SCHIFFERS Michel a écrit:Mon idée dans l'article de juillet dernier, c'était de relancer un débat qui me semble ''atone'' et ''pauvre'' en explications véritables concernant le déroulement de Barbarossa.
En tout cas, les explications ''mainstream'' - quand bien même elles seraient estampillées du nom de certains historiens très connus, et parfaitement respectables par ailleurs, comme Glantz et consorts - ne me satisfont pas personnellement.
Je ne dis pas qu'ils ont tort, je dis seulement qu'ils sont ''trop courts'' dans leurs explications, car - notamment - ils n'abordent même pas ce qui ne ''cadre'' pas avec leurs théories : ils l'ignorent purement et simplement...
Donc, j'ai essayé de (pro)poser - en les argumentant - quelques questions pertinentes qui ne devraient pas manquer d'agiter les esprits curieux...
Ces questions restent ''ouvertes'' et ne peuvent être balayées d'un simple revers de la main, sinon il n'y a pas de débat, donc pas d'utilité à nos échanges...
Mais il faut avoir envie de se poser de telles questions...
Bonjour Michel,
Donc pour répondre ( provisoirement ? ) aux questions que vous posez dans votre article.
En premier lieu, les conditions de la nomination de Joukov à la tête de l'EM de l'armée rouge ( Timochenko en est le commissaire à la défense ) :
Vous évoquez la démonstration faite par Joukov de la faiblesse de la stratégie offensive lors des wargames tenus à Moscou à la fin de 1940/début 1941, c'est un point très litigieux car il y a eu en fait ( voir à ce sujet The Russian way if war de Harrison, Stalin's général de Geoffrey Roberts, Joukov de Lopez et Otkhmezuri et The Red Army de Earl F Ziemke ) 2 ( voire 3 ) wargames "joués" entre Joukov et Pavlov ( assisté de Kuznetsov )
Dans ce domaine, le point important n'est donc pas la demi-défaite ( car contrairement à ce qui a peut être écrit, Joukov n'a pas anticipé le "performance de Bock en juin/juillet 1941 ) infligée par Joukov à Pavlov lorsque le premier "jouait" allemand face à une contre-offensive de Front Ouest soviétique mais plutôt la performance obtenue par Joukov à la tête du front du sud-ouest ( district militaire de Kiev ) où Joukov non seulement repousse l'assaut allemand mais envahit à la suite la Pologne orientale et à partir de celle-ci est chargé d'exploiter en direction de l'Oder et d'envahir la Hongrie et la Roumanie
La conclusion de ces wargames est donc double :
a) ces wargames aboutissent à la destitution de Meretsov et à la nomination de Joukov à sa place
b) et surtout ces wargames valident l'option sud pour le placement du centre de gravité du dispositif soviétique
L'idée que Joukov ait été le promoteur d'une stratégie défensive en profondeur ne peut être retenue car justement on sait maintenant qu'il a proposé ( par écrit ) à Staline une stratégie de frappe préemptive en mai 1941 ( mêmes sources que précédemment ) via le fameux document "considérations"
En ce qui concerne les éléments et indices factuels qui permettraient d'identifier le projet secret de Joukov, je ne partage pas votre analyse :
- la plupart des effectifs qui doivent être mobilisés lors du plan de mobilisation MP-41 sont destinés au 1ier échelon stratégique et non au second ( 6.5 millions d'hommes sur 8 millions d'hommes destinés à être mobilisés dans le plan MP-41 sont destinés au premier échelon ( cf Glantz Stumbling Colossus page 10 )
- le résultat final, c'est l'affectation de 174 divisions ( sur 344 divisions prévues dans le plan de mobilisation MP-41 ) aux districts militaires occidentaux de premier échelon laissant seulement 170 divisions pour les autres districts frontaliers ( extrême orient notamment ) et pour les réserves
- ces réserves comportent 57 divisions dans le second échelon stratégique qui se décompose d'une échelon de 4 armées en cours de déploiement ( au 22 juin ) et de 3 autres armées en cours de constitution ( seule la 20ième armée de ce second groupe est réellement déployée au 22 juin )
Bref difficile d'affirmer que le gros des forces soviétiques est déployé en réserve : sur 228 divisions destinées à engager les forces allemandes, seules 57 sont en réserves et 171 sont exposées au sein du premier échelon ( cf Glantz déjà cité pages 10 et 11 notamment ) le 22 juin ( et 83 autres couvrent les autres frontières , en particulier celle avec le Japon )
- en terme d'artillerie, cela donne 87 régiments d'artillerie ( 52 de corps d'armée et 35 de haut commandement ) autonomes pour le premier échelon contre 17 ( 13 de corps d'armée et 4 de haut commandement ) pour le second échelon stratégique
- en terme de blindés, 60 divisions blindées et mécanisées au sein du premier échelon contre 15 au second échelon ( et en termes de chars modernes ( cf Glantz page 117 ), cela donne 1475 chars type T34 et KV1 déployés dans le premier échelon sur un total de 1861 soit 79% des chars modernes déployés au sein du premier échelon )
- en terme d'aviation : 53% des avions sont déployés au sein du premier échelon
On peut donc considérer justement que l'essentiel des effectifs, des grandes unités, de l'artillerie et des chars modernes est déployé au sein du premier échelon
En conclusion, la planification et l'analyse des moyens déployés permettent de conclure qu'il n'y a pas de stratégie en profondeur et que l'armée rouge se prépare à un choc sur la frontière ( et cela que ce soit au profit d'une "stratégie" offensive, préemptive ou contre-offensive )
Cordialement
Franck