Post Numéro: 44 de Nicolas Bernard 05 Sep 2008, 16:24
Voici à mon avis comment les choses se sont passées.
Staline veut satelliser la Pologne. Dès lors, l'A.K. est désarmée, ses cadres arrêtés, au fur et à mesure de la "libération" du territoire, ce qui prouve qu'il ne se gêne pas pour liquider benoîtement ses opposants sans l'aide des nazis. Dans ces conditions, a priori, il peut s'emparer de Varsovie, et procéder vis-à-vis de l'Armée de l'Intérieur de la capitale de la même manière qu'à Lublin ou Wilno.
Cependant, il ne néglige pas l'aspect symbolique de Varsovie. C'est la capitale, le coeur politique, historique, culturel de la Pologne. Si les gens ignorent l'existence des autres cités polonaises (hormis Dantzig...), il n'en est pas de même ici.
Or, l'armée allemande semble en déroute, et de toute évidence Rokossovski lui a assuré que Varsovie allait bientôt tomber.
D'où l'idée qui lui vient à l'esprit : pas question de gâcher une victoire militaire contre les Allemands en donnant l'ordre d'arrêter ses troupes, mais pousser la branche communiste de la Résistance de Varsovie à prendre les armes, de manière à faire passer la prise de la capitale, débordée au nord et au sud, pour un coup d'éclat desdits communistes, ce qui leur donne une immense légitimité politique à l'échelle nationale, et même internationale.
En soi, c'est habile, dans la mesure où le plan évite les conséquences néfastes, sur le plan militaire voire politique, d'un ordre d'arrêt. Le gouvernement en exil à Londres et l'A.K., dans la mesure où ils ont été devancés, subissent une atteinte de trop à leur prestige : les véritables héros de la guerre seront leurs rivaux "rouges".
Et dès lors, Staline peut procéder tranquillement au désarmement et à l'arrestation des cadres de l'A.K., tandis que les membres de la Résistance communiste, appuyés par le N.K.V.D., quadrillent les rues libérées de Varsovie.
Mais deux imprévus interviennent : d'une part, l'armée allemande tient solidement la zone de Varsovie ; d'une part, l'A.K. prend les armes le 1er août 1944. L'Armée rouge est stoppée, les communistes locaux devancés.
Staline est pris de court. Mais il profite de l'arrêt - purement involontaire - de ses troupes pour concrétiser leur pause. Alors que Rokossovski lui signale qu'il peut reprendre l'offensive au 25 août 1944, il repousse la suggestion, et se contente d'envoyer au casse-pipes des soldats polonais dans une action parfaitement inutile sur le plan militaire le mois suivant, alors qu'il est déjà trop tard. Il attend cinq semaines pour envoyer des armes aux insurgés, et dans des conditions telles qu'elles devenaient inutilisables ou tombaient aux mains des Allemands.
En ce sens, Staline n'est pas à l'origine de l'arrêt de ses forces devant la capitale polonaise, mais il les a sciemment clouées sur place par la suite.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).