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La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 14:51
de ClaudeJ
L’auteur James Holland a publié en avril dernier un article sur HistoryNet, If Only More People Had The Same Moral Courage as This German Captain, que je vous ai traduit ci-dessous.

Dans cet article, il rapporte le cas d’un officier de la Wehrmacht, Josef Sibille, qui a répondu à son commandant de bataillon que ni lui ni personne de sa compagnie ne tuerait de Juifs. C’était en 1941 sur le dit “front Est”.
Se basant sur cet exemple, il écrit “(...) qu'il n'est pas toujours obligatoire d'obéir aux ordres lorsqu'il s'agit de prendre une part active à l'Holocauste. En d'autres termes, les Allemands ont eu le choix.

-> Connaissez-vous d’autres exemples de cette attitude ? Quelles-en ont été les conséquences ?
-> Et qu’en pensez-vous : était-ce finalement un choix individuel ?




If Only More People Had The Same Moral Courage as This German Captain, the VF :

"Je ne faisais qu'obéir aux ordres." C'est un refrain bien connu des nazis accusés de crimes de guerre, et une excuse qui suggère qu'ils n'avaient pas le choix en la matière. Certes, il est largement admis que si un soldat refusait d'exécuter un prisonnier, il serait abattu pour avoir désobéi à l'ordre et le prisonnier serait quand même exécuté. En d'autres termes, il était inutile de prendre une position morale, car deux personnes finissaient par mourir au lieu d'une.

L'autre jour, j'ai eu une conversation sur cette question du choix avec Waitman Wade Beorn, anciennement affecté au 10e régiment de cavalerie US et maintenant professeur d'histoire au Royaume-Uni. Il a réalisé un travail fascinant - bien que très macabre - sur l'Holocauste sur le front Est, en examinant les crimes commis par l'armée régulière, la Wehrmacht, plutôt que par les Einsatzgruppen dirigés par les SS.

Waitman m'a raconté les opérations du 1er bataillon du 691e régiment d'infanterie allemand en Biélorussie en octobre 1941. Le commandant du bataillon, le major Alfred Commichau, avait reçu l'ordre de rassembler les Juifs de la région et de les exécuter tous, hommes, femmes et enfants. À l'époque, ses trois compagnies étaient stationnées dans différentes villes, et il a donc donné des ordres à chaque commandant de compagnie. Le premier lieutenant Hermann Kuhls, commandant de la 2e compagnie, était membre du parti nazi et faisait également partie de la SS, bien qu'il ait servi dans la Wehrmacht. Antisémite enragé, il a immédiatement obtempéré, exécutant tous les Juifs de sa juridiction avec enthousiasme et brutalité.

Le commandant de la 3e compagnie est le capitaine Friedrich Nöll. Il avait reçu l'ordre de rassembler les 150 Juifs de la petite ville de Krucha, où lui et sa compagnie étaient stationnés, et d'éliminer tout le monde. Cela a provoqué chez Nöll "une grande confusion et une grande agitation", comme il l'a dit. Il pensait que c'était mal, et il ne voulait pas participer à un tel acte. Cependant, son premier sergent, Emil Zimber, affirmait que les Juifs soutenaient les partisans - des troupes soviétiques irrégulières opérant derrière les lignes allemandes - et qu'ils étaient donc des partisans et, par conséquent, une cible légitime. Ce lien entre les Juifs et les partisans était, bien sûr, une absurdité totale, mais il s'inscrivait parfaitement dans l'idéologie nazie déformée sur la menace du Juif-Bolchevique - quelque chose qui avait été récemment "confirmé" lors d'une conférence d'entraînement de la Wehrmacht dans la ville biélorusse de Mogilev. C'était d'autant plus absurde qu'à cette époque, il n'y avait pas de réelle menace partisane. Néanmoins, si elle devait être impliquée dans de telles opérations, la Wehrmacht devait convaincre ses rangs que les Juifs représentaient un danger légitime. En tout cas, le sergent Zimber n'a aucun scrupule et exécute l'ordre au nom de Nöll, tandis que son commandant de compagnie reste à l'écart et ne participe pas directement au massacre.

Le commandant de la 1ère compagnie a reçu le même ordre. Le capitaine Josef Sibille, un enseignant de 47 ans, a passé ce qu'il a appelé "des heures d'angoisse et une nuit sans sommeil" à se demander ce qu'il devait faire, avant de dire à son commandant de bataillon que ni lui ni personne dans sa compagnie ne tuerait de Juifs. Le commandant Commichau lui a dit qu'il devait être plus ferme et lui a donné trois jours pour exécuter l'ordre. Mais Sibille refusa toujours, disant à Commichau qu'il n'était pas prêt à se déshonorer, lui ou sa compagnie.

Sibille a-t-il été fusillé pour avoir désobéi à un ordre direct ? Non. Il n'a pas non plus été traduit en cour martiale ou puni de quelque façon que ce soit. Lorsque Sibille se présente à Commichau cinq jours plus tard, le commandant du bataillon ne mentionne même pas ce moment d'insubordination. Par la suite, Sibille a déclaré avoir entendu dire qu'il avait été considéré comme "un peu mou". C'était la seule conséquence de son refus d'assassiner des innocents.

Comme Waitman l'a souligné, il est remarquable que trois compagnies du même bataillon aient reçu le même ordre d'assassiner des Juifs, mais que chaque commandant de compagnie ait réagi différemment. Il est clair qu'il n'est pas toujours obligatoire d'obéir aux ordres lorsqu'il s'agit de prendre une part active à l'Holocauste. En d'autres termes, les Allemands ont eu le choix. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ma conversation avec Waitman pendant les jours qui ont suivi. Si seulement plus de gens avaient eu le même courage moral que le capitaine Sibille. ✯

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 15:56
de Halhin Gol
intéressant et un off Sibille est un nom d'origine française: un descendant de huguenot français?

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 17:11
de Prosper Vandenbroucke
Bonjour et merci Claude,
Je ne sais pas s’il s’agit du même (je le pense bien) mais si il s’agit de lui, je pense qu’il appartenait à la 1ère Compagnie du 691 I.R. de la 339.I.D. laquelle était en octobre 1941 en Biélorussie dans le secteur de Mogilev, Orscha, et Vitebsk
https://www.ushmm.org/m/pdfs/context-sheet-8.pdf
Je ne connais pas de cas similaire.
Bien amicalement
Prosper ;) ;)

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 19:51
de pierma
Halhin Gol a écrit:intéressant et un off Sibille est un nom d'origine française: un descendant de huguenot français?

Dans un de ses ouvrages - j'ai bien entendu oublié lequel - Gilles Perrault exaspéré par la fréquence de noms d'origine française qui lui passent sous les yeux, commente que la révocation de l'Edit de Nantes a décidément constitué un erreur dramatique. (D'autant que ceux qui ont émigré n'étaient pas réputés incultes... Déjà, en bons huguenots lisant eux-mêmes la Bible... hé bien ils savaient lire !)

Notant le nom d'un officier de la Gestapo - mettons "Lemarque", par exemple - il signale l'existence de trois familles du même nom dans son paisible village du Cotentin ! :shock:

Il m'est arrivé souvent de sursauter de la même façon. Tiens, par exemple, que dire d'un général "Von François" ? :?: (Je crois qu'il a fait partie des vainqueurs de Tannenberg pendant la Grande Guerre.)

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 20:42
de thucydide
Le régiment faisait partie de la 339 e division d'infanterie, issue de la 14e welle.
Décrite ici, elle sera dissoute et intégrée après des suites de lourdes de pertes dans les korps abtaillung, le C.

http://wikimonde.com/article/339e_divis ... lemagne%29

Ici une description de la 14e vague de levée et l'organigramme des divisions , à noté que la 339e n'avait son régiment d'artillerie mais juste un bataillon, insuffisant pour le combat en première ligne.

http://www.niehorster.org/011_germany/4 ... welle.html

Pour lire la légende:(très important)
http://www.niehorster.org/011_germany/s ... ls_41.html

D'où son positionnement en arrière?

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 22:37
de ClaudeJ
Prosper Vandenbroucke a écrit:Bonjour et merci Claude,
Je ne sais pas s’il s’agit du même (je le pense bien) mais si il s’agit de lui, je pense qu’il appartenait à la 1ère Compagnie du 691 I.R. de la 339.I.D. laquelle était en octobre 1941 en Biélorussie dans le secteur de Mogilev, Orscha, et Vitebsk
https://www.ushmm.org/m/pdfs/context-sheet-8.pdf
Je ne connais pas de cas similaire.
Bien amicalement
Prosper ;) ;)


Absolument Prosper ! Ce document mentionne en plus l'ouvrage de Waitman Wade Beorn : Marching into Darkness: The Wehrmacht and the Holocaust in Belarus (Cambridge, MA: Harvard University Press, 2014).

Merci pour les liens Jean-Marc. Dans son "Operation Barbarossa: the Complete Organisational and Statistical Analysis, and Military Simulation, Volume IIA" (2013), Nigel Askey qualifie les divisions de la 14e vague de "statique".

La 339e ID aurait eu pour mission la sécurité des lignes de communication derrière le groupe d'armée Centre.

Les principales caractéristiques des ID de la 14e vague seraient :
- des Pak36 dans les pelotons anti-chars ;
- les obusiers de campagne sont d'un type ancien, leFH 16s de 10.5cm.
- le parc automobile est surtout de réquisition des pays occupés (en France principalement)
- il leur a fallu un temps certain avant d'atteindre l'effectif prévu par les TOE, jusqu'à 6 mois.

Et bien d'autres particularités (dont pas de fanfare régimentaire ! )

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 10 Juin 2021, 23:07
de alfa1965
pierma a écrit:
Halhin Gol a écrit:intéressant et un off Sibille est un nom d'origine française: un descendant de huguenot français?

Dans un de ses ouvrages - j'ai bien entendu oublié lequel - Gilles Perrault exaspéré par la fréquence de noms d'origine française qui lui passent sous les yeux, commente que la révocation de l'Edit de Nantes a décidément constitué un erreur dramatique. (D'autant que ceux qui ont émigré n'étaient pas réputés incultes... Déjà, en bons huguenots lisant eux-mêmes la Bible... hé bien ils savaient lire !)

Notant le nom d'un officier de la Gestapo - mettons "Lemarque", par exemple - il signale l'existence de trois familles du même nom dans son paisible village du Cotentin ! :shock:

Il m'est arrivé souvent de sursauter de la même façon. Tiens, par exemple, que dire d'un général "Von François" ? :?: (Je crois qu'il a fait partie des vainqueurs de Tannenberg pendant la Grande Guerre.)

Il y a quelques noms de généraux allemands descendant des huguenots ou des aristocrates exilés
viewtopic.php?f=77&t=43623&hilit=+HUGUENOTS#p567951

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 11 Juin 2021, 12:10
de pierma
Merci Alfa pour ce lien que j'ai épluché avec intérêt.

A noter qu'après la guerre de Sept Ans, et avant la Révolution, il y a eu des Français du Haut-Doubs et du Haut-Jura qui sont partis en Prusse grâce à la promesse de se voir attribuer des terres. (J'ignore si ça a pu toucher d'autres régions...) Le Grand Frédéric remettait la Prusse en état, et la repeuplait, après les dégâts de la guerre de Sept Ans. Les malheureux se sont vus attribuer des bouts de landes peu fertiles, dans le meilleur des cas, ou ont été embauchés sans autre choix comme valets de ferme. Une grande partie sont revenus dépités au village.

Je crois que c'est de cet épisode qu'est née l'expression "travailler pour le roi de Prusse", très usitée chez nous encore aujourd'hui. Mais c'est plus probablement de la paix sans annexion signée par un Louis XV vainqueur contre l'Autriche - il ne voulait pas créer de rancune - tandis que Frédéric II gardait, lui, la belle Silésie : nos soldats avaient donc "travaillé pour le roi de Prusse".

Il est probable que les paysans franc-comtois qui sont finalement restés en Prusse y ont laissé des noms français.

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 12 Juin 2021, 20:51
de Alfred
::mortderire:: Sous Louis XVI ils ont eu l'occasion au même tarif de travailler pour Washington.....

Re: La Shoah par balles, une question de choix ?

Nouveau messagePosté: 15 Sep 2023, 15:24
de orpo57
La Shoah par balles a été le fait des Einsatzgruppen der SIPO-SD, des bataillons de l'Ordnungspolizei et des auxiliaires (Hiwis, Schumas..) voire de la Geheime Feldpolizei (la gestapo de la Wehrmacht) ou de la Feldgendarmerie (prévôté des forces armées). il y a eu des exactions de la parts d'unités de la Wehrmacht affectées à la lutte anti-partisans mais cela ne rentrait pas directement dans le cadre du génocide contre les juifs. l'ouvrage "des hommes ordinaires" sur le 101e bataillon de police de réserve explique bien le processus du "choix" qui resta une option marginale dans les forces armées allemandes.