ton raisonnement me paraît trop provincial. Que fait, que pense le vaste monde pendant tout ce temps-là ? Et les Allemands, soulagés comme après Munich d'une victoire sans pertes humaines (enfin presque, cette fois -puisque la guerre s'arrête à Dunkerque après un impeccable "Sichelschnitt" et que les pertes de juin 40 ont été évitées) ?
Hitler n'a strictement rien à craindre de l'Occident. La France a été mise à genoux, et son appareil militaire probablement démantelé, du moins mis à mal. L'Angleterre s'est débarrassée de Churchill et a mis la pédale douce à son réarmement, outre qu'elle a besoin des Allemands pour modérer les Japonais en Asie, face à Hong Kong et Singapour. Les Etats-Unis ? Ils sont loin, et Roosevelt aurait de toutes les manières été réélu en 1940 - il a eu la chance, en effet, de compter sur un certain Lyndon B. Johnson, véritable génie politicien, pour organiser la campagne démocrate. Et qui crachera sur les Allemands pour leur croisade anticommuniste ? Les Français ne sont pas morts pour Prague, ils ont perdu une guerre perdue d'avance pour Dantzig, alors Moscou et Leningrad... Tout au plus y aurait-il eu l'espoir de voir les Allemands s'enliser, comme Napoléon en 1812.
Là nous sommes au coeur de l'affaire.
Prenons le pb de la réélection de Roosevelt : elle va contre une règle non écrite mais tout de même impérieuse, la coutume instaurée par George Washington de ne faire que deux mandats, sans quoi la tyrannie menace (règle rendue absolue par un amendement de la constitution, malgré ce précédent ou justement à cause de lui, après la guerre). Pour passer outre, il fallait bien la menace d'un Hitler triomphant et d'une guerre non tranchée. Si la paix revient fin mai 40, pas question d'un troisième mandat, à moins que... que cela n'apparaisse comme une fausse paix, précisément, un armistice pour permettre à l'Occident surpris de se remettre sur ses jambes.
Que vaut un pacte, un traité dans les années quarante, lorsque l'ordre nazi règne sur l'Europe, par annexions, Etats fantoches ou Etats soumis interposés ? Hitler risquait de susciter l'ire de l'Amérique le 22 juin 1941, dans un contexte infiniment moins favorable que celui de notre uchronie
mais précisément, il est alors complètement coincé et mis en demeure par le miracle churchillien de la guerre maintenue; et comme il mesure tout, ou du moins l'essentiel, en termes de "Providence", il pense qu'alors elle le tente, et qu'il n'a plus qu'à appliquer le programme à la hussarde, toute violence dehors, cela doit marcher parce que cela ne peut que marcher, étant donné qu'il a été envoyé ici bas pour effacer 2000 ans de christianisme. Marcher, c'est-à-dire que l'URSS va s'effondrer en trois mois, permettant à l'Allemagne de se rendre inexpugnable grâce aux richesses de l'Ukraine et du Caucase. Et à Hitler de convaincre ses larges masses de l'excellence de l'idéologie raciste.
: il n'en a pas moins attaqué la Russie. Par quel scrupule moral se serait-il abstenu d'agir de même dans l'hypothèse d'une paix occidentale en juin quarante ?
mais justement pas par des scrupules moraux ! Toujours par de froids et cyniques calculs. Pour employer une image anachronique, mais très légèrement, il sait qu'il vient de bouleverser le monde par une réaction nucléaire, rien n'urge plus que de laisser refroidir pour consolider les gains.
Il ne risquait rien. Il pouvait agir comme bon lui semble. Le Droit, chez lui, c'est la Force. Etant le plus fort, il était en droit d'anéantir l'URSS. Et vu la violence de l'invasion, le génocide juif en aurait résulté. Par peur d'encourir des représailles militaires, les Occidentaux auraient-ils cédé leurs Juifs ? On peut le supposer : il suffisait de faire croire à l'existence d'une réserve, quelque part dans les territoires soviétiques occupés...
là, n'importe quoi !
et tu te tires une balle dans le pied : effectivement, si Hitler compromet sa paix à l'ouest par un massacre comme si de rien n'était des Juifs sous sa domination, c'est un comportement de maître du monde qui présuppose qu'il entend se faire livrer les Juifs du monde entier.
Donc il est fou, sur toute la ligne. Insensé non seulement idéologiquement, mais pratiquement. Il n'accumule les succès que pour mieux édifier un grand bûcher dont il sera la victime suprême.
Ayant à subir le choc de 200 divisions allemandes et balkaniques, et faute de bénéficier d'un appui anglo-américain, Staline perd évidemment la guerre. Kiev tombe en septembre 1941, Leningrad en octobre, Moscou en novembre. Nouvelle campagne l'année suivante, cette fois vers le Caucase. En 1943, l'armée allemande atteint les monts Oural. Entre-temps, les Juifs de Pologne et d'URSS ont été liquidés. La guerre se prolonge néanmoins contre une quasi-guérilla soviétique en Sibérie, pas de quoi menacer le Reich, mais ce fait permet à Hitler de maintenir son empire en état d'alerte permanente. Le Japon, qui a pu occuper la Sibérie orientale grâce à l'effondrement du régime stalinien, peut transférer l'armée du Kwantung en Chine centrale, et liquide le régime de Tchiang Kaï-chek ainsi que la guérilla de Mao, pouvant ainsi faire contrepoids aux Américains dans le Pacifique.
Dans une telle perspective, qu'aurait donc à craindre Hitler ? Facile : que dalle. D'une certaine manière, allié japonais et effondrement soviétique obligent, il domine le monde.
Je ne te le fais pas dire. Reste que la métamorphose du manipulateur virtuose des années 30 en brute primaire des années 40 n'est pas expliquée du tout.
Et puis tu donnes dans l'anti-américanisme, une chose un peu inattendue chez toi, surtout sous une forme aussi primaire. Ayant laissé leurs amis français et anglais abandonner la lutte en mai 40, ils font et pensent quoi, les States, par rapport à leur obsession de tout le siècle, de repousser le plus loin possible les frontières de leur sécurité et d'obliger la planète entière à s'ouvrir à leurs marchandises ? Le Reich autarcique dominant outrageusement l'Europe, est-ce acceptable pour eux ? Et ils ne seraient même pas fichus, débarrassés pour un temps de soucis dans l'Atlantique, de ramener le Japon dans son archipel, pire, ils lui permettraient de s'étendre encore, aux dépens de la Russie comme de la Chine ?