Bonne remarque, en effet, mais il s'agissait d'abord et avant tout de réfuter l'imbécile thèse du "brise-glace", c'est à dire celle d'une invasion stalinienne de l'Europe que Hitler aurait, sciemment ou non, devancée.
A dire vrai, Hitler savait fort bien qu'il jouerait le rôle de l'agresseur. C'était son désir depuis vingt ans.
Il annonce à ses généraux à la fin du mois de juillet 1940 son intention d'en finir avec l'U.R.S.S., même si certains témoignages tardifs évoquent de telles déclarations un peu plus tôt, du 2 juin 1940 au début du mois suivant. Il a laissé le
Generaloberst Franz Halder, chef d'état-major de l'
O.K.H.,
plancher sur un projet d'offensive à l'Est dès le mois de mai, en pleine campagne de France.
Le
Führer, au fond, ne fait que
concrétiser ses vieux rêves de conquête coloniale exposés dans Mein Kampf (lire notamment les chapitres 13 et 14 de cet ouvrage) :
la destruction de la Russie communiste assurera à l'Allemagne un espace vital, outre de mettre un terme à l'existence d'un régime inféodé aux Juifs, le marxisme n'étant qu'une émanation de la juiverie.
En 1940, l'occasion est favorable. La France a été
vaincue. L'Angleterre n'a pas les moyens de s'opposer aux ambitions du
Reich, pas plus que les Etats-Unis, neutres et lointains, d'autant que le dictateur nazi
mise sur un traité de paix avec le gouvernement britannique.
Mais parce qu'il doit absolument
convaincre ses généraux de marcher avec lui, et prévoyant que sa rhétorique colonialiste les laissera de marbre, il use d'une autre tactique verbale. Il justifie la guerre contre l'U.R.S.S.
par la nécessité de mettre à terre l'Angleterre : tant que cette dernière espèrera, à tort ou à raison, une possible intervention de la Russie, elle ne baissera pas les armes - voir John Lukacs,
Le duel Churchill-Hitler, Robert Laffont, 1990, p. 262-266.
Hitler fait également valoir, tant à ce moment que par la suite, le danger que représente l'U.R.S.S. sur le dos de l'Allemagne. Staline n'a-t-il pas annexé les pays baltes et la Bessarabie ? N'a-t-il pas tenté de satelliser la Finlande ? Mais il s'agissait de conséquences logiques et prévisibles du partage de l'Europe orientale qu'avaient représenté le pacte germano-soviétique et ses suites de l'automne 1939. Qui plus est, il était facile de remarquer que si vraiment Staline voulait nuire au
Reich, il lui aurait suffi de s'attaquer également à la Pologne. A cet instant, la
Wehrmacht enfoncée à l'Ouest n'avait aucun moyen de résister à une telle invasion.
Le
Generalmajor Walter Warlimont, chef des opérations de l'
O.K.W., a témoigné dans ses Mémoires du
scepticisme des officiers d'état-major à l'annonce, par Hitler et Jodl, des intentions du
Führer. Il relate que rien ne justifiait une guerre sur deux fronts, ce alors que
"les livraisons russes en faveur de l'industrie de guerre allemande avaient eu lieu ponctuellement et entièrement" (Walter Warlimont,
5 ans au G.Q.G. de Hitler, Elsevier, 1975, p. 85). Les répliques de Jodl aux objections des militaires n'ont paru nullement convaincantes, ajoute-t-il.
Ces officiers n'en ont pas moins obéi aux ordres.
Le
Feldmarschall Friedrich Paulus,
Generalleutnant en 1940, a ainsi participé à la conception du plan d'agression de l'U.R.S.S. Voici un extrait de sa déposition au procès de Nuremberg (
audience du 12 février 1946, Nuremberg Trial Proceedings, Vol. 7, p. 281-282 - la traduction française est celle avalisée par la section française du Tribunal) :
Dr. Nelte (défenseur du Feldmarschall Wilhelm Keitel, ancien chef de l'O.K.W.). - Si j'ai bien compris, vous avez dit hier que vous saviez dès octobre 1940 que Hitler voulait attaquer l'Union soviétique ?
Témoin Paulus. - J'ai déclaré hier que ce plan constituait la préparation d'une agression.
Dr. Nelte. - Vous saviez que c'était bien là l'intention de Hitler ?
Témoin Paulus. - De la façon dont cet ordre nous a été donné, nous devions conclure que ce travail théorique serait suivi d'une mise à exécution.
Dr. Nelte. - En outre, vous avez dit hier, si je vous ai bien compris, qu'aucune information du service de contre-espionnage ne pouvait faire supposer que l'Union soviétique avait l'intention d'attaquer ?
Témoin Paulus. - Parfaitement.
Dr. Nelte. - Quelqu'un a-t-il abordé ces questions dans les milieux de l'Etat-Major ?
Témoin Paulus. - Oui, on m'en a parlé. On a également élevé de sérieuses objections à ce sujet, mais aucun renseignement concernant des préparatifs de guerre du côté de l'U.R.S.S. n'a été porté à ma connaissance.
Bref, aucun des planificateurs de Barbarossa n'a eu le sentiment d'élaborer une offensive préventive. C'est d'ailleurs surtout à leur égard que Hitler évoquera l'argument - très napoléonien - du "coup indirect contre l'Angleterre".
Aux exécutants, en revanche, il semble avoir privilégié l'argument, somme toute frauduleux, de la
menace soviétique, ainsi que le relatera le
Feldmarschall Von Runstedt à Basil Liddell Hart (
Les généraux allemands parlent, op. cit., p. 189). Mais là encore, le mensonge n'a pas convaincu. Les généraux allemands, et en premier lieu Von Runstedt, ont eu en effet tout le loisir d'examiner les Soviétiques au printemps 1941,
et ne constateront aucun préparatif d'invasion - voir également Heinz Guderian,
Souvenirs d'un soldat, Plon, 1956, p. 141.
Ce qui enfin dément totalement l'idée d'une offensive préventive - outre cette quasi-unanimité des témoins allemands -
c'est cette expèce d'enthousiasme qui a présidé aux préparatifs de la guerre à l'Est, en dépit de quelques rares oppositions. Nombreux, très nombreux étaient les officiers supérieurs allemands à croire que la guerre contre la Russie
serait bouclée en dix semaines - la preuve, il n'a été prévu aucun vêtement d'hiver. L'
Abwehr a confirmé les prévisions les plus optimistes sur l'Armée rouge. Staline avait décapité le Haut-Commandement, et les Soviets avaient fait pâle figure en Pologne et en Finlande. Staline, de toute évidence, n'était capable que d'agresser des proies mortes et sans défense.
Bref, les généraux allemands s'ancraient dans une logique de guerre d'agression, comme d'habitude depuis l'Anschluss, et certainement pas dans celle d'une offensive préventive.