Certains forumeurs qui tirent leurs sources du super objectif réseau Voltaire, et qui s'inscrivent dans le révisionnisme d'un
Pauwels, exploitent quelques faits qui peuvent apparaître troublants, notamment l'absence des porte-avions à Pearl Harbor ou la série de négligences américaines qui ont permis à l'armada japonaise de se positionner à distance de Pearl, sans être répérée.
Ayant l'habitude sur d'autres forums, de croiser le fer avec des pauwellistes , il faut disposer d'arguments précis et factuellement inattaquables pour démonter leur argumentation astucieuse !
Voici un article d'
André Kaspi sur cette journée. Je me suis permis d'articuler l'article en paragraphes pour le rendre plus lisible. Comme d'habitude, je mets entre-parenthèses, en italiques et je fais précéder d'une *, mes réflexions personnelles. Je me suis permis de rajouter des photos et des liens concernant les divers protagonistes.
Source :
Pearl Harbor : une provocation américaine ?, article d'
André Kaspi dans,
L'histoire n°101, juin 1987, p 34 à 44.
1)
La confiance américaine.
La base de Pearl Harbor est située dans l'île d'Oahu, au coeur de l'archipel d'Hawaï, en plein océan, à 3 500 kms de Los Angeles, à 5 500 kms du Japon, à 7 000 kms de l'Australie. L'archipel occupe une position stratégique sur la "
route des mandats" (Guam, Wake, Midway) que les USA administrent depuis un demi-siècle, sur la route des Philippines.
Une sentinelle avancée de l'Empire américain dans le Pacifique. La base abrite les bâtiments de la flotte du Pacifique :
- 6 à 8 cuirassés.
- 2 ou 3 porte-avions.
- des croiseurs, des destroyers, des sous-marins.
Contre les mauvaises surprises, la flotte est protégée par 25 000 hommes. Le général
Short,
, commandant des forces terrestres, exprimait sa satisfaction, le 7 avril 1941 :
"
Ici à Hawaï, nous vivons tous dans une citadelle ou dans une île terriblement fortifiée."
D'ailleurs les experts sont formels. Si une force ennemie, japonaise sans doute, voulait s'emparer d'Oahu, elle se heurterait à une invincible résistance. (*
L'invulnérabilité de Pearl était devenue un axiome, comme le credo militaire français des Ardennes infranchissables par une force mécanique ...)
2)
L'attaque japonaise : une surprise totale.
Le dimanche 7 décembre 1941, un peu avant 8 heures, heure locale, l'attaque japonaise est une surprise totale.
Le contre-amiral
Furlong en tête sur la photo ci-dessous, à Hawaï,
à bord du mouilleur de mines
Oglala,
,
qui attendait son petit-déjeuner lorsqu'une bombe explosa à quelques mètres de son bâtiment, s'exprima :
"
Quel est ce pilote stupide qui a mal fixé son dispositif de bombardement ? ".
Même réaction de la part de
Short qui pense que la Marine ne l'a pas informé de ces manoeuvres.
L'amiral
Kimmel, qui commandait la flotte du Pacifique fut stupéfait par l'attaque, "
complètement abasourdi, son visage aussi blanc que son uniforme !" selon une voisine.
A 8 h 12, il télégraphie à toutes les unités de la flotte du Pacifique et à l'amiral
Stark, chef des opérations navales :
"
Les hostilités avec le Japon viennent de commencer par un raid aérien sur Pearl Harbor."
Les japonais disposent de moyens considérables. Entourés de 2 cuirassés, 2 croiseurs lourds, 11 croiseurs légers, 11 destroyers, 3 sous-marins, et les 6 porte-avions de l'amiral
Nagumo,
sont parvenus à moins de 400 kms de la pointe nord d'Oahu. C'est de là que vers 6 heures du matin, s'envole la première vague : 49 bombardiers chargés du bombardement horizontal, 40 avions lance-torpilles, 51 bombardiers en piqué, 43 chasseurs, soit 183 appareils. Une heure plus tard, envol de la deuxième vague : 168 appareils.
Short et
Kimmel ont été totalement surpris par l'attaque nippone !
Le bilan est lourd. 2 403 morts, 1 178 blessés. La flotte a perdu 8 cuirassés, 3 croiseurs légers, 3 destroyers, 4 navires auxiliaires. Mais sur ces 18 bâtiments, 80% seront remis en état; la plupart d'entre-eux dataient de la 1ere guerre mondiale, alors que la flotte commençait à se doter de bâtiments ultra-modernes, comme les porte-avions.
3)
Les négligences américaines.
De décembre 1941, à juillet 1946, 7 commissions administratives et une commission parlementaire ont mené des enquêtes approfondies. Au banc des accusés, le général
Short et l'amiral
Kimmel, l'un et l'autre démis de leurs fonctions et contraints de prendre leur retraite anticipée. Ils auraient commis "
des erreurs de jugement", voire "
des négligences dans l'accomplissement de leur devoir."
Short n'a pas prévu que les japonais pourraient entreprendre un raid aérien. Un radar existait à la pointe nord d'Oahu.
Les opérateurs y ont relevé, le 7 décembre à 7 heures, la présence d'avions sur leur écran de contrôle, mais ils ont cru qu'il s'agissait d'appareils américains en provenance de Californie et leurs supérieurs n'ont pas su traiter correctement l'information.
Au fond,
Short ne croyait pas à l'utilité du radar, qui n'était pour lui qu'un instrument d'instruction, pas un moyen de défense.
L'amiral
Bloch,
chargé de la défense navale de la base, s'entend mal avec
Short et ne le met guère au courant de ce qu'il fait. En revanche, il tient à ce que la flotte soit amarrée dans la base chaque week-end.
Quant à Kimmel, le commandant en chef, il n'a pas ordonné de reconnaissances aériennes, pas transmis à Short tous les renseignements dont il disposait, pas compris ce que signifiait le silence soudain, le silence prolongé des porte-avions japonais dont il aurait dû essayer de préciser la localisation (*
Toujours ce complexe de supériorité ...).
A sa décharge, on dira que le général
MacArthur, dûment averti du raid de Pearl Harbor, n'a pas fait mieux que son homologue d'Oahu et passe pourtant pour un héros !
4)
Kimmel un bouc-émissaire ?
Le "sacrifié" d'Oahu a cru cela, et l'a dit, jusqu'à la fin de sa vie, en 1968. C'est lui qui a popularisé la thèse révisionniste et rappelé inlassablement que les vrais responsables du désastre étaient à Washington.
Que d'occasions perdues, en effet, de mettre à jour, puis de contrecarrer les plans de la Marine japonaise ! Depuis l'été 1940, le service des transmissions de l'Armée a brisé le plus secret des codes diplomatiques japonais. Le système
Pourpre est déchiffré par une machine spéciale qui, aux USA, existe en 8 exemplaires. Les télégrammes japonais qui ont été déchiffrés, les
Magics, ne révèlent pas tout, puisque la Marine japonaise dispose de codes spéciaux, très souvent renouvelés, que les américains n'ont pas pu déchiffrer.
Mais quand même ...
Le 24 septembre 1941, Tokyo demande à son consulat de diviser la base de Pearl Harbor en 5 secteurs et d'adresser des rapports sur chaque secteur. L'armée s'inquiète mais la Marine fait prévaloir l'opinion que les japonais, insatiables espions, ont décidé de réduire les coûts et le trafic radio.. Bien sûr, ni
Kimmel ni
Short ne sont prévenus !
Le 27 novembre, les deux officiers généraux reçoivent de Washington un télégramme faisant état d'une "menace de guerre". Washington s'attend au pire, mais ne dit pas que les négociations ont été rompues.
Short conclut qu'il suffit de déclarer l'alerte n°1, celle qui met en garde contre les saboteurs. Le télégramme, estime-t-il, revêt une signification spéciale pour les Philippines et non pour Hawaï.
Kimmel est plus inquiet, mais une menace de guerre n'est pas la guerre.
Enfin, le 7 décembre, le général
Marshall, chef d'état-major de l'Armée, se convainc, à la lecture d'un
Magic, que les japonais vont attaquer le jour même une base américaine. Il est 11h 58 à Washington, soit 6 h28 à Perl Harbor.
Marshall ne téléphone pas, il télégraphie à Panama, San Diego, Hawaï et, en priorité, aux Philippines.
(*Toujours cette idée de l'invulnérabilité de Pearl) Le télégramme parviendra à Pearl Harbor 8 heures et demi plus tard, alors que le raid est terminé depuis longtemps.
Ces inconséquences sont troublantes, mais elles sont explicables. Les services de renseignement travaillent en ordre dispersé. Leurs responsables sont parfois incompétents, parfois nonchalants, toujours soucieux de leur indépendance.
La coordination n'existe pas et n'existera qu'avec la création de la CIA en 1947.
Roberta Wohlstetter (dans
Peral Harbor: Warning and Decision, Stanford University Press, 1962) expliqua que tous les signaux sont parvenus au milieu des rumeurs et des bruits.
La véritable explication est ailleurs. Les responsables de la défense des USA n'imaginaient pas que les japonais attaqueraient la base de Pearl Harbor.
Joseph Grew, l'ambassadeur américain à Tokyo,
avait fait part, dès le 27 janvier 1941, d'"
un projet fantastique" sur la base de Pearl Harbor. Le 3 novembre, il observait que "
la santé mentale des japonais ne peut être mesurée avec nos critères logiques, qu'ils peuvent soudainement se plonger "
dans un conflit suicidaire avec les USA."
Le danger japonais n'est pas sous-estimé, mais les américains ont un complexe de supériorité par rapport aux "
petits hommes jaunes".
Sans doute conviendrait-il de mettre également en cause
Henry Stimson, le secrétaire à la Guerre,
,
et
Frank Knox, le secrétaire à la Marine.
Mais, après la guerre, l'interprétation révisionniste comme quoi le président Roosevelt, en personne, aurait pu être coupable de duplicité, de complicité voire d'une machination machiavélique pour imposer la guerre à un peuple en majorité pacifiste, va faire son chemin. Elle est soutenue par les partisans de l'isolationnisme.
5)
Pearl Harbor : une machination pilotée par Roosevelt?
Des historiens comme
Charles C.Tansill (
Back Door to War : The Roosevelt foreign policy, 1933-1941, Henry Regnery Company, 1962) et Charles A.Beard ([i]President Roosevelt and the Coming of the War, 1941, Yale University Press, 1948) ont critiqué vigoureusement la politique étrangère de
Roosevelt, et l'ont accusé d'avoir entraîné les USA dans la guerre, mais ne croient pas qu'il ait fait exprès d'avoir provoqué les japonais à Pearl Harbor.
Ce n'est pas le cas du contre-amiral
Theobald, un proche de
Kimmel qui ne mâche pas ses mots :
"
Notre conclusion principale est que le président Roosevelt contraignit le Japon à faire la guerre en exerçant en permanence sur lui une pression diplomatique et économique, qui l'incita à ouvrir les hostilités par une attaque-surprise en maintenant la flotte du Pacifique dans les eaux hawaïennes comme appât.".(
Le secret de Pearl Harbor, Paris, Payot, 1955 ).
Tout récemment,
John Toland soutient que "
la comédie des erreurs du 6 et du 7 décembre 1941 semble incroyable. Elle n'a de sens que si elle correspond aux prémisses d'une charade, si Roosevelt et son entourage le plus proche ont su qu'il y aurait une attaque."
A vrai dire, le scénario du complot machiavélique manque de solidité. Si Roosevelt avait dissimulé ce qu'il savait des intentions japonaises, il aurait dû bénéficier de la complicité de Stimson, de Knox, de Marshall, de Stark, de leurs subordonnés et de ceux qui ont eu les télégrammes entre les mains. Le complot serait vite devenu un secret de polichinelle! Et personne n'aurait jamais rien dit ? Ni aux commissions d'enquêtes ni, plus tard, aux historiens ?
Il est vrai que, le 27 novembre, dans une conversation avec
Stimson,
Roosevelt mentionne la probabilité d'une attaque japonaise. Rien d'étonnant, car cette probabilité est à cette date évoquée par tous.
Mais le président ajoute, selon son ministre de la Guerre, qu'il faut manoeuvrer les japonais jusqu'à ce qu'ils tirent les premiers. Voici la preuve d'une préméditation, exultent les révisionnistes (*
En effet c'est le coeur de l'argumentaire des révisionnistes !).
En fait l'interprétation du mot qu'emploie
Roosevelt est très simple. Pour lui, les démocraties, les USA en particulier, doivent demeurer de farouches défenseurs de la paix. Pas question de déclencher une guerre préventive. Aux yeux de l'opinion américaine, encore marquée par l'isolationnisme, il faut tout faire pour éviter la guerre.
Roosevelt, c'est à la fois une calomnie et une absurdité !
Force est de constater que le président des USA a réagi prudemment aux agressions nipponnes. Après le pacte tripartite, en septembre 1940 et l'occupation du Tonkin, les USA se contentent de mettre l'embargo sur les exportations de fer et de ferrailles à destination du Japon.
Le 28 juillet 1941, les japonais occupent le sud de l'Indochine. Les USA gèlent les avoirs japonais et annulent les licences d'exportation de pétrole.Le Japon ne dispose plus que de sa propre production, de quoi approvisionner sa flotte pendant un mois seulement. Dans deux ans, les réserves seront épuisées, d'autant que les Indes néerlandaises cessent de lui vendre du pétrole.
Le 17 octobre 1941, le clan belliciste prend le pouvoir avec la nomination du général
Tojo au poste de Premier Ministre. Le 6 décembre, le président des USA télégraphie à l'empereur
Hiro Hito pour le prier de renouer les négociations. La réponse du 7, déchiffrée par les services américains avant même que l'ambassadeur japonais ne la décode, ne laisse aucun doute. Ce sera la guerre.
Conclusion : je suis assez d'accord avec
Kaspi. Il me semble que comme les français en 39-40 avec le "mur ardennais", la base de Pearl était vue comme invulnérable par les militaires (sauf par
Patton, il me semble !), les négligences ont fait le reste !
Il est évident que les américains s'attendaient à une attaque japonaise, ils n'étaient pas idiots, mais ils ne savaient pas où cette attaque allait verser le "
premier sang" !
Quant à ce fameux appel du 27 novembre 1941, de
Roosevelt à
Stimson, où le président insiste sur le fait qu'il faut laisser les japonais tirer les premiers, quoi de plus normal, lorsqu'on connaît la puissance du mouvement isolationniste américain, à cette époque !
Roosevelt aurait été machiavélique à ce point ? Personnellement, au vu de sa naïveté face à
Staline, je suis assez circonspect. Je le vois plutôt comme un idéaliste pacifiste, plongé dans un monde qui devient fou !