François Delpla a écrit:Le débat porte donc sur le caractère concevable ou non d'une offensive "Barbarossa" démarrant en mai ou juin 41, avec la même brutalité, la même obsession de porter un coup foudroyant, que celle que nous connaissons, en dépit du fait que la guerre n'aurait plus lieu que sur un front (donc avec une rapidité supérieure).
"En dépit du fait" ? Plutôt "grâce au fait" !
Ton raisonnement me paraît trop provincial. Que fait, que pense le vaste monde pendant tout ce temps-là ? Et les Allemands, soulagés comme après Munich d'une victoire sans pertes humaines (enfin presque, cette fois -puisque la guerre s'arrête à Dunkerque après un impeccable "Sichelschnitt" et que les pertes de juin 40 ont été évitées) ?
Le reste du monde ? L'Europe (qui a colonisé l'Afrique) est soumise, le Japon est un allié, la Chine ne joue qu'un rôle d'absorbant de la machine de guerre impériale, l'Amérique du Sud ne compte pas, restent les Etats-Unis, mais vont-ils, eux, se battre pour Staline ? Allons donc !
Les Allemands ? Dans la réalité, ils avaient encore davantage de raisons de s'inquiéter : leur pays se lançait dans une guerre sur deux fronts ! Ici, il n'y a qu'un adversaire, l'URSS. Il suffit, pendant un an, de préparer subtilement les esprits, puis de prétendre que la guerre sera fraîche et joyeuse, et les Allemands moyens, à défaut de marcher, se tairont. Si Hitler est victorieux - et il sera victorieux, dans cette hypothèse - qui lui demandera des comptes sur la méthode ?
Là nous sommes au coeur de l'affaire.
Prenons le pb de la réélection de Roosevelt : elle va contre une règle non écrite mais tout de même impérieuse, la coutume instaurée par George Washington de ne faire que deux mandats, sans quoi la tyrannie menace (règle rendue absolue par un amendement de la constitution, malgré ce précédent ou justement à cause de lui, après la guerre). Pour passer outre, il fallait bien la menace d'un Hitler triomphant et d'une guerre non tranchée. Si la paix revient fin mai 40, pas question d'un troisième mandat, à moins que... que cela n'apparaisse comme une fausse paix, précisément, un armistice pour permettre à l'Occident surpris de se remettre sur ses jambes.
La décision de Roosevelt (prise en juillet) de se représenter obéit à plusieurs facteurs (dont l'absence de candidat crédible côté démocrate), même si l'on en ignore le processus exact. Est évidemment entrée en ligne de compte la défaite inattendue de la France, qui amène la Maison-Blanche à revoir sa diplomatie, que l'Angleterre résiste ou non. Il est très probable qu'il se serait de toutes les manières représenté : l'Allemagne a terrassé la France et l'Angleterre, et avance plus que jamais ses pions en Europe. Paix sur les plages ou pas, la situation reste la même, car le Reich triomphe.
mais précisément, il est alors complètement coincé et mis en demeure par le miracle churchillien de la guerre maintenue; et comme il mesure tout, ou du moins l'essentiel, en termes de "Providence", il pense qu'alors elle le tente, et qu'il n'a plus qu'à appliquer le programme à la hussarde, toute violence dehors, cela doit marcher parce que cela ne peut que marcher, étant donné qu'il a été envoyé ici bas pour effacer 2000 ans de christianisme. Marcher, c'est-à-dire que l'URSS va s'effondrer en trois mois, permettant à l'Allemagne de se rendre inexpugnable grâce aux richesses de l'Ukraine et du Caucase. Et à Hitler de convaincre ses larges masses de l'excellence de l'idéologie raciste.
Nous n'avançons pas : à supposer qu'il raisonne en termes de Providence, rien ne m'interdit de vous répliquer que Hitler pouvait croire que, cette dernière lui ayant donné les mains totalement libres à l'Est après la "paix sur les plages", il était à nouveau à même de tenter la chance...
: mais justement pas par des scrupules moraux ! Toujours par de froids et cyniques calculs. Pour employer une image anachronique, mais très légèrement, il sait qu'il vient de bouleverser le monde par une réaction nucléaire, rien n'urge plus que de laisser refroidir pour consolider les gains.
Mais le monde ne compte plus beaucoup, ayant perdu son principal outil militaire - l'armée française - et maritime - l'Angleterre. Que peuvent faire les Etats-Unis ? Prendre des sanctions économiques contre une puissance qui a accès à toutes les ressources énergétiques de l'Europe, et qui contrôlera bientôt celles de l'URSS ?
là, n'importe quoi !
et tu te tires une balle dans le pied : effectivement, si Hitler compromet sa paix à l'ouest par un massacre comme si de rien n'était des Juifs sous sa domination, c'est un comportement de maître du monde qui présuppose qu'il entend se faire livrer les Juifs du monde entier.
Donc il est fou, sur toute la ligne. Insensé non seulement idéologiquement, mais pratiquement. Il n'accumule les succès que pour mieux édifier un grand bûcher dont il sera la victime suprême.
Là, j'avoue que je ne vous comprends pas. Vous surestimez la moralité de notre monde, où prévaut en réalité la loi de la jungle, l'écrasement des petits par les puissants. L'Histoire a montré qu'un massacre n'existe dans la conscience populaire que s'il est constaté. Qui aurait pu établir la réalité du génocide juif ? La famine ukrainienne de 1933 a causé des millions de morts, et n'en a pas pour autant été très connue de l'Occident, sans parler du Goulag. Qui se souvenait alors du génocide arménien ? Par la suite, le génocide perpétré par les Khmers rouges n'a pas dissuadé les Etats-Unis d'appuyer Pol Pot contre l'ennemi vietnamien et soviétique. Le génocide rwandais est, pour sa part, passé inaperçu pour cause de commémoration du 50e anniversaire du Débarquement.
Dans l'hypothèse d'une victoire hitlérienne sur la Russie communiste, détestée par cette droite qui triomphe alors en Europe, l'extermination des Juifs peut se dérouler en toute discrétion. Cette fois, aucune masse documentaire n'est accessible à un quelconque Tribunal ou aux chercheurs. Aucune photo n'existe. Aucun témoignage. Berlin a de quoi nier en bloc, en appeler à la propagande communiste, qui cherche à provoquer une guerre entre l'Allemagne et les Etats-Unis.
Hitler a en effet préparé le terrain à une solution mondiale de la question juive, dès les années trente : les Polonais, les Roumains, les Français même ont discuté de la question de déporter les Juifs hors d'Europe, dès 1938. Là encore, il suffisait d'un peu de patience, et les autres pays, soumis, seraient tombés dans le panneau.
Je ne te le fais pas dire. Reste que la métamorphose du manipulateur virtuose des années 30 en brute primaire des années 40 n'est pas expliquée du tout.
Cessez donc de caricaturer les thèses d'autrui. Je ne vois rien dans ce que j'écris qui fait de Hitler une brute totalement primaire. La manipulation n'est au contraire pas écartée : pour justifier la guerre contre l'URSS d'abord, pour préparer l'extermination des Juifs ensuite.
Cela dit, il est vrai qu'à mes yeux, la manipulation des années 30 ne vise qu'à préparer le terrain pour une plus grande brutalité dans les années 40. Simplement, brutalité et manipulation cohabitent.
Et puis tu donnes dans l'anti-américanisme, une chose un peu inattendue chez toi, surtout sous une forme aussi primaire.
Le côté minable de ce genre d'assertion se passe de commentaire.
Ayant laissé leurs amis français et anglais abandonner la lutte en mai 40, ils font et pensent quoi, les States, par rapport à leur obsession de tout le siècle, de repousser le plus loin possible les frontières de leur sécurité et d'obliger la planète entière à s'ouvrir à leurs marchandises ? Le Reich autarcique dominant outrageusement l'Europe, est-ce acceptable pour eux ? Et ils ne seraient même pas fichus, débarrassés pour un temps de soucis dans l'Atlantique, de ramener le Japon dans son archipel, pire, ils lui permettraient de s'étendre encore, aux dépens de la Russie comme de la Chine ?
Roosevelt est élu en 1940 parce qu'il a promis que les boys ne seraient pas engagés dans une guerre étrangère. Les Américains ne seraient pas partis se battre pour le communisme. Et encore moins pour les Juifs - la preuve : ils n'ont absolument rien fait pour les aider dans notre réalité.