carlo a écrit:tietie007 a écrit:Sur le cas des principales victimes de ces purges, à commencer par le Maréchal Toukhatchevski, il adoptait une position analogue :
"Le moment venu, de quel côté aurait-il été ? demandait-il. C'était un homme plutôt dangereux. Je doute qu'il ait été totalement de notre côté quand la situation est devenue grave, car c'était un homme de droite. Le danger de droite était celui qui était le plus grave à l'époque. Et beaucoup d'hommes de droite ne se rendaient même pas compte qu'ils l'étaient; ils l'étaient malgré eux."
(Propos tiré du livre d'Albert Resis, Molotov Remembers : Inside Kremlin Politics, Chicago, Ivan R.Dee, 1993)
L'expression de Molotov colle assez bien avec la notion des purges conçues par Staline. Fonction pédagogique ou d'exemplarité dans le cadre des procès publics, fonction de renouvellement des élites et de mise au pas des ennemis potentiels au régime, dans le cas de l'élimination de Toukhatchevski, puisque le procès fut à huis-clos. Innocent ou coupable, là n'était pas la question, l'objectif était de consacrer le primat du politique sur l'armée rouge, et notamment éliminer un Maréchal qui était d'une origine non prolétarienne, qui avait eu de nombreux contacts à l'étranger et qui avait une indépendance d'esprit qui ne correspondait pas à la servilité qu'attendait Staline. C'est ce que dit d'ailleurs Pavel Soudoplatov, un hiérarque du NKVD, à propos du militaire. Le Maréchal, en remettant en cause la compétence de Vorochilov, alors Commissaire à la Défense, créature de Staline, et incompétent notoire, avait commis un crime de lèse-majesté ...puisque dans un régime totalitaire la fidélité au Chef est bien plus importante que la compétence !
Ce passage est dans l'édition française (p.45),dans une traduction un peu différente. Ceci dit je ne vois pas très bien comment cette citation vous fait dire que Molotov "pense le Maréchal était coupable sans le savoir"? C'est vraiment une interprétation assez large de ses propos et qui me semble avoir pour seul qualité de "coller" avec votre argumentaire!
La citation de Molotov se poursuit ainsi: "Il y avait chez nous dans les années 20 une couche extrêmement mince de dirigeants du parti, et même cette couche se fissurait constamment: tantôt les droitiers, tantôt les nationalistes, tantôt l'opposition ouvrière... On peut s'étonner que Lénine ait pu résister à tout ça. Lénine est mort, eux sont tous restés et ont donné du fil à retordre à Staline. Khrouchtchev en est la preuve. Il est issu des droitiers, mais il jouait les léninistes: "Papa Staline! Nous sommes prêts à donner notre vie pour toi, on les exterminera tous!" Mais dès que l'étau s'est desseré, le vieux fond, en lui, a repris le dessus." (op.cit. p.46)
Le propos de Molotov est donc très général, il prend Toukh. comme un exemple de "droitier". A-t-il tort? Les officiers français, dont De Gaulle, qui le rencontrent à Ingolstadt, le décrivent comme un bon camarade, nationaliste russe un peu exalté. Mais je ne vais pas relancé un débat sur Toukh.
Je vous suis un peu dans ce que vous dites sur les procès, mais dites-moi, l'armée rouge n'était-elle qu'un nid d'incompétents? D'autres pays ont-ils mieux réussit à offrir dès le début des hostilités un corps d'officiers irréprochables?
Je n'ai pas dit que l'armée rouge était un nid d'incompétents, mais que Vorochilov, lui, l'était. D'ailleurs, je pense plutôt que l'armée rouge, dans les années 20 et 30, avait des théoriciens remarquables, comme Toukha, mais aussi Frounzé. Les prodromes de la Blitzkrieg existait déjà dans l'armée rouge avant qu'Hitler n'arrive au pouvoir, et certaines armes, comme les paras, ont été inventées par les officiers soviétiques.
"Et beaucoup d'hommes de droite ne se rendaient même pas compte qu'ils l'étaient; ils l'étaient malgré eux."
C'est par rapport à cette incise de Molotov que j'ai souligné que la culpabilité ou l'innocence n'était guère importante pour décider de l'élimination d'un suspect. D'un point de vue stalinien, la culpabilité n'a pas le même sens que nous l'entendons aujourd'hui. En soi, un homme issu de la petite-bourgeoisie, comme Toukha, était déjà coupable, car il ne pouvait, un jour, que reprendre la logique petite-bourgeoise de sa classe. Lénine et surtout Staline ont essentialisé les caractères de classe, qui, comme les gênes, font partie, nécessairement, de la fiche d'identité d'un homme. Le lyssenkisme ne sera que l'avatar biologique absurde de cette approche essentialiste, qui fixait à jamais les déterminismes de classe !