Nicolas Bernard a écrit: En ce cas, une question me vient. Tokyo veut massacrer Nankin pour contraindre Tchang Kaï-chek à se rendre... au final, la stratégie n'est-elle pas la même, à savoir susciter la peur d'une Apocalypse par la commission d'un massacre ?
Remarques pertinentes. Cela dit, le massacre ne s'est pas tenu sur une journée, mais sur plusieurs semaines - preuve que Hiro Hito n'a rien fait pour l'empêcher. Or, une telle action relève, malgré la Première Guerre Mondiale, de l'inédit au XXe siècle. Toute une capitale sera passée au fil de l'épée, comme du temps de Genghis Khan et ce, sous les yeux de la presse mondiale, car l'endroit regorge de consulats et autres établissements occidentaux. De toute évidence, les motivations sont bel et bien politiques, puisqu'il s'agit de terroriser le camp d'en face.
Dans ces conditions, comment un événement d'une telle importance, aux implications psychologiques, diplomatiques, militaires si lourdes n'a-t-il pas pu résulter d'un ordre de l'Empereur lui-même ?
Qui eut crû que je me retrouverais un jour à tenter de diminuer publiquement la responsabilité criminelle de ce misérable isopode d'empereur ?????!!!!!!!
Comme la seule preuve écrite qui existe est l'ordre d'Isamu Chô, il nous faut donc tenter d'inférer la réponse par une analyse globale de la question.
1) Le massacre de Nanking ne doit pas être perçu comme un événement de nature isolée. Son ampleur est dûe à la densité de la population mais toute l'agression shôwa et notamment, la campagne Shangaï-Nanking, fut marquée par une telle violence.
À preuve, le concours que je raconte dans la rubrique "des samourai bien particuliers", qui se produisit avant le massacre et le roman Ikite iru heitai, publié en partie en mars 38 par Tatsuzô Ishikawa dans le magazine Chô kôron. Ce roman, qui fut aussitôt interdit de publication, faisait allusion aux multiples exactions de l'armée shôwa et ne traitait pas le massacre de Nanking comme un fait exceptionnel mais comme le modus operandi régulier de l'armée.
L'ordre du 11 novembre 1937 émis par le commandant du second bataillon du 6ème régiment est d'ailleurs explicite à cet effet :
"Traitez quiconque trouvé hors des murs (de Shangaï) comme anti-japonais et détruisez le."
2) Le rôle de Matsui apparaît des plus confus. Il lance à plusieurs reprises un appel à l'ordre et semble totalement pris de court par l'ampleur du débordement. Si Hiro Hito avait vraiment prévu les détails du massacre, ne lui aurait-il pas été plus simple d'en avertir directement son vieux général ? Celui-ci aurait certainement exécuté sans broncher les ordres de l'empereur. Au lieu de celà, on voit défiler à une armée à deux têtes entre lesquelles la communication apparaît inexistante.
3) En décembre 1937, le quartier-général impérial, établi le 1 du mois n'est pas encore la structure opérationnelle de 1941. L'armée shôwa traîne la réputation d'une force indisciplinée qui a déjà outrepassé les ordres de Hiro Hito notamment en 1931, lors de l'incident manchou et en 37 lors de l'invasion du reste de la Chine, alors que leur mission était de ménager les susceptibilités des brittaniques et américains.
Ainsi le 12 décembre, pendant le siège de Nanking, les commandants japonais n'hésiteront pas à bombarder le Panay, un navire américain plein de civils, quitte à mettre l'empereur dans l'embarras. Ce qui faillit entraîner d'ailleurs l'entrée des E-U en guerre, n'eut été des excuses de Konoye. Un incident aussi désastreux se reproduira en 1939 à Nomonhan alors que des soldats menés entre autres par Masanobu Tsuji attaqueront les positions soviétiques sans l'autorisation expresse de l'empereur en se fondant sur une directive large de "riposter à toute agression".
Hiro Hito avait ordonné la prise de Nanking et le bombardement de la région dans un ordre laconique, émis le 1 décembre et portant le numéro 8 : "Le commandant de l'armée de Chine centrale, agissant conjointement avec la marine, capturera et occupera la capitale ennemie de Nanking." Le massacre qui suivit se produisit comme conséquence directe de sa décision de suspendre les droits des prisonniers mais il ne semble pas qu'il soit entré dans les détails de l'application de l'opération. Comme je l'ai expliqué, l'isopode ne se gêna toutefois pas par la suite de déclarer publiquement sa "satisfaction extrême" et ne porta jamais le moindre blâme contre les agresseurs, pas plus qu'à l'encontre de ceux responsables de l'incident de Nomohnan, qui seront simplement mutés.
En 39, Hiro Hito ordonna toutefois expressément à l'armée du Kwantung de se tenir tranquille et, à partir de ces événements d'indiscipline il prit conscience de l'importance d'un suivi centralisé et autoritaire de l'armée. S'il avait laissé l'armée du Kwantung pratiquement autonome dans les années trente, la situation changea à partir de 1940 et surtout avec l'entrée en guerre contre les E-U en 1941. A partir de ce moment, l'armée impériale tout entière se vit soumise à un contrôle très strict et l'empereur bénéficia 24 heures sur 24 d'un tel flot d'information que selon Kumao Imoto, membre du quartier-général impérial en 1941, le temps énorme que consacraient les dirigeants militaires à tenir l'empereur informé constitua un élément déterminant dans la défaite de l'armée shôwa au cours de certaines batailles.
N'étant pas un millitaire de carrière, Hiro Hito avait plutôt tendance au départ à se fier à l'expertise de ses officiers. Son attitude changea dans les années 40 au point où il modifia régulièrement des stratégies millitaires à la dernière minute. En 1937, le QG est toutefois en phase de rôdage et Hiro Hito lui-même apprivoise son rôle de commandant en chef.
Vue dans un contexte global et à la différence du sankô sakusen mûrement réfléchi, le massacre de Nanking apparaît plus comme un lamentable dérapage de soldats en manque de sensations fortes que comme une stratégie machiavélique savamment orchestrée.