Post Numéro: 7 de Nicolas Bernard 21 Sep 2007, 02:20
Je ne pense pas que l'implication de l'armée japonaise - et plus généralement du gouvernement japonais - dans l'organisation d'un vaste trafic de stupéfiants en Chine et en Asie du Sud-Est fasse le moindre doute. Le fait a été constaté, comme vous le signalez, par le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (T.M.I.E.O.). Les missionnaires étrangers en Chine, la S.D.N. avaient dénoncé ce phénomène dès 1938.
Reste à en déterminer la véritable nature : stratégie délibérée en vue d'affaiblir la volonté combative chinoise ou dérive incontrôlée mais pourtant prévisible du système d'occupation nippon ?
L'armée du Soleil levant avait certes un besoin presque vital de la pègre, pour maintenir l'ordre sur d'immenses territoires d'une part, pour engranger des bénéfices (fric, femmes, esclaves) d'autre part. Et malgré les efforts consacrés par la république chinoise au combat contre la drogue, les Japonais avaient, dès la première année de l'invasion de 1937, commencé à écouler massivement des stocks d'opium et d'héroïne, dont le prix jusque là inaccessible avait été divisé par dix.
Le T.M.I.E.O. voulut y voir une conspiration japonaise "in order to weaken the power of resistance of the Chinese" (minute 644). L'historien Jean-Louis Margolin est davantage nuancé (L'Armée de l'Empereur. Violences et crimes du Japon en guerre 1937-1945, Armand Colin, 2007, p. 372-379). Selon lui, la libéralisation rapide du marché visait surtout à satisfaire des intérêts financiers à court terme, faisant fi de la politique anti-drogue du gouvernement nippon en métropole. En conséquence, les Chinois ne furent pas les seuls à en être victimes, et "de plus en plus de Japonais, et surtout de Coréens, plongèrent dans la toxicomanie".
Mais ces dérives n'embarrassaient nullement les profiteurs de ce chaos. La drogue rapportait beaucoup à trop d'institutions de l'Empire, de certains généraux des colonies aux administrations collaboratrices, des firmes nippones aux organisations du crime sur lesquelles comptaient les Japonais. La seule source d'inquiétude de ces différentes instances résidait dans la mauvaise productivité de la Sphère de Co-Prospérité, laquelle aboutissait à ce que l'offre fût de plus en plus incapable de satisfaire la demande. Il fallut importer de l'opium iranien, et les communistes de Mao entreprirent également de remplir leur trésor de guerre en développant chez eux la culture du pavot. Par ailleurs, les pénuries alimentaires qui se firent jour dès 1942 furent aggravées par les choix économiques de l'occupant, qui avait mis l'accent sur la production d'opium et d'héroïne aux dépends des produits de première nécessité.
Bref, la politique de courte vue des Japonais aboutit à un véritable désastre sanitaire, qui fragilisa plus que jamais un continent asiatique en proie aux guerres civiles et aux décolonisations, outre de fonder la prospérité des triades et des Yakuza.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).