Rappelons que c'est à l'audience du 25 mars 1946 que Me Alfred Seidl, défenseur de l'accusé Hess, divulga publiquement le contenu des clauses secrètes. Le document, révéla l'avocat ouest-allemand douze ans plus tard, lui avait été communiqué par un journaliste américain, probablement membre d'un service de renseignements occidental (Christian Bernadac, Les Assassins. Le Front de l'Est, France-Empire, 1984, p. 63). Avant d'en mentionner l'existence à l'audience, Seidl avait pris contact avec le Procureur britannique, Sir David Maxwell-Fyfe, avec qui il s'entendait bien, et qui lui déclara avec humour que "seuls les Soviétiques pourront vous confirmer l'authenticité du document". Par la suite, l'avocat s'était renseigné auprès du Ministère public soviétique, lequel ignorait visiblement tout de ce papier, et ne reçut confirmation de Moscou que par télex de l'authenticité de la chose (Christian Bernadac, Les Assassins, op. cit., p. 64).
Bref, la révélation fit l'effet d'une bombe. Seidl put produire un affidavit rédigé par un ancien collaborateur de Ribbentrop, Friedrich Gauss, qui confirmait l'existence du protocole secret. Mais le Tribunal exigea que la communication des clauses fût subordonnée à la traduction de l'affidavit de Gauss - ce qui, en termes strictement judiciaires, était par ailleurs parfaitement recevable.
Le 28 mars, Me Horn, avocat de l'accusé Ribbentrop, put évoquer avec la secrétaire de ce dernier, Margarete Blank, l'existence des clauses secrètes, avant d'aborder la question directement avec son client le lendemain. Le Tribunal laissa ainsi les avocats allemands interroger accusés et témoins sur cette question, ce qui était une manière de laisser filtrer la vérité. Me Seidl revint d'ailleurs plusieurs fois à la charge, et fut autorisé le 1er avril à lire des extraits de l'affidavit de Gauss.
Bref, le Tribunal refusa de considérer comme recevable le document des clauses secrètes, car de provenance "douteuse", mais autorisa Seidl à mentionner son existence dans ses interrogatoires. Juridiquement, l'argumentation du Tribunal était impeccable. Sur un strict plan historique, il n'en laissait pas moins la Défense jouer son rôle. Diplomatiquement causant enfin, c'était jouer de main de maître : les Soviétiques étaient mis dans l'embarras, mais le Tribunal les maintenait à bord en rejetant toute demande de production des clauses secrètes. Ou comment révéler la vérité sans en avoir l'air.
Il est vrai que le Tribunal censura une partie de la plaidoirie finale de Me Seidl (audience du 25 juillet 1946), relativement au protocole secret. Mais il laissa là encore Seidl soulever le lièvre :
Dr. Seidl. - Je vais omettre les constatations décisives qui suivent, parce qu'elles traitent des conséquences du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, sur la compétence du Tribunal - l'une des puissances siégeant au Tribunal peut-elle être juge du crime contre la paix dont elle a été le complice ? Il appartient au Tribunal d'examiner d'office dans quelle mesure il peut se considérer comme compétent à propos de ce pacte secret. Je continue à la page 63.
Résultat : les journalistes présents s'arrachèrent la partie manquante de sa plaidoirie ! (voir Jean-Marc Varaut, Le procès de Nuremberg, Hachette-Pluriel, 1993, p. 127).
L'affaire illustre à merveille la naissance de la Guerre Froide entre les puissances, Me Seidl ayant bénéficié de la générosité de mystérieux Occidentaux. Le Tribunal, tout en accordant quelques concessions de pure forme aux Soviétiques (en l'occurrence le refus d'examiner les clauses secrètes), n'en laissa pas moins la question desdites clauses secrètes être précisément abordée au cours des audiences.
Il faut noter par ailleurs que l'accusé Ribbentrop lui-même avait jusque là gardé le silence sur ces clauses secrètes, d'une part parce qu'elles contribuaient à l'enterrer davantage, d'autre part pour tenter d'amadouer les Soviétiques - voir Jean-Marc Varaut, Le procès de Nuremberg, op. cit., p. 113.
Au final en effet, l'effet de manche de Seidl n'aboutissait qu'à une diversion, laquelle ne réfutait nullement l'écrasante responsabilité de l'Allemagne nazie dans le déclenchement de la guerre. Et le Tribunal ne l'avait pas perdu de vue.