Audie Murphy a écrit:Il me semble que M. Delpla avait déjà fait savoir son désaccord sur le fait que les Italiens avaient nui à Hitler dans les Balkans. Seul l'intéressé pourra confirmer.
Eh bien c'est exact !
Et comme je manque de temps et que j'aime bien ce forum, je vais vous citer ce que j'écris sur le sujet dans mon livre sur Nuremberg (cf.
http://www.delpla.org), à paraître le 20 septembre :
les débats de Nuremberg ont aussi joué un rôle majeur, même s’il est loin d’être exclusif, dans la propagation d’une idée fausse sur la date de l’agression contre la Russie soviétique. Elle aurait été fixée primitivement au 15 mai 1941, puis décalée au 22 juin, par une décision du 3 avril, en raison de l’attaque contre la Yougoslavie et la Grèce. C’est ce que déclare le procureur britannique Griffith-Jones le 7 février 1946 et que confirme Paulus le 11 . La légende a de quoi satisfaire tout le monde. Elle met en valeur les Anglais, dont la présence en Grèce constituait, sur le flanc de l’attaque allemande contre l’URSS, une menace que Hitler jugea finalement indispensable d’éliminer : il aurait perdu là un temps précieux, qui allait lui manquer en décembre, pour prendre Moscou avant l’hiver. Mais ces lauriers sont à partager avec les résistants grecs, et aussi avec la Yougoslavie, peuple et élites confondus. C’est bien le coup d’Etat contre le prince Paul, qui venait de se coucher devant Hitler en signant le pacte tripartite, qui avait décidé Hitler, début avril, à un Blitzkrieg balkanique. Or ce coup d’Etat avait été, en partie, téléguidé de Moscou : pour une fois qu’on pouvait montrer l’URSS dans une attitude anti-allemande entre août 1939 et juin 1941, elle n’allait pas y faire obstacle ! Elle empochait au passage le bénéfice du rôle majeur des partis communistes dans les résistances grecque et yougoslave.
Dire que l’attaque était fixée au 15 mai et a été retardée de cinq semaines est simplement faux : la directive « Barbarossa » indique seulement que les « principaux préparatifs » devront être achevés le 15 mai et que la date des opérations sera fixée ultérieurement. Il est temps, précisément, de le faire en ce début d’avril et le facteur décisif est le dégel. Il est tardif, à la mi-mai on sera en pleine « raspoutitsa » -cette période d’omniprésence de la boue- et c’est seulement dans la deuxième quinzaine de juin qu’on peut envisager de faire progresser rapidement des blindés, dans un pays qui manque de routes. C’est plutôt le sous-développement russe qui retarde les choses, par rapport à l’offensive de l’année précédente contre les Pays-Bas et le nord de la France, quadrillés de voies modernes… mais cela, peu de gens ont intérêt à le reconnaître.
Comme toujours lorsqu’une légende déforme des événements dans lesquels Hitler est partie prenante, il faut se demander si elle ne le sert pas lui-même, et s’il n’est pas à son origine. Or c’est très précisément le cas. Il a, au fur et à mesure des déconvenues, un besoin croissant d’expliquer son échec et il est le premier à parler de ce retard de cinq semaines, en l’imputant bien sûr à Mussolini, qui aurait commis la faute impardonnable d’envahir la Grèce, de s’y faire battre et d’avoir besoin d’un secours allemand. L’excuse s’étale, en particulier, dans le « testament politique » recueilli par Bormann au cours de l’agonie du régime .
Le jugement de Nuremberg ne reprend pas cette bourde, s’il ne la dément pas. Il a le mérite de ne pas mettre l’accent sur la directive « Barbarossa » : la date du 18 décembre 1940 voit seulement Hitler, est-il écrit, exiger « l’achèvement des travaux de préparation » pour la mi-mai. Cette préparation elle-même est datée, précision juridique oblige, du 3 septembre, jour où Paulus prend son poste à l’OKW. De ce point de vue, le film soviétique accompagnant ce livre est plus confus : il commence par stigmatiser la décision d’attaque en la datant du 18 décembre, puis mentionne les signes antérieurs d’une préméditation.
Sur le reste de votre débat, tout en le suivant avec intérêt, je me sens surtout compétent pour resituer les choses dans le contexte général de l'entreprise nazie.
Hitler ne s'est pas mis sur le dos seulement la gageure de gagner la guerre, mais de le faire à la manière nazie. Les Anglo-Saxons sont menés par de mauvais bergers juifs, ou assimilés, mais ce sont des frères de race, contrairement aux Slaves, ces sous-hommes, inventeurs de surcroît, du bolchevisme, le fin du fin de l'esprit destructeur des Juifs. Il faut donc gagner la guerre à l'est, et au plus vite, c'est pourquoi le Caucase ne suffit pas et n'est même qu'une diversion, d'où la réorientation de l'offensive en juillet vers Stalingrad, c'est-à-dire vers le coeur de l'URSS. Je ne pense pas que Hitler pense gagner et se fait avoir, je dirais plutôt qu'il joue son va-tout; il se croit missionné par la Providence pour rebâtir l'humanité suivant une logique raciale après la parenthèse de 2000 ans de christianisme, donc il doit réussir.
Ensuite, lors de l'encerclement et tant que la retraite reste possible, il l'interdit mordicus sans doute, comme le dit Daniel, pour permettre le repli plus au sud, mais aussi et peut-être surtout pour des raisons politiques : il s'agit de faire peur et honte à l'Occident de la vague de barbarie asiatique, prête à déferler sur l'Europe, qu'il laisse se former à l'est, tandis que 200 000 fils de la race supérieure se sacrifient dans la tradition de Léonidas.