ENTREVUE AVEC LA FILLE DE SHIRO ISHII
Posté: 05 Fév 2008, 18:59
Grâce à l’aimable complicité de Shiro, (dont je connais maintenant l’identité secrète !!!), j’ai pu enfin mettre la main sur l’entrevue qu’a accordée Harumi Ishii, la fille du célèbre criminel de guerre, à Masanori Tabata, journaliste du Japan Times.
Mlle Ishii, née en 1925, a travaillé comme secrétaire particulière de son père au quartier-général de Pingfang (près de Harbin) en 1945 et après la reddition, au domicile des Ishii à Tokyo, sténographiant une grande partie des entrevues livrées par celui-ci aux enquêteurs américains. L’article publie une photo la montrant assise à une table de banquet entre deux de ces enquêteurs.
Rappelons que cet article a été écrit en août 1982, dans la foulée des révélations de l’existence de l’unité 731 par la publication d’articles de John Powell dans le Bulletin of Concerned Asian Scholars et dans le Bulletin of Atomic Scientists, ainsi que dans l’ouvrage à succès Akuma no Hoshoku (La voracité du Diable ) de Seiichi Morimura.
Voici des extraits de la première partie de cette entrevue :
Un génie
« N’eut été de la guerre et de son orientation professionnelle, son génie aurait pu s’épanouir dans un autre champ que la science médicale, possiblement la politique. Mon père aurait pu être un homme d’état tout à fait unique.
Ce qu’il a fait, ou qu’il aurait supposément fait dans le cadre de ses fonctions comme officier médical et soldat de l’Armée impériale, doit être dénoncé selon tous les principes moraux; mais nous ne devons pas oublier que ça s’est produit dans des circonstances extrêmement anormales. C’était la guerre.
Je crois que ces recrues enrôlées dans les écoles supérieures par les unités ont aussi été victimes. Ils étaient naïfs. Ce n’était certainement pas de leur propre chef qu’ils ont commis des choses si horribles à d’autres humains. Ils n’avaient pas d’autre choix que d’obéir aux ordres. »
L’évacuation
« Comme ma mère avait été élevée de manière traditionnelle, elle était très réservée et c’est moi qui étais appelée à jouer le rôle d’hôtesse à notre manoir de Harbin. Notre résidence appartenait initialement à un noble russe à l’époque du Tsar. C’était un manoir superbe, un peu comme dans Autant en emporte le Vent.
Peu avant l’invasion soviétique, mon père faisait la navette aérienne entre Pingfang et le quartier général de l’Armée à Changchun. Il était parti pour 4 jours alors que l’on nous a ordonné d’évacuer en train le 11 août. Nous avons embarqué dans les wagons alors que des experts en explosif détruisaient les bâtiments.
Peu avant, j’avais entendu mon père parler avec ses hommes au sujet d’une « bombe à l’uranium ». Je me souviens que mon père a dit : « Devrions-nous utiliser l’arme maintenant ? » Je n’avais pas la moindre idée de la nature de cette arme mais je réalise maintenant qu’il faisait référence aux armes bactériologiques que son équipe avait développées. Plus tard, j’ai entendu que le plan avait été abandonné car l’Empereur s’y était opposé. (NDR/Rappelons que Hirohito n'a autorisé l'emploi de ces armes qu'à l'encontre des populations orientales http://www.debarquement-normandie.com/phpBB2/viewtopic.php?t=7432)
Comme j’étais la fille du commandant, on m’a ordonné de diriger un groupe d’enfants. Il y avait des milliers de femmes et d’enfants dans ce train. Le train a été dirigé vers Pusan quant nous avons appris que la guerre était terminée. Personne n’employa le terme « défaite ».
La collaboration avec les américains
« Autant que j’en sache, c’est exact qu’un pacte a été conclu. Mais ce sont les américains qui ont approché mon père, pas l’inverse. Ce sur quoi je voudrais insister est ceci : n’est-il pas important que pas un seul homme sous le commandement de mon père n’ait jamais été accusé comme criminel de guerre ? Je suis vraiment désolée pour ceux qui ont eu à vivre en réclusion forcée afin d’échapper à d’éventuelles poursuites mais n’eut été du courage de mon père en concluant ce pacte avec les occupants…vous savez ce que je veux dire.
On m’a dit que la première chose que le général MacArthur a fait en atterrissant à la base navale d’Atsugi c’est de s’enquérir au sujet de mon père. « Où est le Lieutenant-général Ishii? »
Mon père m’a confié après quelques temps qu’il n’avait pas tout livré sur ses recherches. « J’ai livré environ 80% des résultats. L’autre 20%, il est dans ma tête. »
Comme mon père était malade, ma présence était permise à ses côtés pendant les interrogatoires. Ils ont duré des mois, presqu’un an, à compter de juin 1946. Les entrevues étaient menées par un interprète. Comme je pouvais dactylographier, on m’a demandé de taper la conversation et c’est devenu une routine quotidienne. Je servais aussi d’estafette, apportant les transcriptions au quartier général d’Ichigaya.
Les entrevues sont rapidement devenues détendues et je servais aux américains des mets occidentaux ou japonais. L’enquêteur en chef s’appelait Arvo Thompson. Il se disait un émissaire du président Truman. Il a littéralement supplié mon père pour obtenir les données secrètes sur les armes bactériologiques. Il a insisté sur le fait qu’elles ne devaient pas tomber entre les mains des soviétiques. Le Major-général Charles Willoughby a aussi assisté à une réception à notre domicile.
Un jour, les américains m’ont annoncé que des officiers russes voulaient visiter mon père. Ils m’ont averti de ne pas montrer devant eux un seul signe de la complicité dont nous avions fait preuve même si nous reconnaissions quelqu’un. Nous avions chez nous un macaque apprivoisé que nous avions ramené de Chine et il aimait beaucoup certains soldats américains. Alors, il a sauté sur l’épaule de l’un d’eux devant les soviétiques qui s’échangeaient des regards.
Ils avaient délibérément mis les russes à l’écart en dépit de leurs demandes répétées pour interroger mon père. Les russes ne sont venu que deux fois et les américains étaient toujours présents.
Je peux jurer sur l’honneur de mon père qu’il a conclu ce pacte pour sauver la vie de ses hommes. En fait, il a dit aux officiers américains qui l’interrogeaient à son chevet qu’il ne se préoccupait pas de ce qui pouvait lui arriver. Il s’est même offert comme bouc-émissaire, déclarant assumer toute responsabilité pour les actes de l’unité 731. »
Daughter'eye View of Lt. General Ishii, Chief of Devils's Brigade, 29 août 1982
Mlle Ishii, née en 1925, a travaillé comme secrétaire particulière de son père au quartier-général de Pingfang (près de Harbin) en 1945 et après la reddition, au domicile des Ishii à Tokyo, sténographiant une grande partie des entrevues livrées par celui-ci aux enquêteurs américains. L’article publie une photo la montrant assise à une table de banquet entre deux de ces enquêteurs.
Rappelons que cet article a été écrit en août 1982, dans la foulée des révélations de l’existence de l’unité 731 par la publication d’articles de John Powell dans le Bulletin of Concerned Asian Scholars et dans le Bulletin of Atomic Scientists, ainsi que dans l’ouvrage à succès Akuma no Hoshoku (La voracité du Diable ) de Seiichi Morimura.
Voici des extraits de la première partie de cette entrevue :
Un génie
« N’eut été de la guerre et de son orientation professionnelle, son génie aurait pu s’épanouir dans un autre champ que la science médicale, possiblement la politique. Mon père aurait pu être un homme d’état tout à fait unique.
Ce qu’il a fait, ou qu’il aurait supposément fait dans le cadre de ses fonctions comme officier médical et soldat de l’Armée impériale, doit être dénoncé selon tous les principes moraux; mais nous ne devons pas oublier que ça s’est produit dans des circonstances extrêmement anormales. C’était la guerre.
Je crois que ces recrues enrôlées dans les écoles supérieures par les unités ont aussi été victimes. Ils étaient naïfs. Ce n’était certainement pas de leur propre chef qu’ils ont commis des choses si horribles à d’autres humains. Ils n’avaient pas d’autre choix que d’obéir aux ordres. »
L’évacuation
« Comme ma mère avait été élevée de manière traditionnelle, elle était très réservée et c’est moi qui étais appelée à jouer le rôle d’hôtesse à notre manoir de Harbin. Notre résidence appartenait initialement à un noble russe à l’époque du Tsar. C’était un manoir superbe, un peu comme dans Autant en emporte le Vent.
Peu avant l’invasion soviétique, mon père faisait la navette aérienne entre Pingfang et le quartier général de l’Armée à Changchun. Il était parti pour 4 jours alors que l’on nous a ordonné d’évacuer en train le 11 août. Nous avons embarqué dans les wagons alors que des experts en explosif détruisaient les bâtiments.
Peu avant, j’avais entendu mon père parler avec ses hommes au sujet d’une « bombe à l’uranium ». Je me souviens que mon père a dit : « Devrions-nous utiliser l’arme maintenant ? » Je n’avais pas la moindre idée de la nature de cette arme mais je réalise maintenant qu’il faisait référence aux armes bactériologiques que son équipe avait développées. Plus tard, j’ai entendu que le plan avait été abandonné car l’Empereur s’y était opposé. (NDR/Rappelons que Hirohito n'a autorisé l'emploi de ces armes qu'à l'encontre des populations orientales http://www.debarquement-normandie.com/phpBB2/viewtopic.php?t=7432)
Comme j’étais la fille du commandant, on m’a ordonné de diriger un groupe d’enfants. Il y avait des milliers de femmes et d’enfants dans ce train. Le train a été dirigé vers Pusan quant nous avons appris que la guerre était terminée. Personne n’employa le terme « défaite ».
La collaboration avec les américains
« Autant que j’en sache, c’est exact qu’un pacte a été conclu. Mais ce sont les américains qui ont approché mon père, pas l’inverse. Ce sur quoi je voudrais insister est ceci : n’est-il pas important que pas un seul homme sous le commandement de mon père n’ait jamais été accusé comme criminel de guerre ? Je suis vraiment désolée pour ceux qui ont eu à vivre en réclusion forcée afin d’échapper à d’éventuelles poursuites mais n’eut été du courage de mon père en concluant ce pacte avec les occupants…vous savez ce que je veux dire.
On m’a dit que la première chose que le général MacArthur a fait en atterrissant à la base navale d’Atsugi c’est de s’enquérir au sujet de mon père. « Où est le Lieutenant-général Ishii? »
Mon père m’a confié après quelques temps qu’il n’avait pas tout livré sur ses recherches. « J’ai livré environ 80% des résultats. L’autre 20%, il est dans ma tête. »
Comme mon père était malade, ma présence était permise à ses côtés pendant les interrogatoires. Ils ont duré des mois, presqu’un an, à compter de juin 1946. Les entrevues étaient menées par un interprète. Comme je pouvais dactylographier, on m’a demandé de taper la conversation et c’est devenu une routine quotidienne. Je servais aussi d’estafette, apportant les transcriptions au quartier général d’Ichigaya.
Les entrevues sont rapidement devenues détendues et je servais aux américains des mets occidentaux ou japonais. L’enquêteur en chef s’appelait Arvo Thompson. Il se disait un émissaire du président Truman. Il a littéralement supplié mon père pour obtenir les données secrètes sur les armes bactériologiques. Il a insisté sur le fait qu’elles ne devaient pas tomber entre les mains des soviétiques. Le Major-général Charles Willoughby a aussi assisté à une réception à notre domicile.
Un jour, les américains m’ont annoncé que des officiers russes voulaient visiter mon père. Ils m’ont averti de ne pas montrer devant eux un seul signe de la complicité dont nous avions fait preuve même si nous reconnaissions quelqu’un. Nous avions chez nous un macaque apprivoisé que nous avions ramené de Chine et il aimait beaucoup certains soldats américains. Alors, il a sauté sur l’épaule de l’un d’eux devant les soviétiques qui s’échangeaient des regards.
Ils avaient délibérément mis les russes à l’écart en dépit de leurs demandes répétées pour interroger mon père. Les russes ne sont venu que deux fois et les américains étaient toujours présents.
Je peux jurer sur l’honneur de mon père qu’il a conclu ce pacte pour sauver la vie de ses hommes. En fait, il a dit aux officiers américains qui l’interrogeaient à son chevet qu’il ne se préoccupait pas de ce qui pouvait lui arriver. Il s’est même offert comme bouc-émissaire, déclarant assumer toute responsabilité pour les actes de l’unité 731. »
Daughter'eye View of Lt. General Ishii, Chief of Devils's Brigade, 29 août 1982