thucydide a écrit:Cela faisait de la stratégie évidente des américains , saut de puces, d'îles en îles , acquérir une îles base assez proche du Japon et bombarder stratégiquement.
L'interrogation est plutôt du côté japonnais, ont ils vraiment rien prévu, pourquoi se disséminer sur plusieurs fronts, ne pas renforcer des îles en base aériennes et d'appui , surveiller plus les américains...?
Ils semblent souvent surpris.
Pour répondre à cela, il faut se replonger dans la stratégie japonaise; que j'ai étudié à l'école de guerre il y a quelques 30 ans… je vais m'appuyer sur un essai de stratégie ici résumé.
On se demande par quels moyens un pays démuni de tout, que ce soit en ressources essentielles, en potentiel militaire et en population, pouvait-il espérer porter un défi, avec succès, à la coalition des deux grandes puissances navales et militaires du monde, l’Angleterre et les USA ? Cette question est centrale.
Pour répondre à cela, il faut remonter au-delà de 1941, vers le passé du Japon, à l’époque de ses guerres contre la Chine et la Russie. La stratégie Japonaise fut bâtit sur l'expériences de ces conflits transposés dans le monde de 1941, éclairant la conduite de la guerre par les Japonais. Le Japon comparé à la Russie et la Chine et leurs immenses réserves, est un nain. Si le Japon avait lancé une attaque classique sur un pied d’égalité contre ces géants, il aurait couru au désastre comme on s’y attendait en 1895 et en 1904-1905. Cependant, dans les deux guerres, le Japon est victorieux.
Le secret des succès japonais dans ces guerres est dû à l’habileté avec laquelle les Japonais ont utilisé leur supériorité sur mer afin de ramener le conflit illimité qu’ils savaient ne pouvoir surmonter, à une guerre limitée en rapport avec leurs forces extrêmement limitées. Dans les deux cas, ils s’emparèrent de la maîtrise de la mer et ils exploitèrent cette supériorité unilatérale afin de conquérir leurs objectifs territoriaux, volontairement limités à la Corée et à la Mandchourie du sud; puis ils mirent leurs adversaires au défi de les en chasser.
Dans les deux conflits, les Chinois et les Russes se virent confrontés à la dangereuse perspective d’être contraints d’exercer une forte pression sur les forces japonaises de terre, du fait de l’élimination temporaire de leurs forces navales, ils ne pouvaient jamais espérer étendre ce succès chèrement payé à une victoire décisive sur mer. Ainsi, il n’est pas surprenant que, d’abord la Chine, puis ensuite les Russes, aient préféré signer une paix négociée plutôt que de continuer la lutte, sachant qu’au mieux, cela se terminerait par une évacuation.
En 1904-1905, le plan de guerre japonais reposait sur la capacité de la marine à tenir en échec les forces navales russes, permettant à l’armée de débarquer et de chasser les Russes de Corée et de Mandchourie du sud. Cependant, le Japon eut à faire face à deux flottes russes, chacune à peu près égale à la totalité de la sienne, la flotte d’Extrême-Orient à Port Arthur et la flotte de la Baltique en Europe. Le tout avec un danger létal, l’industrie de constructions navales japonaise manquait de ressources pour le remplacement éventuel des cuirassés et croiseurs fer de lance et fondements de sa stratégie navale. Le Japon ne pouvait se permettre de les perdre.
Pour cela, le Japon choisit une stratégie d’économie de ses forces navale: la flotte japonaise resta en réserve dans ses bases, prête cependant à être jetée dans la bataille si cela était nécessaire. La mission d’user l’escadre russe reviendrait à d’autres armes plus aisées à remplacer : mines, blocus, torpilleurs et armée japonaise, sacrifiant des milliers d’hommes des meilleures troupes pour conquérir des hauteurs d’où il pourrait surveiller le port et d’où l’artillerie à longue portée détruit l’escadre russe d'Extrême-Orient au mouillage.
C’est ainsi que la flotte japonaise fut capable de conserver la maîtrise de la mer et cela sans sortir de son rôle d’ultime recours. Quand, quelques mois après la chute de Port Arthur, la flotte de la Baltique arriva, Togo put la rencontrer avec des forces intactes ce qui lui permit, au combat de Tsoushima, de l'écraser… Il faut dire que la qualité de cette flotte Russe laissait à désirer.
Les mêmes éléments, qui ont été déterminants dans la stratégie japonaise de 1895 et de 1904-1905, se retrouvent dans les fondements de celle de 1941.
En 1941, malgré la création d'une vaste force économique et militaire, ses faiblesses fondamentales n’ont pas disparu. Sa principale source de puissance, sa main d’œuvre, était employée à la production industrielle et agricole avec des méthodes peu rentables, dans un système aberrant. Sa capacité industrielle, est du niveau d’une puissance industrielle moyenne comme la Belgique. En outre, ce développement industriel est dépendant de l’extérieur pour les sources d’énergie et les matières premières : pétrole, minerais, étain, chrome, caoutchouc. De plus, le Japon est enlisé dans la guerre avec la Chine nationaliste.
Ou bien la guerre devait cesser, ce que les chefs militaires refusaient d’accepter, ou bien le Japon était contraint d’étendre la guerre en envahissant la Birmanie britannique pour couper les lignes de ravitaillement Chinois. Un tel mouvement vers le sud permet de mettre main basse sur les ressources de la Malaisie britannique, de Sumatra, de Java et de Bornéo, résolvant le problème de la faiblesse économique du Japon. Mais, les chefs de l’armée et de la marine savaient que l’invasion des possessions britanniques et hollandaises de l’Asie du sud-est entraînerait inévitablement l’entrée en guerre des États-Unis.
De plus, cette situation politico-militaire excessivement tendue le devint encore plus quand, en juillet 1941, les États-Unis, suivis par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, imposèrent au Japon un embargo financier et économique suite à leur main mise sur l'Indochine Française.
Le Japon envisagea trois solutions :
- ou bien arrêter les opérations contre la Chine et l’Indochine et en venir à des négociations avec les démocraties anglo-saxonnes
- ou bien menacer le gouvernement des États-Unis de « quelque chose de terrible » dans le but de faire lever l’embargo
- ou bien, finalement, utiliser simultanément la force pour sortir de l’impasse militaire et pour briser l’embargo économique, impliquant une guerre avec les USA.
Contrairement à l’assurance que l’armée montrait pour son offensive en Asie du sud-est devant durer deux à trois mois, les chefs de la marine manifestèrent une grande réserve à l’idée de ce conflit.
La stratégie adopté fut rien moins qu’une réédition de la stratégie de la guerre limitée qui avait montré son efficacité dans les guerres contre la Chine et la Russie. Comme dans les conflits précédents, les stratèges japonais se sont abstenus d’envisager une victoire complète au-delà de leurs moyens ; ils limitèrent leurs efforts à isoler, à occuper et à défendre un objectif stratégique limité: l’invasion et l’encerclement de l’Asie du Sud-Est. De cette façon, la résistance chinoise serait réduite par la rupture de ses communications avec la Birmanie. La faiblesse de l’économie japonaise, si fortement dépendante de l’extérieur pour les matières premières, serait réglée d’un coup.
Comme dans les deux guerres précédentes, une fois le Japon à l’abri des pressions économiques, il pourrait en toute quiétude mettre au défi ses adversaires de le chasser de ses conquêtes.
Le Japon bénéficierait d’une position d’où il pourrait dissuader les inévitables contre-attaques et, par l’usure, il obligerait ses ennemis d’accepter, une fois de plus, le fait accompli à condition qu’il ne se laisse pas entraîner dans des aventures déraisonnables et qu’il conserve sagement ses forces en état de combattre.
Les conquêtes de Bornéo, Java, Sumatra, la Malaisie et la Birmanie représentaient l’essentiel de ce plan où, toutefois, celle des Philippines ne paraissait pas absolument nécessaire, car, économiquement, elles ajoutaient fort peu aux ressources des territoires des mers du sud.
Stratégiquement, les Philippines, malgré leur position de flanc, ne constituaient pas un tremplin indispensable à une offensive contre ces territoires. L'avis des généraux étaient de ne pas s'en emparer pour éviter une guerre avec les Etat Unis.
Yamamoto n’eu pas cette approche ; pour lui, l’intervention des États-Unis était à prévoir et la seule politique réaliste consistait à la faire avorter par une attaque surprise sur les forces et les bases navales américaines du Pacifique, laissant la main libre au Japon pour s'implanter en Asie du Sud Est.
Après Pearl Harbor, on peut se demander pourquoi les Japonais n’ont pas été jusqu’au bout en prenant les îles Hawaï ? Cette décision est, en fait, parfaitement cohérente avec le concept fondamentale d'une guerre limitée.
Les Japonais furent alors soumis à la même contrainte que 36 ans plus tôt : préserver leur flotte de bataille en tant que fer de lance pour assurer la maîtrise du Pacifique occidental ; cette flotte de bataille représentait la réserve sur laquelle reposait la faculté des stratèges japonais pour répondre aux contre-attaques alliées dans la seconde phase défensive de leur plan de guerre. Ce qui impose une condition fondamentale qui veut que la force principale soit à l’abri de toute perte sérieuse. Ainsi, même après l’élimination temporaire des bâtiments de ligne alliés, les stratèges japonais n’étaient pas favorables pour exposer les leurs aux attaques des sous-marins et de l’aviation alliés ; au contraire, ils conservaient leurs grandes unités le plus à l’arrière possible, préférant utiliser pour leur offensive contre des forces alliées affaiblies, des unités légères plus aisément remplaçables, des transports et des détachements de terre et de l’air.
En neutralisant et en isolant les positions alliées les unes après les autres, par des attaques aériennes avant de lancer à l’assaut des transports vulnérables mais fortement escortés, les Japonais, furent en mesure de progresser très rapidement par une série de raids d’une position stratégique à une autre sans donner au commandement allié la moindre occasion d’enrayer l’offensive.
La conquête de la Malaisie et des Indes néerlandaises libéra des forces japonaises considérables qui furent envoyées pour réduire la résistance aux Philippines à laquelle les Japonais ne s’attendaient pas - et pour un combat qui n'était d'ailleurs pas stratégique comme nous l'avons vu. Avant même la fin de la lutte pour les Philippines, l’effondrement de la résistance alliée dans le sud avait mis les Japonais devant la décision la plus grave qu’ils auraient à prendre de toute la guerre : fallait-il poursuivre ou non l’offensive jusque dans l’océan Indien ?
Ils se contentèrent d'affaiblir la flotte britannique en attaquant à Colombo, coulant un porte avions et deux croiseurs; puis ils se retirèrent à Singapour pour ne jamais revenir dans l'océan Indien hors raids trop peu fréquent pour être efficace, laissant les routes de ravitaillement alliées ouvertes…
Concentrer leurs forces navales dans l’océan Indien en vue de couper les lignes de communications alliées leur aurait demandé d'abandonner la conception d’une guerre limitée prudente en faveur d’une guerre illimité et globale ; mettre de côté leur idée d’indépendance stratégique jalousement gardée pour coopérer avec les forces européennes de l’Axe, alliés pour lesquels ils éprouvaient méfiance et crainte…. Les stratèges japonais ne se rendirent pas compte qu’ils n’avaient pas le choix et que leur prudente stratégie indépendante et limitée manquait d’efficacité dans un conflit mondial...
Les effets désastreux du plan japonais de guerre limitée, appliqué à l’occupation et à la défense de l’Asie du Sud-Est, eurent d’autres conséquences. Ce plan les paralysa, non seulement, dans la seule direction qui aurait pu leur laisser une chance de succès mais, de plus, il les empêcha d’agir dans quelque direction que ce soit en rassemblant toutes leurs forces.
Dès le début, les japonais reconnurent la nécessité absolue d’empêcher l’Australie de devenir pour les Alliées une base principale pour leurs contre-offensives. Exactement comme pour l’Inde, ils se rendirent compte que l’Australie, dans son ensemble, était un morceau trop gros à avaler. Cependant, ils espérèrent qu’en occupant les territoires du nord et en coupant des lignes de communication avec La Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande et les Samoa, ils auraient la possibilité d’isoler et de neutraliser l’Australie. Ils portèrent le plus gros de leurs efforts dans cette direction tout en continuant d’attaquer la Malaisie et Java Si les chefs militaires japonais, à ce moment, avaient abandonner leur stratégie reposant sur des offensives méthodiques, pas à pas, ils auraient pu laisser de côté la Nouvelle-Guinée, protégée par leur aviation embarquée sur les porte-avions, et se saisir de Port Moresby, le centre stratégique de la défense australienne qui n’était défendu que par une unique brigade de soldats peu entraînés…
Mais, fidèles à leur principe de ne pas avancer vers un nouvel objectif sans avoir une couverture aérienne efficace, les Japonais hésitèrent et perdirent une occasion. Quand, au début de mai, ils reprirent leur offensive vers la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande, ils furent stoppés par deux contre-attaques, à Tulagi et dans la mer de Corail. Arrivées à ce point, les réactions des Japonais sont des plus difficiles à saisir. L’influence paralysante de leur idée de guerre limitée est évidente, car leur poussée pour neutraliser l’Australie fut abandonnée aux premiers signe d’une résistance de crainte de perdre leur précieux navires qu'ils voulaient garder pour la phase défensive de leur scénario. Au lieu de reprendre leur poussée avec leur puissance disponible, ils dispersent leurs forces dans quatre directions parfaitement divergentes par des attaques à Madagascar et dans le port de Sydney, par d’importantes forces expéditionnaires contre les Aléoutiennes et contre Midway - tomba dans le piège dressé par les américains et perdant d’un coup la majeure partie de la flotte de porte-avions; ce qu'ils voulaient justement éviter en stoppa l'offensive vers l'Australie ! La défaite de Midway donna à la puissance offensive japonaise un arrêt sévère, mais elle ne la brisa pas.
Le débarquement des US Marines à Guadalcanal, une semaine avant que les Japonais n’aient le temps de compléter l’installation du terrain d’aviation et de recevoir les forces de terre et navales sous sa protection, parvint à prendre l’ennemi par surprise. Les Japonais conservaient une chance de voir le sort leur être favorable, car ils possédaient des ressources considérables sur le terrain, des lignes de communications incomparablement plus courtes et ils avaient infligé de très sérieuses pertes aux Alliés. Mais, une fois de plus, la nécessité de conduire une guerre économique, qui était leur constante préoccupation, fut fatale. Au lieu d’utiliser leur supériorité pour écraser les Américains à Guadalcanal avec leurs forces réunies, ils choisirent de les jeter au compte goutte dans la bataille. Au moment où les Japonais se décidèrent à faire un effort sérieux, il était trop tard.
Le commandement américain et sa stratégie étaient passés d’une défensive prudente à une offensive agressive et l’équilibre des forces commença à leur être favorable. Ainsi, les offensives massives des Japonais de la fin octobre à la mi-novembre 1942 se terminèrent par un désastre complet.
La première phase du plan de guerre japonais, la phase de l’isolement et de l’occupation de l’objectif, l’Asie du sud-est, était maintenant arrivée à sa fin. Les tentatives pour éliminer ou neutraliser, au-delà de ces limites, les bases d’où les Alliés pouvaient lancer des contre-attaques, n’avaient été couronnées que d’un succès partiel. Singapour, Java, les Philippines, Guam, Wake et l’ouest des Aléoutiennes avaient été pris. La résistance chinoise ne s’était pas effondrée, malgré la rupture de ses communications avec la Birmanie, et l’Australie n’avait pas été neutralisée.
Cependant, en dépit de ces échecs, les stratèges japonais avaient de bonnes raisons d’espérer réaliser la seconde partie de leur plan, la plus difficile : amener les Alliés à s’avouer vaincus après les avoir soumis à une guerre d’usure pour qu’ils acceptent le fait accompli.
Dans toutes les directions, excepté celle de l’Union soviétique, les Japonais avaient établi autour de leur aire centrale d’action, une zone-tampon étendue où les contre-attaques alliées seraient enrayées.
Les distances que les Alliés auraient à franchir dans leur avance à travers le Pacifique et l’océan Indien, ralentiraient leurs efforts. Les jungles de Birmanie, de Nouvelle-Guinée comme celles des Salomon, que les Japonais n’avaient pu pénétrer que très difficilement, étaient de solides remparts. La résistance tenace des soldats japonais fanatisés retarderait considérablement les offensives alliées comme à Guadalcanal où chaque pouce de terrain gagné entraînait des pertes humaines importantes.
Mais surtout, les japonais comptaient sur le réseau très dense des bases aériennes et navales permettant de s’opposer à une avance alliée, grâce à une concentration de forces formant un cercle infranchissable autour d’une zone centrale. Derrière le cercle de défenses étroitement conjuguées, la force de réserve de la flotte de bataille japonaise se tiendrait prête à donner le coup de grâce à n’importe quelle force alliée ayant réussi à forcer les défenses extérieures.
Ainsi, le japon disperse ses forces dans des directions opposées pour occuper ce cercle de défense. Les bâtiments de combat cuirassés, porte-avions, croiseurs lourds, furent retirés des zones dangereuses pour être mis à l’abri dans des zones à l’arrière. Pendant les dix-huit mois suivants, aucune de ces unités ne fut coulée par l’ennemi. En revanche, les forces maritime légères ainsi que les forces terrestres et aériennes, prévues pour s’opposer au premier élan de l’offensive alliée, furent envoyées en avant dans des zones critiques.
En Nouvelle-Guinée, la contre-offensive, lente et coûteuse en hommes, contre les restes des forces japonaises qui avaient menacé Port Noresby paru donner raisons aux stratèges japonais. De même, les très durs combats livrés dans les Salomon contribuèrent à endormir les japonais dans l’idée que, en dépit de leurs pertes, le plan prévu pour user les forces alliées n’était pas si mauvais.
Cette illusion apaisante fut brutalement ébranlée par la grande offensive américaine dans le Pacifique central au cours de l’hiver 1943.
L’effort sans précédent des États-Unis dans la construction navale avait, pendant l’automne et l’hiver de cette année-là, permis le renversement complet et irrémédiable du rapport de force au profit des États-Unis. La récente force de frappe que représentait la 5e Flotte sous les ordres de l’amiral Spruance était en mesure de s’opposer à toute force japonaise, quelle qu’elle soit ; la concentration en porte-avions de cette flotte permettait à Spruance de passer en force à travers le système de positions défensives, celui que les stratèges japonais avaient jugé infranchissable.
Avec des escadrilles de 800 et bientôt de plus de 1 000 avions embarqués à sa disposition, l’amiral se plaçait dans une situation où il pouvait écraser les forces aériennes adverses en frappant à n’importe quel point du dispositif de défense japonais pour neutraliser les positions clé, pour annihiler leur résistance sous la puissance d’une supériorité aérienne absolue et sous les effets des bombardements des canons de la flotte, inconnus jusqu’alors ; enfin, à partir des bases nouvellement conquises, les forces américaines s’emparèrent du reste des positions japonaises dont certaines furent contournées et coupées de leur ravitaillement.
De plus, grâce au système révolutionnaire des bases mobiles de ravitaillement organisé dès les premières attaques, l’amiral Spruance fut à même de surmonter les difficultés logistiques qui, jusqu’à ce moment, paraissaient insurmontables et sur lesquelles les stratèges japonais avaient beaucoup compté ; finalement, il put conduire son offensive sans marquer de temps d’arrêt aussi loin qu’il le désirait.
Cette conception, entièrement neuve d’utiliser la puissance sur mer, bouleversait tellement les idées reçues que les stratèges japonais furent incapables de saisir immédiatement sa signification profonde et ses conséquences. Ils se rendirent tellement peu compte de ce qui leur arrivait qu’ils ne comprirent pas que la prise des îles Gilbert correspondait à une forme entièrement nouvelle de la stratégie américaine ; ils considéraient cette avancée comme une simple attaque de flanc. Les pertes des Marines à Tarawa, largement divulguées, contribuèrent à leur faire croire que tout allait conformément au plan prévu et que leurs avant-postes remplissaient avec succès leur mission d’user l’élan des contre-offensives alliées…
La conquête manifestement moins meurtrière de Kwajalein aux îles Marshall, ne fut pas suffisante pour attirer leur attention sur la réalité de la situation. Ce ne fut qu’après cette conquête que l’amiral Spruance s’attaqua très sérieusement et avec efficacité, à leur importante base navale de Truk, centre des opérations dans le sud-est ; c’est alors que, brusquement, ils réalisèrent clairement que l’ensemble de leurs plans de guerre avait été réduit à néant, sans rémission, en l’espace de trois mois, de la mi-novembre 1943 à la mi-février 1944.
En effet, la chute des positions-clé japonaises des Gilbert et des Marshall signifiait plus que l’effondrement même de leur zone avancée de défense. Ce n’était, ni plus, ni moins, que l’échec complet de tout le système stratégique.
Ce système, comme déjà expliqué, reposait à la fois dans sa phase défensive et offensive, sur un partage des fonctions entre deux éléments complémentaires d’une part, les forces terrestres, aériennes et navales avancées et, d’autre part, la force centrale de réserve du gros de la flotte.
Dans ce partage des fonctions, le rôle des forces avancées sacrifiées fut, non seulement de mettre en échec et de contenir l’adversaire mais, si elles ne pouvaient empêcher les contre-offensives alliées, de percer leur défense, elles se devaient, au moins, d’absorber le choc de celles-ci, de manière à infliger aux Américains des pertes telles que le gros de la flotte de bataille japonaise aurait l’occasion de lancer une terrible action dévastatrice.
Ainsi, quand les forces avancées ne purent contenir celles de l’amiral Spruance, et encore moins les affaiblir, non seulement, elles s’effondrèrent d’elles-mêmes, mais leur chute affecta gravement la puissance d’intervention du gros de la flotte de bataille japonaise de réserve, laquelle se trouvait en état d’infériorité et ne pouvait donc s’opposer, avec des chances de succès, à l’offensive de la marine américaine.
Sans avoir eu l’occasion de frapper une seule fois, cette flotte de réserve a été réduite, du jour au lendemain, à l’état de "fleet in being", exerçant plus qu'une action dissuasive. Le désastre était inévitable. S’ils décidaient de risquer le gros de leur flotte en tentant d’arrêter Spruance, il est probable qu’elle serait défaite perdant d’un coup l’avantage de l’effet dissuasif. Si, au contraire, ils continuaient à conserver leur "fleet in being", ils seraient incapables d’empêcher Spruance de conquérir leurs positions, les unes après les autres…
En face de ce dilemme, les stratèges japonais furent incapables d’adopter l’une ou l’autre solution et restèrent assis entre deux chaises.
A deux reprises consécutives, au moment où les Américains s’approchaient des Mariannes et de Leyte, ils lancèrent le gros de leur flotte, dans une tentative désespérée pour les arrêter, mais, à chaque fois, ils étaient si indécis, agissant à contre-cœur au lieu de se lancer à fond dans l’entreprise, qu’ils sacrifièrent leurs meilleures forces inutilement, le restant devant périr lamentablement pendant les grandes offensives aéronavales de mars et de juillet de l’année suivante.
En 1944, la stratégie des kamikazes, conjuguée avec les distances particulièrement grandes, paraissait laisser aux japonais une chance de faire traîner la guerre en longueur et d’échapper au désastre complet. Comme l’offensive américaine venait des positions éparses japonaises conquises à la périphérie et se portait vers le Japon proprement dit, Philippines et Formose, elle entrait dans des zones qu’il ne serait pas facile d’isoler et dans lesquelles les adversaires pourraient concentrer et déplacer des forces terrestres et aériennes non négligeables ; ils utiliseraient ces avantages pour freiner l’offensive américaine et rendre celle-ci si coûteuse pour l’assaillant que les Japonais, à la fin du conflit, bénéficieraient de quelque chose de mieux qu’une reddition sans conditions.
L’entêtement fanatique permit donc de continuer la lutte, bien que son issue ne puisse plus longtemps être mise en doute ; ce fut les mauvaises surprises des bombardements par les formations de B29, volant à une altitude inatteignable, écrasant d'un tapis de bombes incendiaires les villes du Japon, puis la bombe atomique, qui força l’Empereur à mettre un terme à cette guerre insensée.
Pour conclure, l’erreur des stratèges japonais fut profonde. Les conflits avec la Russie et la Chine pouvaient être limités stratégiquement parce que qu’ils l’étaient politiquement et aussi parce que pour les Russes et pour les Chinois les intérêts en jeu étaient marginaux. Quand l’issue des conflits leur fut défavorable, elles acceptèrent de traiter, même dans des conditions désavantageuses, plutôt que de prolonger une guerre qui commençait à réveiller les dissensions internes, risquant de les transformer en rébellion ouverte. Lors de la seconde guerre mondiale, avant tout, ils évaluèrent mal le rapport étroit entre la conception politique et la conception stratégique du conflit, ce qui leur fit faire, politiquement, une guerre à mort ayant le caractère d’un affrontement racial absolu et qu’ils avaient essayé de mener, stratégiquement, à une guerre limitée.
Source: Essai de stratégie navale, chapitre VI, La stratégie japonaise de Herbert Rosinski
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