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Kanev ou « une tête de pont trop loin »

Après l'opération Barbarossa, les forces de l'Axe contraignent l'URSS au repli.
Après une série de succès, l'Allemagne s'enlisera progressivement puis cédera à Stalingrad et à Koursk.
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Kanev ou « une tête de pont trop loin »

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de Kelilean  Nouveau message 23 Juil 2005, 13:50

Début septembre 1943, les troupes allemandes du Heeresgruppe Süd, vaincues après les durs combats autour de Bielgorod et Kharkov (opération soviétique « Roumantsiev") commencent à retraiter vers l'ouest. L'Armée Rouge a donc en ligne de mire l'Ukraine et Kiev. Le principal obstacle à l'avance est désormais le Dniepr, fleuve large et rapide dont la rive occidentale est la plus escarpée. Si Hitler a donné l'ordre de ne pas y établir des défenses afin d'ôter l'envie aux généraux de s'y replier, le fleuve autorise les Allemands à souffler et même à pouvoir repousser les assauts ennemis. La 8. Armee et la 4. Panzerarmee débutent alors une course contre le front de Voronej afin d'arriver en premier au Dniepr. Parallèlement, les Soviétiques songent à une opération aéroportée pour capturer des têtes de pont et empêcher que les Allemands s'implantent en force sur le fleuve.

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Dès la mi-août, la Stavka, consciente de l'enjeu que représente le franchissement du Dniepr, ordonne la mise sur pied d'une force en mesure de remplir cet objectif. Début septembre, les 1ères, 3ème et 5ème brigades aéroportées de la Garde sont fusionnées en un « corps » de 10 000 hommes. En fait, ces unités n'existent que depuis le mois d'avril 1943. Formées de jeunes recrues, l'encadrement est de surcroît totalement inexpérimenté. Malgrè l'enjeu crucial de leur mission, il apparaît que ces hommes n'ont pas effectué plus de quatre sauts d'entrtaînement diurnes et un seul nocturne. Malgrè tout, le 16 septembre, un plan se dessine par la concertation du général Vatoutine responsable du front de Voronej, du corps aéroporté et des forces aériennes soviétiques, les VVS.

Les parachutistes devront opérer à partir de bases situées au nord-ouest de Kharkov récemment reprise, à 200 km à voil d'oiseau du Dniepr. Ils doivent s'emparer de plusieurs localités au sud-est de Kiev, dans la zone boisée de Bukrin et Kanev, dans l'optique d'appuyer les têtes de pont établies par les troupes au sol. Le périmètre qui leur est alloué représente ainsi 30 km de long sur 15 à 20km de large. Il doit être tenu le temps nécessaire à la construction de ponts susceptibles de faire passer chars et artillerie lourde. 200 avions sont affectés au corps pour larguer les paras et tracter des planeurs embarquant mortiers et canons antichars.

L'aviation du front de Voronej apporte son soutien, des avions d'observation sont les « yeux » de l'artillerie et d'autres appareils sont prévus pour le ravitaillement, mais aussi l'évacuation des blessés. Les partisans locaux, mis au courant de l'opération, soutiennent et guident les paras et plusieurs radios permettront un contact avec le front de Voronej. L'opération est prévue pour le 25 septembre ; mais premier hic, le largage doit se faire de nuit car les VVS n'ont pas la maîtrise du ciel au-dessus du Dniepr. Le plan, validé par Joukov, est vite remis en question.

Car l'avance de l'Armée Rouge s'amplifie et le 21 à la nuit tombée, une tête de pont a été installée à Bukrin. Les brigades mettent du temps à se regrouper vu la médiocrité du réseau ferré et une météo éxécrable bloque certains avions de transport : seulement 8 sont disponibles le 23 septembre. Suite à cela, Vatoutine ordonne un report de 24h et limite l'opération aux 3ème et 5ème brigades, la 1ère arrivant en renfort le lendemain. Ces changements apportent une confusion totale : les état-majors doivent modifier leurs plans une heure avant le départ et les chefs de compagnie n'ont qu'un quart d'heure. Les chefs de section sont contraints de préparer leurs hommes pendant le vol!.

Croyant vite être relevés, les paras n'ont pris ni mines, ni pelles, ni vêtements chauds supplémentaires. Surtout, les renseignements sur l'opposition allemande dans la zone restent flous et les Soviétiques partent du principe qu'elle sera faible. Mais alors que le 22 septembre, on ne trouvait que des détachements de l'Aufklärungs-Abteilung de la 19. Panzerdivision, ainsi que les 120 hommes de l'école de Flak basée à Tcherkassy, deux jours plus tard la 8. Armee, inquiète de l'avance soviétique à Bukrin, a déployé toute la 19. Panzer et 5 autres divisions à proximité de la zone de largage!.

Sur les bases de Lebedin, la confusion est à son comble. Beaucoups d'avions ne sont pas là. Seuls 48 des 65 Li-2 (copie soviétique du C-47) de la 5ème brigade répondent à l'appel. De plus, les pilotes refusent d'embarquer 20 paras et insistent pour que le nombre soit de 15 à 18, raisons de sécurité obligent. Beaucoup de matériel est laissé sur la piste ainsi que les radios. Il n'y a aucun éclaireur de prévu pour baliser les Drop zones. Le ravitaillement en essence est chaotique et les appareils s'envolent selon les circonstances, individuellement ou par petits paquets. Vers 1h, il n'y a plus d'essence et la 5ème brigade est forcée d'interrompre les départs, alors que seulement 75 % de son effectif a pris l'air. Au total, seulement 300 sorties sur 500 sont réalisées.

Plus de 4500 paras sont tout de même partis, les deux tiers appartenant à la 3ème brigade. Mais ils ne disposent d'aucun canon antichar : les planeurs n'ont pas décollé!. 2017 paras ont été laissés sur les pistes. Le vol est un cauchemar, les pilotes n'ont aucune expérience du vol de nuit et arrivent en ordre dispersé à des altitudes variant entre 600 et 2000m. Le tir antiaérien est d'une rare violence et ajoute à la désorganisation. Certains paras plongent dans le Dniepr, d'autres sautent sur les troupes russes au bord de la rive occidentale. Deux avions larguent leurs passagers très loin en arrière des lignes allemandes. 13 autres reviennent avec les paras toujours à bord!. La Drop zone faisait 10 km sur 14 sur les plans ; dans les faits, elle est de 30km sur 90!. Eparpillés au possible, les paras se rendent vite compte qu'ils ont sauté au milieu d'un fort groupement ennemi.

Car les renforts allemands montent justement en ligne et dès 20h, à leur grande surprise, des parachutes apparaissent dans le ciel. Ils tirent à tout va sur les avions. La Flak ne revendique malgrè tout qu'un seul planeur et 3 C-47. Mais les paras sont décimés. Beaucoup sont tués ou capturés juste après leur arrivée au sol. Paniqués, ils tentent de se regrouper, cherchent les containers avec les armes lourdes, abandonnent sur place leurs parachutes qui guident les patrouilles allemandes droit sur eux. La 19. Panzer met hors de combat 900 hommes en moins de 24h. Près de Bukrin, elle élimine un groupe de 150 paras menés par le chef de la 3ème brigade. Plus au sud, le 25 septembre, la 112. Infanterie Division met hors de combat 367 paras. La résistance est parfois vive, et les Soviétiques parviennent même à profiter du terrain pour accomplir des embuscades fructueuses, mais le plus souvent ils sont dans le rôle inverse.

L'état-major soviétique, prudent, décide d'annuler le second largage prévu le lendemain. Les jours suivants, les Allemands poursuivent la traque et anéantissent des groupes sans être gênés le moins du monde. Fin septembre, ils considèrent la menace écartée. A cette date, on compte quand même 43 groupes très divers en nombre qui se sont manifestés. Les premières tentatives pour établir un contact radio avec le front de Voronej échouent. Certains paras rejoignent les partisans ou réussissent à faire la jonction avec les troupes au sol.

Près de Bukrin, le terrain est plus ouvert et les Allemands en force : les paras se font donc discrets. Mais plus au sud, ces derniers se regroupent dans la forêt de Kanev et entrent en liaison avec Vatoutine. Ils mènent des actions de guérilla montés en épingle par la Stavka pour couvrir le fiasco initial. Mi-novembre, les derniers survivants font leur jonction avec les troupes terrestres. Ironiquement, la tête de pont de Bukrin, objectif de l'opération, est la dernière position tenue par les Allemands sur le Dniepr début 44.

L'échec de l'opération met fin aux opérations aéroportées de grand style dans l'Armée Rouge pour ce conflit. Les trois brigades ou ce qu'il en reste sont dissoutes et le personnel versé dans les unités de fusiliers. Les limites de l'emploi de vastes forces parachutistes sont ici criantes. Le manque d'entraînement flagrant aussi bien des paras que des pilotes se combine à une sous-estimation des besoins logistiques. Mais c'est surtout la planification générale de l'opération qui est la plus contestable. Basée sur des rapports optimistes, elle ne tient aucun compte des enseignements sur le terrain tirés des opérations similaires de 1941-42, comme à Viazma. Enfin, le renseignement sur l'ennemi a été complètement négligé et le parachutage déjà hasardeux se transforme en boucherie : 60 % des paras engagés sur le Dniepr restent sur le terrain.

Source : Vae Victis numéro 24, article Le tournant de la guerre, l'année 1943 sur le front de l'est par F. Guelton et P. Naud.


 

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