Conférence faite au Forum Universitaire de Boulogne-Billancourt
le mardi 19 décembre 2000.
Cycle d’Histoire
LE CINÉMA À BOULOGNE-BILLANCOURT
par Philippe d'HUGUES
Historien de cinéma
EXTRAIT... Texte intégral ici :
http://www.forumuniversitaire.com/CONFO ... oire05.asp
« Hôtel du Nord » marque l’apogée des studios de Paris Cinéma, avec un point d’orgue en 1939,
« Le jour se lève », autre grand film de Carné et grand décor de Trauner, qui a failli ruiner son producteur.
En effet, si vous vous souvenez de la dernière scène, Jean Gabin est isolé, traqué par la police. Il se trouve au dernier étage d’un immeuble reconstitué en studio, et chaque semaine on ajoutait un étage au décor pour que Gabin se sente tout à fait isolé. Pour arriver à cet effet, il devait nécessairement se trouver très haut.
On a réussi à arrêter le décor au cinquième étage mais le producteur avait eu chaud. Cependant, Trauner avait eu raison de poursuivre cette réalisation car, cinq ou six ans plus tard, les Américains ont tourné un remake du « Jour se lève », version qui fut complètement ratée et n’est jamais sortie en France, bien que ce soit Henry Fonda qui ait repris le rôle de Jean Gabin. Trauner prétendait qu’une des raisons de cet insuccès venait de ce que le héros se suicidait au rez-de-chaussée.
LES ANNÉES DE GUERRE
La guerre éclate en 1939, et, comme en 1914, la production cinématographique s’arrête. Un ou deux films en cours de tournage sont difficilement achevés au début de l’année 1940, comme
« Remorques » par Jean Grémillon, avant l’exil de Jean Gabin en Amérique. Puis les studios ferment pour presque une année.
En juin 1940, on entre dans une période dramatique, avec l’occupation allemande.
Les Allemands, vainqueurs pour un millénaire, décident de prendre en main le cinéma français. Ils n’y parviendront pas totalement, mais, pour ce faire, ils créent une société Franco-Allemande, à financement allemand bien qu’à but artistique français, le personnel, les acteurs, les scénaristes, les techniciens et metteurs en scène restant français. La production est destinée au marché français, avec l’espoir de réaliser de gros bénéfices qui seront rapatriés en Allemagne.
L’artisan de ce montage industriel est le Docteur Greven. Celui-ci prend contact avec le propriétaire des studios de Billancourt, Marc Lauer, et loue les studios pour deux ans, en exclusivité. De toute façon Lauer n’avait pas le choix car, en cas de refus, les installations auraient été réquisitionnées.
Le bail est signé et les choses se passent à la satisfaction de chacun si bien qu’à l’échéance du contrat, en 1942, la location est reconduite pour cinq ans.
La Continental, c’est le nom de la nouvelle société du Docteur Greven, relance l’industrie du cinéma en France occupée avec toute une série de films qui, il faut bien le reconnaître, sont excellents. Parmi ceux-ci, citons « L’assassinat du Père Nöel », « Le dernier des six », « L’assassin habite au 21 », "Les inconnus dans la maison", "La symphonie fantastique", « Premier rendez-vous ».
Une trentaine de films est tournée à la fin de 1943. Le dernier sera mis en chantier non à Billancourt, mais à Neuilly, rue du Château, parce que le succès de La Continental est tel que Greven est amené à louer les studios de Neuilly.
Le tournage de ces premiers films a été suivi de conséquences dramatiques.
" L’assassinat du Père Nöel " est interprété par Harry Baur.
Harry Baur est excellent dans ce rôle, à tel point que les producteurs allemands lui signent un contrat pour aller en Allemagne tourner dans des films allemands.
Harry Baur sera en fait le seul acteur français de quelque notoriété à travailler en Allemagne pendant quatre ans. L’histoire se termine mal pour lui, car à son retour, il est accusé d’être juif et de l’avoir dissimulé. Le scandale est énorme, éclaboussant même le docteur Goebbels, le grand patron du cinéma Allemand.
Harry Baur est arrêté, emprisonné, maltraité par la Gestapo, et c’est un homme d’un certain âge qui, au bout de quelques semaines, ressortira de prison pour mourir chez lui. Il aura des funérailles, non pas à la sauvette, mais entouré du Tout Paris du Cinéma, à Saint Philippe du Roule, avec un service religieux prouvant qu’il n’était pas juif.
Un deuxième drame a lieu à propos de « Premier rendez-vous », dont la vedette est Danielle Darrieux. Film réussi, agréable comédie avec une chanson nouvelle que la France entière va fredonner. Le Docteur Greven est si content du résultat qu’il décide d’organiser une grande première à Berlin avec présentation de la jeune vedette.
L’ambassade d’Allemagne à Paris en profite pour faire de cet événement une opération de propagande et organise un grand voyage du cinéma français à Berlin, avec visite de Berlin et de Munich. La délégation française est éclatante avec Danielle Darrieux, Viviane Romance, Albert Préjean et une demi-douzaine d’autres célébrités. Ce voyage a un grand retentissement, mais, à la Libération, il sera durement reproché à tous les participants.
Il faut bien dire pourtant que la plupart d’entre eux étaient inconscients de la portée politique de ce geste; Danielle Darrieux n’avait que vingt- deux ans. Elle n’était qu’une toute jeune première saisissant là l’occasion de faire parler d’elle et d’avoir sa photo dans les journaux. Même remarque pour Viviane Romance.
Presque tous les participants du voyage se retrouvèrent en prison et connurent un sort plus ou moins pénible, mais rien de grave en définitive pour aucun.
Albert Préjean et Viviane Romance seront les plus maltraités. Danielle Darrieux, elle, entre temps avait épousé un diplomate, le fameux Porfirio Rubirosa, conseiller à l’ambassade de la République Dominicaine à Paris, play-boy parisien dont on a beaucoup parlé après la guerre, qui, avec son épouse, était couvert par l’immunité diplomatique. Danielle Darrieux fut la seule à échapper à la prison alors que, comme le prétendait Arletty, qui était son amie, et s’était retrouvée en prison pour d’autres raisons, Danielle Darrieux aurait du être emprisonnée bien avant elle, et pourtant elle tournait ! Arletty, au contraire, n’a plus tourné pendant plusieurs années.
Billancourt était aux mains de l’occupant Allemand, même si l’on n’y tournait que des films en principe français, « Le corbeau », « Au bonheur des dames », « Pierre et Jean », les premiers films d’André Cayatte, d’Henri-Georges Clouzot et de jeunes cinéastes qui débutèrent avec La Continental. Mais ce n’étaient que des productions allemandes du point de vue économique et financier. Les industriels Français n’en tirèrent nul bénéfice.
Les Studios de Boulogne s’ouvrent en 1941. Ils s’installent dans le triangle formé par la rue de Silly, l’avenue Jean-Baptiste Clément et la rue de Paris. Ils sont aujourd’hui la propriété de la SFP et travaillent pour la télévision.
Créés par l’association des frères Richard et du producteur Léo Joannon, réalisateur très connu à l’époque, ce nouveau studio qui porte le nom de « Le Petit Monde Illustré », prend le relais et devient rapidement très actif. Des films marquants y sont tournés.
Par exemple, « Lettres d’amour », de Claude Autant-Lara et « Mermoz », un film raté dont on a beaucoup parlé l’an dernier quand on a redécouvert l’histoire du malheureux acteur qui avait joué, Mermoz, Robert Hugues Lambert, lequel fut incarcéré avant la fin du tournage et dont l’absence a nécessité de faire des raccords avec Henri Vidal. Le malheureux Lambert avait été pris dans une rafle d’homosexuels et déporté en Allemagne où il est mort.
« Premier de cordée »,d’après Frison-Roche, connût également un énorme succès en 1944, tourné pour moitié en montagne, avec un accident grave dont est victime le jeune premier, Roger Pigaut avec une jambe cassée. L’héroïne s’appelait Irène Corday, aujourd’hui bien oubliée. Citons également, « Le ciel est à vous », de Jean Grémillon, un grand classique, tourné en 1943.
APRÈS LA GUERRE
Au lendemain de la Libération, on note deux ou trois très grands films, dont « Le diable au corps » de Claude Autant-Lara, qui lance Gérard Philipe et confirme Micheline Presle, film qui fait scandale en son temps mais reste un grand classique.