tietie007 a écrit:Le désastre de Nomonhan mit fin aux vellétités japonaises vers la Mongolie et la Sibérie et décida Tokyo à choisir l'option maritime, au sud.
A dire vrai, c'est un peu plus compliqué. Khalkin Gol intervient dans le contexte du pacte germano-soviétique, qui refroidit assez les relations germano-nippones, au bord de la rupture. Sur le conseil de l'ex-Premier Ministre Fuminaro Konoye, qui a chapeauté l'invasion de la Chine en 1937, l'Empereur instituera un cabinet dirigé par le germanophile général Abe le 30 août 1939, non sans avoir hésité à confier les rênes du pouvoir à l'anglophile Mamoru Shigemitsu (à qui sera confiée la très ingrate mission de signer l'acte de reddition du Japon à bord du
Missouri le 2 septembre 1945).
A l'époque, les Etats-Unis n'ont pas renouvelé leur accord commercial avec le Japon, et une crise diplomatique a éclaté en juillet avec la Grande-Bretagne à propos du contrôle de la concession occidentale de T'ien T'sin. Il importe donc pour Tokyo de ne point trop froisser les Occidentaux, de mettre un terme au conflit avec l'URSS, sans pour autant rompre avec l'allié allemand, qui peut s'avérer utile dans le long terme. Il s'avère urgent de procéder par compromis, après une série de coups de force, en attendant un éclaircissement de la situation en Europe.
La déconsidération de la faction "conquête du Nord" est réelle. L'URSS, protégée par le pacte Molotov-Ribbentrop, est inattaquable, tandis que l'Armée rouge a prouvé sa force en dépit des rodomontades des généraux de l'armée du
Kwantung. Les pressions américaines dans la question chinoises révèlent la nécessité de se tourner vers le Sud et ses ressources. Les partisans de la faction "conquête du Sud" sont ainsi revigorés, mais aussi bien eux que leurs rivaux "nordistes" ont besoin, en définitive de l'alliance avec le
Reich. Et aucun d'entre eux ne peut se permettre, pour le moment, de montrer des dents. Le Japon doit donc attendre et observer.
La diplomatie japonaise s'adapte ainsi à la situation. Et à l'été 1940, l'occasion se présente de faire main basse sur l'Indochine, avec l'effondrement français, et d'obtenir la fermeture de la Route de Birmanie, avec l'affaissement britannique. L'objectif essentiel est d'étrangler la Chine. Or, au même moment, les Etats-Unis décident de renforcer leur potentiel militaire face à l'expansion des forces de l'Axe. Plus que jamais, le Japon a besoin de l'Allemagne pour faire diversion. Et, enlisé en Chine, il s'emprisonne dans une logique d'affrontement avec l'Amérique.
Pourtant, et malgré la conclusion d'un pacte de non-agression avec Staline en avril 1941, tout n'est pas encore joué entre les "nordistes" et les "sudistes". L'invasion de la Russie par l'armée allemande désoriente les milieux japonais, furieux de n'avoir pas été mis au courant et définitivement convaincus que Hitler mène un jeu personnel. Mais les "nordistes" clament que l'instant est favorable à une invasion de la Sibérie. Les "sudistes" ont beau jeu de rappeler le mécompte de Nomonhan, mais l'argument n'est pas suffisant, car le contexte global a évolué.
En vérité, c'est un autre événement qui va sceller la stratégie nippone. Le 26 juillet 1941, Roosevelt prend une série de décisions lourdes de conséquences : gel des avoirs japonais (135 millions de dollars) le 25 juillet, et surtout embargo sur le pétrole rendu effectif le 31. Les Britanniques et les Hollandais ne se comportent pas autrement. Décisions parfaitement justifiées, puisque les Japonais viennent d'occuper toute l'Indochine, menaçant l'Asie du Sud Est, dépassant les bornes depuis déjà trop longtemps. Conséquence directe : le Japon perd 80 % de ses approvisionnements. La machine de guerre japonaise, qui peine à se dépêtrer du bourbier chinois, risque de tomber en panne d'essence.
Roosevelt a certainement agi pour venir également en aide aux Soviétiques, les milieux américains ayant toujours pris au sérieux l'éventualité d'une guerre nippo-russe. Réussite totale : l'embargo pétrolier, qui complète un ensemble de mesures similaires, interdit à l'armée impériale de s'attaquer à la Sibérie. La faction "nordiste" est définitivement écartée. Le destin du Japon se jouera sous les tropiques.
En conclusion, il convient de ne pas surestimer l'impact de Khalkin Gol sur la diplomatie nippone. La stratégie impériale a surtout découlé de la conjoncture européenne. Si le Japon n'a pas attaqué la Sibérie en 1941, c'est qu'il n'en avait pas les moyens, et qu'il croyait de toutes les manières que l'Armée rouge allait s'effondrer en 1942 sous les coups de boutoir de la
Wehrmacht, permettant une réédition du scénario de 1919, lorsque la guerre civile russe a permis à Tokyo de faire main basse sur les possessions tsaristes d'Extrême-Orient. Khalkin Gol a, en l'espèce, tout au plus constitué un avertissement, ce qui est en soi important, mais non décisif.