carlo a écrit:tietie007 a écrit:1°) Pour Alan Bullock, Hitler-Staline, vies parallèles, Robert Laffont, 1994, page 327, ce n'est pas 3 voix qui s'opposèrent à Staline, 270 délégues (près du quart des votants). Comme Kirov n'avait que 3 voix contre lui, Staline ordonna de manipuler les votes pour n'avoir, comme le secrétaire de Léningrad, que 3 voix contre lui.
En soi, le "congrès des vainqueurs" fut le début du culte de la personnalité qui marqua par la suite le régime stalinien ! Kamenev abjura sa mauvaise conduite, Boukharine encensa Staline comme le "meilleur des meilleurs", Kirov proposa "d'accepter comme une loi du Parti toutes les propositions et considérations du camarade Staline" ...(Ca me rappelle l'infaillibilité pontificale votée lors de Vatican I ..., en 1870).
On a donc un unanimisme de façade et, en même temps, une contestation sourde envers la personnalisation du pouvoir stalinien, surtout que 80 % des délégues du Congrès sont des bolcheviques qui ont connu la guerre civile, alors que ces vieux bolcheviks ne représentent plus que 10 % des effectifs totaux du Parti !
Il n'est donc pas étonnant, que par la suite, après la mort de Kirov, quelques mois après, Staline sacrifia 60% des délégués présents lors de ce congrès des vainqueurs, et 98 des 139 membres et membres suppléants du Comité Central ayant assisté à ce Congrès.
Les vieux bolcheviques, qui avaient connu une époque où la discussion était possible, dans les instances suprêmes du Parti, ne pouvaient qu'être effrayés par la dérive autocratique du régime stalinien. Et le Petit Père des Peuples, ne pouvait que vouloir éliminé ses "électrons libres" pas totalement inféodés à sa personne, ce qui était le cas des nouveaux venus, qui devaient leur promotion sociale à Staline.
Je n'ai pas lu Bullock, je trouve sa démarche pas très intéressante, mais au vu de ses chiffres et de ses commentaires, le source semble évidente: Volkogonov. Ce dernier a écrit son Staline sous Gorbatchev, il lui faut alors expliquer pourquoi les vieux bolchéviques du congrès des vainqueurs montrent autant d'enthousiasme pour Staline (son analyse n'est d'ailleurs pas si mauvaise), mais il trouve son argument principal dans les rumeurs qui entourent les votes et lance le chiffre de 300 votes contres (il dit cependant que tout n'est pas très clair), c'est évidemment de l'eau à son moulin: ce que les héritiers de Lénine n'ont osé dire en face, ils l'ont fait dans le secret de l'urne. Mais voilà, les dépouillements ont été conservé et si ils existent des témoignages qui parlent de 292, 272, 125 ou 100 votes contres (jamais 2 fois le même chiffre), ils en existent aussi, et généralement plus fiables, qui vont dans le sens de quelques voix contre Staline. C'est à des petites choses comme ça, qu'on voit le sérieux avec lequel les uns et les autres traitent leur documentation...tietie007 a écrit:2°) Je n'ai pas saisi votre réponse. Toukha voulait-il renverser Staline oui ou non ?
Mais je n'en sais rien! Par contre connaissant la personnalité et les opinions de Toukha. (e.a. par les Français qui l'ont côtoyé en prison), on ne peut pas dire qu'il n'aurait pas pu jouer un rôle "providentiel".François Delpla a écrit:Je constate que TT n'est pas loin de renier ce qu'il nous disait il y a peu sur la continuité Lénine-Staline.
Le second régime est issu du premier certes, le prolonge à certains égards re-certes, mais en diffère aussi profondément, notamment sur la discipline dans le parti et la conception de son leadership (une tout autre question, souvent confondue et notamment par mes deux interlocuteurs, étant de savoir si Lénine a coupablement ouvert la voie au monstre).
Continuité Lénine-Staline: il est clair pour moi que cette continuité est un fait, on en a parlé ailleurs et je n'avais guère participé au débat...François Delpla a écrit:La reconnaissance des erreurs (lecture du message de Carlo sur le Testament au premier degré comme s'il s'agissait de ses jugements et non de ceux de Lénine) n'est toujours pas le fort de TT. Infaillibilité ?
François Delpla a écrit:Sur le "complot de Toukha", nous avançons par défaut : l'absence de traces archivistiques et de traces tout court, autres que celles d'une intox du SD via Benes, restreignent la question à celle-ci : Staline a-t-il cru à ce dossier ou n'était-ce qu'un avatar militaire du "trotskysme agent de la Gestapo" qui faisait florès dans les procès de cadres civils et auquel Staline, pour le coup, ne pouvait croire, puisqu'il en forgeait au jour le jour les preuves à grand renfort de tortures ?
Pour répondre un peu à coté: on aura sans doute remarqué que ma position sur le sujet des purges peut être qualifiée de "révisionniste" en regard de l'historiographie occidentale de la guerre froide et de l'historiographie totalitarienne en particulier. L'URSS des années 30 n'est pas un pays suffisamment organisé pour préparer efficacement des campagnes comme celles auxquelles on assiste ces années-là, c'est le bordel à tous les niveaux: manque de cadres compétents (déjà avant les purges!), manque de moyens techniques, financiers, humains, manque d'infrastructure et développement rapide dans des conditions loin d'être idéales. En même temps le projet socialiste exige une vigilance politique de tous les instants, il n'a jamais été appliqué de façon aussi radicale à une telle échelle, les contradictions sont nombreuses et parfois extrêmement profondes. Alors oui, le projet soviétique a des aspects totalitaires, il prétend transformer la société et exige un dévouement absolu. Mais en même temps son contrôle est très loin d'être total, Il suffit de voir le déroulement des purges: c'est tout et n'importe quoi, on liquide des quidams pour "dépasser les quotas", mais il suffit souvent de ne pas se présenter à une convocation ou de déménager pour éviter toute poursuite... Dans les purges comme dans l'industrialisation, la machine échappe rapidement au contrôle du centre car le système repose sur un trop petit nombre de cadres compétents dont l'usure physique et psychique est rapide (le cas Iejov est spécialement criant) et sur un volontarisme pas toujours contrôlable.
Le projet soviétique a aussi la caractéristique de faire l'unanimité contre lui, certes on se méfie d'Hitler, mais Mussolini est largement accepté par ses pairs européens. Le problème c'est que le communisme ne s'attaque pas seulement à notre système politique, mais à la base de notre économie. C'est bien sûr en gardant tout cela à l'esprit qu'on peut comprendre les difficultés auxquelles doit faire face un régime dont les membres sont très peu formés pour remplir les exigences du fonctionnement d'un État.
Pour ce qui est des documents du SD, Soudoplatov prétend qu'il n'y en a pas trace dans les archives du NKVD, d'autres racontent que les billets numérotés qui ont servit aux Russes pour acheter ses documents aux Allemands ont permit ensuite de repérer les agents allemands en URSS (Heydrich deux fois entubé, j'aime assez cette version!). Difficile de se faire une opinion sur l'apport de ces documents dans la prise de décision de Staline. A mon avis, et je ne vois pas en quoi cet avis devrait être perçu comme politique, Toukha. était effectivement quelqu'un susceptible d'être écarté dans les conditions de 1937. Je ne vois là aucun signe de paranoïa mais deux raisons "objectives": 1. son passé et ses idées politiques personnelles 2. son opposition à Chapochnikov, leur refus de conciliation.François Delpla a écrit:Cela ne veut pas dire que sa paranoia n'y était pour rien : il me semble que le fait même de renforcer son pouvoir au moyen de telles accusations, tous azimuts, procédait d'un peur panique du complot. Il voulait que chaque Soviétique se méfiât de son voisin et de lui-même, dès qu'il ouvrait la bouche, et il a assez bien réussi. Au point de rendre le système irréformable, tant par Khrouchtchev que par Gorbachtev.
La méfiance comme facteur de désagrégation de l'URSS? Pourquoi pas. Personnellement je verrais plutôt une sorte de déficit explicatif qui a prit corps à l'époque stalinienne. Non pas que Staline soit particulièrement opposé à expliquer ses actions, que du contraire, il y a chez lui, comme chez Lénine, une évidente volonté pédagogique. Mais la situation est tellement confuse, pour les raisons que j'ai évoqué plus haut, que l'explication est difficile (on foire souvent, mais c'est normal) et que bientôt cette explication prend la forme d'une sorte d'automatisme (la langue de bois). Cet automatisme devient peu à peu incontrôlable (on est de nouveau, à mon avis, à mille lieues de l'explication totalitaire) et prend, surtout chez les successeurs de Staline, un rôle central dans la communication gouvernementale. Mais son déficit explicatif devient de plus en plus flagrant et il entraîne, dans une période marquée par des problèmes économiques de grande envergure, une désaffection du public pour tout ce qu'il symbolise.
1°) Loupé, Bullock prend sa référence d'un livre de Roy Medvedev : Let History Judge : The Origins and consequences of stalinism, 1971.
Même si il n'y a pas d'assurance sur cette manipulation des votes, ça ne me suprendrait guère de la part de Staline qui ne devait pas s'arrêtre à ce genre de broutilles, vu tous les procès montés de toutes pièces sous son règne.
Et puis curieusement, 10 mois après ce Congrès, Kirov est assassiné et les purges commencent ...frappant au premier plan les délégués de ce Congrès des Vainqueurs ... qu'on pourrait plutôt nommé le Congrès des vaincus ! Curieux, non ?
2°) Oui, donc il n'y a pas de fumée sans feu ... Pourtant, la pratique stalinienne pourrait, peut-être, vous indiquer la voie ...Pensez-vous que les Procès de Moscou étaient fondés ? Que tous les fusillés et déportés étaient des suppôts de l'hitléro-trotskysme ? Qu'il y ait des oppositions internes au régime soviétique, je veux bien l'entendre, mais il me semble que Staline a tendance à éliminer, physiquement, toute once d'un début d'opposition. Je ne ferai pas la liste des vieux bolcheviques immolés sur l'autel du stalinisme sous des accusations délirantes. La mise à mort du Maréchal s'intègre donc dans cette période de Terreur qui voit le régime éliminer l'ancienne garde bolchevique.
3°) Je ne vois toujours pas en quoi Staline ne serait pas un léniniste. Certes les deux hommes avaient des personnalités différentes, mais le Petit Père des Peuples, comme je l'ai dit maintes fois, s'est tout simplement servi des outils forgés par Illitch, notamment l'interdiction du fractionnisme, loi d'airain décidé par Lénine.
4°) Clair que dans le contexte de l'époque, tout le monde était menacé, que ce soit Toukha ou les autres ...