Un épisode peu connu du début du conflit entre la Roumanie et l’Union Soviétique

Pour situer le contexte mon épouse est roumaine et je maîtrise aussi cette langue ce qui me permet de consulter et de traduire les documents en cette langue. Lorsqu'elle a décidé de transcrire et de publier les carnets de guerre de son père le lieutenant Ioan Posa je l'ai aidée à faire une version française et je me suis pris au jeu: j'ai voulu comprendre le contexte politique et militaire et je me suis mis à chercher plus d'information.

J'ai consulté le magazine Histomag et il est en effet très intéressant mais il ne donne que peu de détails sur les premières opérations sur le front Sud de Bassarabie. Il y aurait aussi des informations complémentaires à apporter sur le rôle du Maréchal Antonescu et les opinions politques contradictoires en Roumanie qui auraient pu donner un cours différent à la guerre.J'ai trouvé sur le forum www.worldwar2.ro qui est un forum roumain mais en anglais une revue plus détaillée des événements pendant cette période et sur le web d'autres documents roumains intéressants. Il est notamment intéressant de voir pourquoi le début des opérations a été difficile et à quel adversaire les Roumains se sont heurtés.

Je me propose donc de vous livrer dans les prochains plus d'informations. Il est intéressant notamment que les événements et les changements qu'il y a eu à cette époque ont encore une signification actuelle dans le cadre du conflit Russo-Ukrainien.

Je vous prie de m'excuser d'avance car je ne suis pas militaire de carrière et je peux voir des difficultés avec les termes militaires

Je commence par des informations sur les unités engagées à partir du 22/6/1941 sur le front sud de Bassarabie

La 4e armée commandée par le Général Nicolae Ciuperca était composée de 4 corps d'armée

le 3e comprenait la 15e division d'infanterie et de la 35e division de réserve
le 5e comprenait une division de gardes frontières et de la 21e division d'infanterie
le 2e, appelé groupe du Danube, comprenait les 9 et 10e divisions d'infanterie
le 11e comprenait la 4e division d'infanterie et les 1ères et 2e brigades

La réserve comprenait la 5e division d'infanterie

Cette armée agissait seule, sans soutien de l'armée allemande, à ce stade des opérations

Le gros de la 4e armée a été chargé d'établir des têtes de pont en passant le Prut. Ce faisant elle s'est confrontée avec la 9e armée soviétique.

Le 2e corps était chargé de forcer le Danube à hauteur d'Ismail.
L'auteur du carnet était chef de peloton dans le 33e régiment Dorobanti de la 10e division d'infanterie qui faisait partie de ce corps

[Dog Red]

Pour situer le contexte mon épouse est roumaine et je maîtrise aussi cette langue ce qui me permet de consulter et de traduire les documents en cette langue. Lorsqu'elle a décidé de transcrire et de publier les carnets de guerre de son père le lieutenant Ioan Posa je l'ai aidée à faire une version française et je me suis pris au jeu: j'ai voulu comprendre le contexte politique et militaire et je me suis mis à chercher plus d'information.

Belle démarche.

J'ai consulté le magazine Histomag et il est en effet très intéressant mais il ne donne que peu de détails sur les premières opérations sur le front Sud de Bassarabie. Il y aurait aussi des informations complémentaires à apporter sur le rôle du Maréchal Antonescu et les opinions politques contradictoires en Roumanie qui auraient pu donner un cours différent à la guerre.J'ai trouvé sur le forum http://www.worldwar2.ro qui est un forum roumain mais en anglais une revue plus détaillée des événements pendant cette période et sur le web d'autres documents roumains intéressants. Il est notamment intéressant de voir pourquoi le début des opérations a été difficile et à quel adversaire les Roumains se sont heurtés.

Merci pour ton retour qui intéressera Jumbo et Alfa, le duo qui anime Histomag.

Je me propose donc de vous livrer dans les prochains plus d'informations. Il est intéressant notamment que les événements et les changements qu'il y a eu à cette époque ont encore une signification actuelle dans le cadre du conflit Russo-Ukrainien.

Excellente idée !
Merci pour ton initiative.

La 4e armée commandée par le Général Nicolae Ciuperca était composée de 4 corps d'armée

le 3e comprenait la 15e division d'infanterie et de la 35e division de réserve
le 5e comprenait une division de gardes frontières et de la 21e division d'infanterie
le 2e, appelé groupe du Danube, comprenait les 9 et 10e divisions d'infanterie
le 11e comprenait la 4e division d'infanterie et les 1ères et 2e brigades

La réserve comprenait la 5e division d'infanterie

Ca fait quand même très "piétaille".
Pas même de corps de cavalerie ?

Les 1e et 2e beigades au 11e corps sont aussi des troupes à pied ?

Le document roumain ne mentionne pas de corps de cavalerie dans la 4e armée à ce moment du conflit. Cela peut s'expliquer parles missions de la 4e armée qui était à ce moment d'essayer de traverser le Prut aux endroits favorables pour établir des têtes de pont.

Je n'ai pas de détail sur ces brigades. Par contre il est mentionné pour le 2e corps d'armée que le 33e régiment Dorobanti de la 10e division d'infanterie faisait partie de la 10e brigade d'infanterie

[Prosper Vandenbroucke]

Un ancien sujet sur ce forum:
viewtopic.php?p=338943
Je ne sais si cela peut aide et si l'info est exacte.

[Dog Red]

Je n'ai pas de détail sur ces brigades. Par contre il est mentionné pour le 2e corps d'armée que le 33e régiment Dorobanti de la 10e division d'infanterie faisait partie de la 10e brigade d'infanterie

Les Roumains perpétuaient probablement le modèle classique de la divisions à 2 brigades de 2 régiments (4 régiments d'infanterie par division) que la plupart des nations avaient abandonné pour un modèle "triangulaire" à 3 régiments, rendu possible par l'augmentation de la puissance de feu.

Les 1e et 2e brigades seraient dès lors des brigades d'infanterie non endivisionnées ?

On pourrait imaginer l'absence de corps de cavalerie au vu de la mission demandée mais, à première vue, l'absence de cavalerie est complète.
Quand on est à l'offensive... c'est assez délicat.

Je donne ici les références utilisées dont une concerne spécifiquement la 4e armée (Wikiblog en français)
On voit qu'on lui a adjoint plus tard des brigades de cavalerie.

Sites de référence

Article de la revue ARTE-MIS en roumain décrivant en détail les opérations du 22 juin au 3 juillet et les difficultés rencontrées

https://www.art-emis.ro/istorie/razboiu ... iulie-1941

Article en roumain de la revue Historia sur l’équipement de l’armée roumaine au début des opérations
Bien qu'il soit en roumain il présente de nombreuses photographies de l'armement

https://historia.ro/sectiune/general/do ... 85155.html

Wikiblog en français sur la 4e armée roumaine et son ordre de bataille au cours des différentes phases

https://www.wikiblog.wiki/fr/4._Armee_(Rum%C3%A4nien)

Autre référence:

Revue en roumain de documents de guerre allemands et roumains sur la campagne de Bessarabie (document pdf)

Bessarabie.jpg (121.79 Kio) Vu 363 fois

La carte montre en vert la Bessarabie interbellique telle que cédée de force à l’Union Soviétique après le pacte Ribbentrop -Molotov en1940.
On distingue bien Ismail , sous occupation soviétique au moment des événements relatés par le carnet

Le trait rouge indique la République de Moldavie actuelle qui a donc été amputée de larges portions de territoire, la privant d'accès à la mer.
Les parties sud et nord ont été incorporées dans la République Soviétique d'Ukraine et n'ont pas été restituée au moment du démantellement de l'Union Soviétique. Dans l'Ukraine moderne les droits de la minorité roumaine ne sont guère respectés: fermeture de nombreuse écoles en langue, roumaine, tracasseries vis-à-vis de l'église orthodoxe, intimidations et actions violentes par des nationalistes extrémistes.

La Transnistrie, en blanc sous le trait rouge, avait été ajoutée à la République Socialiste de Moldavie et, étant habitée par une majorité de Russes a fait sécession à la chute de l'Union Soviétique après un conflit armé et une intervention Russe.Elle a un statut assez compliqué.La Russie a fait savoir récemment qu'elle n'envisageait pas son intégration.

Ceux qui veulent des détails sur ce régions à l'histoire compliquée trouveront des wikipedia très complets sur la Bessarabie et la Transnistrie

Guerre de position du 22 juin au 3 juillet 1941

Dans cet épisode je transcris les informations données par les documents roumains sur la bataille des bouches de Danube menée par le 2e corps d’armée de la 4e armée roumaine et , au niveau plus local par le carnet de guerre du lieutenant Posa.

Durant cette période aucun progrès significatif n’a pu être enregistré étant donné la forte résistance soviétique sous-forme de bombardements d’artillerie terrestre et navale et d’attaques d’infanterie.
L’armée allemande s’est rendu compte que les Soviétiques ne céderaient pas sans une sérieuse résistance et n’a déclenché l’opération München conjointe que le 3 juillet. Il avait été décidé dès le printemps que l’effort principal du groupe armée sud de Von Runstedt porterait au nord et les moyens mécanisés y avaient été concentrés.L’OKH considérait le Prut comme une barrière trop forte pour une offensive mécanisée et le potentiel offensif de l’armée roumaine comme peu élevé. Par conséquent il fallait attendre de progresser au nord avant de déclencher l’opération München

Le 2e corps d’armée reçoit pour instruction le 21 juin de rester sur la défensive mais d’avoir une attitude agressive donc de préparer les opérations suivantes :
-bombardements d’artillerie sur des objectifs ennemis
-incursions pour capturer des prisonniers et identifier les forces ennemies

Le 22 juin à 3h les hostilités commencent par des bombardements et l’aviation traverse la frontière à 4h.

A 3h les premiers avions allemands et roumains de reconnaissance traversent le Prut et à 3h15 les premiers bombardiers roumains décollent des aérodromes de Moldavie roumaine avec pour objectif les bases aériennes de Bessarabie tandis que l’artillerie a commencé à tirer sur les positions de l’armée rouge. Les bombardiers détruiront 47 avions sur les aérodromes

Comme l’indique le carnet de guerre l’artillerie soviétique et des moniteurs ont en réponse bombardé les positions roumaines et l’infanterie soviétique a procédé à des attaques à partir d’Ismail en traversant le bras de Chilia.

Voici ce que relate le lieutenant Posa :

Le 21 juin il était en position depuis 3 semaines.Il indique :

Le peloton que je commandais avait pour mission de surveiller un front de 2 km de terrain marécageux, couvert de saules et de roseaux. Derrière nous s'étendait le Delta, complètement inondé par le débordement du Danube. Compte tenu de la nature du terrain où se trouvait notre peloton, le déplacement ne pouvait se faire que par bateau, avec le seul bateau que nous avions – alors que le point de commandement de la compagnie se trouvait en face de la ville d'Ismaïl.

Le 22 juin , en pleine nuit : un messager lui apporte l’ordre suivant :
« À 03h00, ouvrez le feu, nous sommes en guerre avec les Russes »

Comme l’adversaire ne se manifeste pas ils épargnent les cartouches

A 4h il observe des bombardements roumains sur l’autre rive, sans réaction de l’ennemi.

Vers 7h 30 la position est soumise à un bombardement d’une demi-heure dont la moitié des obus n’explose pas sans doute à cause du sol boueux. Pensant qu’il n’y a pas de survivants les soviétiques tentent une traversée en barque mais renoncent rapidement face aux tirs du peloton

la mission initiale reçue du régiment était : « surveillance, alerte, puis repli ».

Elle était remplie et ils se sont repliés en marchant dans les marais vers le village de Ciatalchoi.

Il indique :

Ici, à Ciatalchioi, il y avait encore une compagnie de notre régiment 33 Dorobanti, qui avait un contact téléphonique avec le régiment.
De sorte que environ une heure plus tard nous avons été appelés, trois officiers et un chef de peloton, à la maison où était hébergé le capitaine, qui nous a annoncé :
- Messieurs les officiers, j'ai reçu l'ordre du général de division de réoccuper immédiatement les positions abandonnées ; sinon, les officiers seront jugés et condamnés selon les lois militaires en temps de guerre.

Après avoir réquisitionné des barques le peloton est donc retourné cette position intenable où il est arrivé après minuit après avoir subi en chemin sans dommage des tirs d’artillerie. Ils ont été repérés par un éclaireur civil au service des soviétiques.

Le village de Lascar sur leur droite devait également être réoccupé par d’autres pelotons mais ils ne savaient pas que leur approche avait été observée depuis Ismail par les Russes qui les ont acceuillis par des tirs de fusil et de mitrailleuse, tuant ou blessant de nombreux soldats.

Un moniteur blindé russe a remonté le Danube pour leur couper la retraite. Les soviétiques ont mis à l’eau des barques pour les attaquer en les protégeant par des tirs de mitrailleuse. Le peloton a riposté à coup de fusil mitrailleur mais la sentinelle chargée de surveiller le flanc droit avait quitté son poste ce qui a permis à des fantassins ennemis de s’infiltrer et de donner l’assaut à coup de grenades offensives. Le lieutenant a été blessé et était en cours d’évacuation par barque lorsqu’il a été capturé. La plupart de ses hommes ont été tués et quelques uns capturés.

La tentative du 2e corps d’armée de forcer le Danube n’a donc pas réussi à cause des puissantes réactions de l’ennemi sous forme de bombardements par l’artillerie ou par des moniteurs et d’attaques d’infanterie. Il ne parviendra à traverser qu’après le 20 juillet avec l’aide d’unités navales.
Dans cette phase le 2e corps d’armée perdra plus de 10000 hommes, tués, blessés ou disparus.
Il restera dans la zone, appuyé par des unités de la marine, afin de protéger la côte.

[Dog Red]

Belle évocation !

EDIT : les ordres donnés expliquent l'absence de cavalerie. On est dans un contexte plutôt positionnel en attendant de tâter du dispositif ennemi.

2km de front pour un unique peloton c'est symbolique, même en terrain marécageux. Ça doit faire à la louche +/- 1 homme/70m linéaire ! Autant dire rien.