François Delpla a écrit:Hitler manipule tout son monde à la fois et chacun au moyen de la manipulation des autres !
Ainsi, son positionnement fermement anticommuniste du début de 1933 jusqu'à la fin de 1938, jalonné notamment par le pacte de non-agression avec la Pologne de janvier 1934, lui permet de séduire l'Angleterre, l'Italie et le Vatican, ainsi que d'isoler et de neutraliser la France, tout en rendant Moscou nerveux et en le poussant à explorer les voies d'une alliance occidentale... sans que celle-ci puisse se concrétiser, puisqu'à Londres et même à Paris on estime qu'il n'y a pas le feu.
Notons qu'Hitler a d'autrement meilleures armes pour manipuler l'opinion européenne. Moscou n'a strictement aucune place dans le concert européen.
François Delpla a écrit:Entre-temps, il y a l'affaire Toukhatchevsky et là deux thèses s'affrontent : soit Staline a envie de le tuer et se fait livrer exprès des documents par les nazis via Benes pour le compromettre, soit les nazis manigancent tout de A à Z. Peu importe ici. Puisqu'un contradicteur n'a pas craint de nier, à mon adresse, la manipulation hitlérienne, et de prétendre démontrer l'inverse, en disant que c'était Hitler et non Staline qui s'était suicidé en 1945 (alors que j'ai toujours pour ma part situé cette manip avant Barbarossa), j'en userai ici de même : c'est Staline qui se trouve amené à fusiller la moitié de ses officiers supérieurs, et non Hitler.
La manipulation nazie de l'affaire Toukhatchevsky est à mon avis un fantasme, Heydrich est persuadé de faire un super coup, c'est pathétique! Staline aurait purgé ses généraux sur base de documents fournit par Benes, allons donc! Qui plus est, contrairement à ce qu'on nous rabâche depuis des décennies, je ne pense pas que les purges militaires soient tellement aberrantes, la génération d'officiers qui a battu l'Allemagne nazie est-elle spontanée? De plus il n'y a aucune opposition militaire lors des premiers mois de Barbarossa. Je pense que sans les purges, Hitler avait plus de chances de vaincre en 1941: l'autorité de Staline ne supporte en 1941 aucune contestation. Il a gardé les éléments les plus sûrs, mais l’histoire a démontré qu’il ne s’agissait pas des plus mauvais.
François Delpla a écrit:Munich est un sommet : Hitler, qui veut liquider la France avant l'URSS (et tout démontre, en dépit d'apparences propres à abuser les crédules à l'époque et depuis, qu'il se tient fermement à cette idée de base de Mein Kampf), trouve le moyen de s'entendre en apparence avec l'une pour paraître prêt à fondre sur l'autre, avec la bénédiction non seulement de Paris mais de Londres. Il a alors créé le conditions d'une panique maximale sur les bords de la Moskowa... et d'un accueil optimal à ses ouvertures savamment progressives de 1939, jusqu'au pacte inclus.
Hitler ne voulait pas attaquer l'URSS en premier, je vous crois sur parole, mais dites-moi quelle alternative pour Staline? Comment aurait-il pu mieux jouer son coup? Sa marge est étroite.
François Delpla a écrit:Ce pacte est pour Staline un moindre mal... mais tout de même un mal très profond. Lui-même n'est pas homme à se consoler vraiment des lots de consolation baltes, finlandais, polonais et bessarabiens, qu'il empoche avec progressivité, prudence et, au total, pas complètement (il augmente sa part de Lituanie mais en renégociant avec Berlin, prend en plus de la Bessarabie la Bukovine du Nord mais laisse échapper l'essentiel de la Finlande). Il est discrédité, au dehors, à part le chinois avec lequel il n'est déjà pas très copain les PC se liquéfient, bref il n'est plus du tout maître de son destin et prie pour que Hitler s'enlise longtemps à l'ouest.
La liquéfaction du PCF est-elle une si grande perte? Quel intérêt en cas de guerre européenne? Le destin de Staline repose-t-il sur ces partis qu’il a maintes fois purgés et de façon de plus en plus violente à mesure qu’on s’approche du centre. Staline n’a nul besoin alors de partis de masse, mais plutôt de noyaux «hardcore», quoi de mieux que le pacte pour se séparer des tièdes et des hésitants. Son discrédit est d'ailleurs très passager, de toute façon et c'est essentiel pour comprendre le personnage et c'est ce qui le distingue d'Hitler: Staline n'a jamais peur d'être impopulaire.
François Delpla a écrit:Panique totale en juin suivant. Cependant Churchill maintient l'Angleterre dans la guerre et cela, au début, c'est plutôt une bonne nouvelle pour Moscou. Je signale d'ailleurs à l'honorable assistance que je situe le zénith manipulateur de Hitler avant l'arrivée de Churchill au pouvoir, quand il fait vraiment ce qu'il veut avec dix coups d'avance sur tout le monde. Le changement de décor est radical dès que Winston apparaît et surtout s'impose -et le dictateur allemand est aux premières loges pour le savoir : un élément d'incertitude se glisse tout d'un coup dans sa stratégie -et de cela il a non seulement horreur mais il n'en a aucune, mais alors aucune expérience, du moins depuis sa prise du pouvoir (en cela je trouve intéressante, dans les interventions qui précèdent, l'idée que Staline, lui, a eu à vaincre des adversaires puissants et déterminés).
Je suis assez d'accord.
François Delpla a écrit:Que l'Angleterre reste en guerre c'est bien, parce que cela retient Hitler de se jeter sur lui. Mais survient un événement très déstabilisant pour tout le monde : Mers el-Kébir, le 3 juillet, ce massacre churchillien en apparence gratuit voire nazi, chaudement approuvé par les Etats-Unis, qui a l'air de signifier que Londres va non seulement maintenir l'état de guerre mais se jeter dans celle-ci beaucoup plus à fond, avec de sérieuses chances d'entraîner Washington si toutefois Roosevelt est élu le 5 novembre.
Je vous laisse analyser les effets de MEK sur Staline. A mon avis ils sont plutôt roboratifs.
François Delpla a écrit:Alors certes Hitler n'a pas machiné cela, mais, il va en profiter pour remettre au coeur de sa stratégie la manipulation de Moscou. Churchill vient d'y envoyer un nouvel ambassadeur, Stafford Cripps, que Staline reçoit avec égards (à commencer par le fait même qu'il le reçoive) juste avant Mers el-Kébir. Mais ensuite, malgré d'innombrables demandes, il ne le verra plus avant Barbarossa ! Car enfin, si l'Angleterre devient enfin agressive avec l'Allemagne (fût-ce par épaves françaises interposées !), c'est bien le moment de faire jouer le pacte "d'amitié" germano-soviétique. Hitler, lui, réagit à MeK en se décidant pour Barbarossa, dès le 13 juillet. Il va donc jouer à menacer Gibraltar, les Balkans etc. La visite de Molotov est à voir sous cet éclairage : il est loin d'être aussi cassant et de mauvaise volonté que Carlo et TT ne le prétendent, mais enfin ce n'est pas le grand beau temps et pour cause. Molotov s'imagine en visite chez un demandeur, qui veut réellement développer une agression contre les intérêts anglais en Espagne et en Afrique, avec l'aide de Pétain et de Franco qu'il vient d'aller voir. Il monnaye donc assez cher le concours de l'URSS (à qui Hitler affecte de demander d'attaquer l'Inde !)... et rien n'en sort, ce qui était le but même de la nation visitée.
Le pacte est un jeu de dupes et peut-être que Staline le joue plus sérieusement qu’Hitler, qui a le plus dupé l'autre? C’est vrai qu’Hitler ne pouvait attaquer à une meilleure date que fin juin, c'est-à-dire à un moment où Moscou croit que la menace sera peut-être reportée à l’année prochaine. Mais sa campagne échoue, de justesse prétendent certains, à mon avis non, Hitler n’aurait pas perdu devant Moscou qu’il aurait perdu dans Moscou.
François Delpla a écrit:Il s'agit ensuite de préparer Barbarossa tranquillement, en le laissant entendre à Staline pour le faire trembler, mais en lui laissant aussi entendre que ce n'est pas sûr, pour le faire ramper. Et cela marche à merveille.
Staline rampe devant Hitler, si vous le voyez ainsi, c’est vrai qu’il met régulièrement son amour propre au vestiaire, cela me paraît plutôt relever de l’habileté politique. L’important pour nous tous, et pour Churchill au premier chef, c’est qu’au moment essentiel, c'est-à-dire quand Hitler pensait pouvoir tirer les fruits de ses manœuvres par une campagne rapide, il n’a pas rampé, il n’a rien concédé… Tout le reste me paraît de la littérature.