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Un temoigange soviétique sur Stalingrad.

Après l'opération Barbarossa, les forces de l'Axe contraignent l'URSS au repli.
Après une série de succès, l'Allemagne s'enlisera progressivement puis cédera à Stalingrad et à Koursk.
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Un temoigange soviétique sur Stalingrad.

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de Mikoyan  Nouveau message 19 Nov 2006, 19:25

Témoignage d’Anton Kouzmitch Dragane. Il commandait la 1ere compagnie du 1er bataillon du 42e régiment de la Garde de la 13e division de la Garde de Rodimtsev… pour être précis.

[NDLR : Nuit du 14/15 septembre] « Quand j’eu conduit la compagnie vers la gare et engagé la fusillade avec les fascistes, le comandant de bataillon Tcherviakov me rejoint et me prévint :
- Il faut stopper les fascistes et les contenir. Tenez là-bas aussi longtemps que possible, et faites provision de grenades.
Je fis lever la compagnie et dans l’obscurité lui fis contourner la gare…
La nuit. Le fracas de la bataille alentour. Nos soldats retranchés par petits groupes dans les maisons en ruines, y contenaient à grand-peine la poussée de l’ennemi. Je le sens, la gare est entre ses mains. Nous franchissons sur la gauche la voie de chemin de fer. A un croisement une dizaine de tankiste se tiennent auprès d’un de nos chars endommagés (NDLR : il s’agit de la 6e Brigade blindée de Khopko).Nous nous massons à proximité de la gare et marchons pour engager le corps à corps.
Un coup par surprise, la grenade d’abord, puis le combattant. Les fascistes prennent la fuite en tirant par des rafales désordonnées.
Ainsi la compagnie s’est emparée de la gare. Avant que les hitlériens aient repris leurs esprits et aient compris que nous n’étions qu’une compagnie, nous nous étions déjà fortement organisés pour la défense, et bien qu’ils aient de trois coté lancé jusqu’au matin plusieurs attaques, ils ne purent reprendre la gare…
Le matin arriva insensiblement. Un lourd matin de Stalingrad. Les avions ennemis commencèrent dés l’aube à lâcher en piqué des centaines de bombes sur la gare. Apres le bombardement les tirs d’artillerie. Le bâtiment de la gare flambait, les murs éclataient, les ferrures se tordaient, et les hommes, eux, continuaient à se battre…
Jusqu’à la tombée du soir, les hitlériens furent incapables de s’emparer du bâtiment, comprenant enfin qu’ils ne nous auraient pas par une attaque de front, ils voulurent nous tourner. Alors nous transférâmes le combat sur la place de la gare. Une furieuse bagarre s’engagea près de la fontaine [NDLR, il s’agit probablement de la célèbre fontaine des Komsomols] et le long de la voie de chemin de fer.
Je me rappelle cet épisode : les allemands nous prennent à revers, ils se massent dans un bâtiment d’angle sur la place de la gare que nous appelions pour nous orienter la « clouterie », selon le rapport de nos patrouilles de reconnaissance, parce qu’il s’y trouvait un dépôt de clous. L’ennemi se préparait à nous attaquer de dos, mais nous avions éventé sa manœuvre, et y lançâmes une contre attaque. La compagnie de mortier du lieutenant-chef Zavodoune, arrivée à ce moment à la gare, nous soutint de son feu. Nous ne réussîmes pas à nous rendre maîtres de la « clouterie », et nous ne délogeâmes les fascistes que d’un seul atelier. Ils restaient dans l’atelier voisin.
Le combat s’engagea alors à l’intérieur du bâtiment. Ce n’était pas seulement notre compagnie, mais tout le bataillon qui se trouvait dans une situation extrêmement grave. Son comandant, le lieuteant-chef Tcherniakov, blessé, avait été évacué de l’autre côté de la Volga. Le lieutenant Fédosséev prit le commandement.
L’ennemi enserrait le bataillon de trois côtés. Le ravitaillement en munitions était difficile, il n’était pas question de nourriture, ni de sommeil. Mais le pire était la soif. Afin de nous procurer de l’eau, en premier lieu pour les mitrailleuses, nous perçâmes à coup de feu les canalisations d’où l’eau suintait goutte à goutte.
Le combat dans le bâtiment de la « clouterie » se calmait par moment puis reprenait avec plus de violence. Dans ces brèves escarmouches, le couteau, la pelle-bêche et la crosse de fusil nous tirait d’affaire. A l’aube les hitlériens appelèrent des réserves et firent avancer sur nous compagnie après compagnie. Il devenait difficile de contenir une telle pression. J’en informai d’urgence le lieuteant-chef Fédosséev. La troisième compagnie du sous-lieutenant Koléganov nous fut envoyée à la rescousse. Cette compagnie tomba alors sous un déluge de feu et fut attaqué à plusieurs reprises. Le grand et maigre Koleganov, dans sa capote de soldat couverte de poussière de brique, réussit tout de même à la faire passer : elle comptait en tout vingt hommes.
Dans son compte rendu à l’état-major du bataillon, il écrivit : « je suis arrivé à la « clouterie », la situation est grave, mais tant que je serai en vie, pas une de ces canailles ne passera ! ». Un Combat furieux se prolongea toute la nuit.
Des petits groupes de pistolets-mitrailleurs et de tireurs d’élite allemands commencèrent à pénétrer dans notre arrière. Camouflés dans les greniers, dans les ruines et dans les tuyaux de canalisation, de là ils nous faisaient la chasse.
Sur l’ordre du chef de bataillon Fédosséev j’envoyai sur les arrières des allemands un groupe de pistolets-mitrailleurs. Voici ce que j’écrivis pour moi même à ce sujet, dans mon journal :
« 18 septembre. Le groupe de pistolets-mitrailleurs vient, sans bruit, de s’évanouir dans les ténèbres de la nuit. Ils sont partis en comprenant clairement toute la complexité et la difficulté de leur mission – pénétrer dans les arrières de l’ennemi et y agir isolement.
Chacun d’eux a reçu pour cinq jours de munitions et de vivres et des instructions détaillées sur la façon d’opérer dans les arrières de l’ennemi.
Bientôt la défense hitlérienne fut en alarme : les fascistes ne pouvaient évidement comprendre qui avait fait sauter le camion venant juste d’amener des munitions, et mis hors de combat les servants des mitrailleuses et des pièces d’artillerie…
Dans la nuit du 19 septembre, l’adversaire fit sauter, le mur séparant notre atelier du reste du bâtiment de la « clouterie » et se mit à nous lancer des grenades.
Les combattants de la garde avaient à peine le temps de renvoyer les grenades à travers les châssis des fenêtres. Le sous-lieuteant Koléganovf fut grièvement blessé par l’éclatement d’une d’entre-elles Les soldats touchés tombaient, l’un après l’autre.
Deux soldats de la Garde emportèrent Koléganov vers la Volga. Ce qu’il advint de lui après je l’ignore ».
- nous soutînmes encore le combat pendant plus de vingt-quatre heures, dans la « clouterie », poursuivit Anton Kouzmitch. Les soldats de la Garde de la compagnie de mortiers du lieuteant Zavodoune vinrent à notre secours. Ils avaient depuis longtemps épuisé leurs mines et se transformèrent en tireurs. Ils se couchèrent derrière les barricades, dans la rue, et s’y retranchèrent, tout en entretenant un feu nourri. Vers le soir, celui du 20 septembre déjà, les guetteurs informèrent qu’on observait du coté de l’ennemi une active opération de regroupement, et que l’artillerie et les chars faisaient mouvement vers la gare. Ordre fut donné au bataillon de se préparer à repousser une attaque de chars.
J’organisai dans la compagnie plusieurs groupes armés de fusils antichars, de grenades et de bouteilles incendiaires. Mais cette attaque n’eut pas lieu ce jour-là.
La nuit, au risque de sa vie, une femme parvint jusqu’à nous, du territoire occupé par l’ennemi, une habitante de la localité, qui nous informa que les allemands préparaient une attaque de chars. Elle nous apporta beaucoup de renseignement précieux sur les positions des unités ennemies. Je me rappelle son nom : Maria Vidénéeva. Je veux signaler à cette occasion que les habitants de la ville nous apportaient fréquemment des renseignements et nous ravitaillaient en eau. Mais les noms de ces vaillants patriotes sont malheureusement restés inconnus. Je me souviens seulement encore d’une jeune fille, éclaireur, que les soldats appelaient Lisa ; elle fut tuée pendant un bombardement.
Et le 21 septembre arriva. Ce jour fut le plus terrible pour le 1er bataillon. Dés le matin, les fascistes, soutenus par les chars et l’artillerie, se lancèrent frénétiquement à l’assaut. La puissance de feu et la furie des combattants dépassèrent toute attente. Les hitlériens avaient engagé dans le combat tous leurs moyens, toutes leurs réserves disponibles dans ce secteur, afin de briser la résistance des soldats soviétiques dans le quartier de la gare. Mais ils ne progressaient qu’au prix de lourdes pertes. Ils réussirent à couper le bataillon en deux qu’en fin de journée.
Une partie du bataillon et son état-major furent isolés dans le secteur du magasin « universel ». Les allemands encerclèrent ce groupe-ci de tous côtés, marchèrent à l’assaut. Un corps à corps s’engagea à l’intérieur du magasin, où l’état major du bataillon, ayant à sa tête le lieuteant-chef Fédoséev, soutint un combat inégal. Cette poignée de braves vendit chèrement sa vie. Quatre de nos groupes accoururent à leurs secours, mais l’ennemi avait eu le temps d’amener ses chars, qui d’une rafale, balayèrent tout ce qui était vivant. Ainsi périrent le comandant du 1er bataillon Fédosséev, et ses vaillants camarades.
Apres la mort de Fédoséev, je pris le commandement des restes des unités, et nous commençâmes à masser nos forces dans le secteur de la « clouterie ». J’écrivis un compte rendu de la situation au commandement du régiment, le colonel Eline, et l’expédiai par un homme de liaison qui ne revint jamais plus chez-nous. Notre bataillon ayant dés lors perdu la liaison avec le régiment, opéra indépendamment.
Les allemands nous avaient coupés de nos voisins. Le ravitaillement en munitions était interrompu, chaque cartouche valait son pesant d’or. Je donnai l’ordre : économiser les munitions, ramasser les cartouchières des tués et les armes des ennemis. Vers le soir, les hitlériens tentèrent à nouveau de briser notre résistance, ils arrivèrent à proximité immédiate de nos positions. Au fur et à mesure que les rangs de notre unité s’éclaircissaient, nous rétrécissions la largeur de notre défense. Nous fîmes lentement retraite vers la Volga, en fixant l’adversaire sur nous, et nous nous trouvions presque toujours à une si courte distance de lui qu’il lui était difficile d’utiliser son artillerie et son aviation.
Nous nous retirons en occupant bâtiment après bâtiments et en les transformant en centre de résistance. Le combattant ne quittait en rampant sa position que lorsque le plancher brûlait sous lui et que ses vêtements commençaient à prendre feu. Durant toute la journée, l’ennemi ne réussit à s’emparer que de deux quartiers de la ville.
Au carrefour des rues Krasnopiterskaïa et Konsomolskaïa nous occupâmes une maison d’angle à deux étages. De là nous tenions toutes les approches, sous notre tir, et cette maison devint notre dernière position. J’ordonnai de barricader toutes les issues, d’aménager les fenêtres et les brèches en embrassures pour y faire feu de toutes les armes à notre disposition.
Une mitrailleuse lourde était installée dans un étroit soupirail du sous sol, une place avait été réservée pour les grands blessés. Nous étions quarante. Et vinrent alors les journées terribles. Les attaques se succédaient sans fin. Apres chaque attaque repoussée, il semblait qu’il ne restait plus aucune possibilité de résister à un nouvel assaut, mais quand l’ennemi repartait à l’attaque, nous trouvions forces et moyens. Ceci dura cinq jours et cinq nuits.
Le sous-sol était bondé de blessés. Dix-neuf hommes restaient en état de combattre. Plus d’eau. En fait de vivre seulement quelques kilos de blé à demi brûlé, les allemands avaient décidé de nous prendre par la faim. Les attaques avaient cessé, mais les mitrailleuses de gros calibre nous tiraient dessus sans arrêt. Nous ne pensions pas au salut, mais seulement à la façon de vendre notre vie la plus cher possible – il n’y avait pas d’autre issue. Et voilà qu’un lâche se manifeste parmi nous : certaine de notre perte évidente, inévitable, un lieutenant flancha. Il décida de nous abandonner et de s’enfuir la nuit vers la Volga. Comprenait-il qu’il commettait une infâme trahison ? Oui, il le comprenait. Il entraîna dans ce crime abject un soldat, tout aussi lâche que lui, et ils, sans être aperçus, se glissèrent de nuit jusqu’à la Volga. Ils construisirent un radeau avec des poutres et le poussèrent à l’eau. De la rive l’ennemi les prit immédiatement sous son tir. Le soldat fut tué, mais le lieutenant parvint jusqu’à la section d’intendance de notre bataillon sur l’autre rive et annonça que le bataillon avait péri.
- et j’ai de mes mains enterré Dragane près de la Volga, déclara-t-il. Toute l’affaire fut éclaircie au bout d’une semaine. Mais comme vous voyez, il a eu tort de m’enterrer avant l’heure…
…Les fascistes reviennent à l’attaque. Je monte là-haut précipitamment vers mes soldats et je les vois : leurs visages émaciés, noircis, les pansements sales et couvert de caillots de sang sur leurs blessures, mais leurs mains serrent fortement leurs armes. Nulle peur dans leurs yeux. L’infirmière Liouba Nestérenko est mourante, le sang coulant à flots d’une blessure à la poitrine. Et dans la main, une bande à pansement. Même à l’approche de la mort, elle voulait aider un camarade à panser sa blessure, mais elle n’en eut pas le temps…
L’attaque ennemie est repoussée. Pendant l’accalmie qui suivit, nous entendions le fracas du combat furieux qui se poursuivait pour le Mamaiév Kourgane et pour le quartier des usines de la ville.
Comment aider leurs défenseurs ? Comment attirer sur nous une partie des forces de l’ennemi, qui a cessé d’attaquer notre maison ?
Et nous décidons d’arborer au-dessus de notre maison le drapeau rouge, pour que les fascistes ne pensent pas que nous avons cessé le combat ! Mais nous n’avions pas de tissu rouge. Comment faire ? Comprenant notre idée, un de nos camarades arracha son linge ensanglanté et après avoir frotté des blessures jaillissantes de sang, me le remit.
Les allemands criaient à l’aide d’un haut-parleur :
- Rouss ! Rends-toi ! De toute façon, tu vas crever !
A ce moment, le drapeau rouge flotta au-dessus de notre maison.
- Tu mens, chien galeux ! Nous avons encore longtemps à vivre, ajouta mon agent de liaison, le soldat Kojouchko.
Nous repoussâmes encore l’attaque suivante, à coups de pierres, en tirant de temps en temps et en lançant nos dernières grenades. Tout à coup, de l’autre côté du mur de derrière on perçoit le grincement des chenilles d’un char. Nous n’avions plus de grenades antichars. Il ne nous restait qu’un seul fusil antichar avec trois cartouches. Je le remets au chasseur de char Berdychev et l’envoie par la porte de service se poster dans un coin, pour y accueillir le char d’une balle tirée à bout portant. Mais avant d’avoir eu le temps de perdre position, il fut capturé par les pistolets-mitrailleurs allemands. Je ne sais ce que Berdychev leur raconta mais je puis seulement supposer qu’il les induisit en erreur, car au bout d’une heure ils reprirent leur attaque justement du côté où était braquée ma mitrailleuse lourde avec la dernière bande de cartouches.
Cette fois, les fascistes, pendant que nous avions épuisé nos munitions, étaient gonflés d’un tel culot qu’on les vit surgir de leurs abris, debout et braillant à plein gosier. Ils s’avançaient dans la rue en colonne.
Je mis alors la dernière bande dans la mitrailleuse du sous-sol, et en logeai les deux cent cinquante balles dans la horde hurlante vert de gris des nazis. Je fus blessé au bras, mais ne lâchai pas la mitrailleuse. Des monceaux de cadavres jonchaient le sol. Les hitlériens restés en vie se précipitèrent, en panique, dans leurs abris. Une heure après, ils amenèrent notre chasseur de char sur un tas de ruines et le fusillèrent sous nos yeux, parce qu’il leur avait indiqué le chemin qui les mettait sous le feu de ma mitrailleuse.
Il n’y eut plus d’attaques. Une pluie d’obus et de mines s’abattit sur la maison. L’ennemi, enragé nous frappait du tir de toutes ses armes. Il était impossible de lever la tête.
Et de nouveau le bruit sinistre des moteurs des chars se fit entendre. Du coin d’un pâté de maisons voisines, on vit surgir les chars allemands bas sur pattes. Notre heure avait sonné, c’était clair. Les combattants de la Garde se dirent mutuellement adieux. Avec son couteau finlandais mon agent de liaison inscrivit sur le mur de brique : « Ici combattirent et périrent pour la Patrie les soldats de la Garde de Rodimtsev ». Dans le coin gauche du sous-sol, on enfouit dans une fosse les archives du bataillon et un sac de troupier renfermant les cartes du Parti et du Komsomol des défenseurs de la maison. Une première décharge d’artillerie rompit le silence. Des coups violents retentirent, la maison chancela et s’écroula. Je repris connaissance – au bout de combien de minutes, je ne m’en souviens plus. Il faisait noir. Une âcre poussière de brique flottait dans l’air. On entendait gémir. L’agent de liaison Kojouchko, rampant jusqu’à moi, me secoua par l’épaule…
- Vous êtes en vie…
Quelques autres soldats encore gisaient à demi étourdis sous le plancher. Nous étions enterrés vivants sous les décombres de cette maison de deux étages. L’air manquait. Nous ne pensions ni à la nourriture ni à l’eau, l’ai était devenu l’essentiel de la vie.
Et tout de même, dans ces noires ténèbres, nous pouvions mutuellement voir nos visages, sentir la présence d’un camarade.
Nous nous mîmes à grand-peine à nous sortir de cette tombe. Nous travaillons en silence, le corps inondé d’une sueur froide et gluante, nos plaies mal pansées nous faisaient souffrir, la poussière de brique nous craquait sous les dents, il devenait de plus en plus difficile de respirer, mais il n’y avait plus ni gémissement ni plaintes.
Au bout de quelques heures, par l’excavation ainsi pratiquée, nous vîmes briller les étoiles, et la fraîche senteur de septembre pénétra.
Les soldats, à bout de force, se pressèrent contre la brèche pour respirer avidement l’air frais de l’automne. Bientôt elle devint assez large pour qu’un homme puisse y passer. Kojouchko n’ayant qu’une blessure relativement légère partit en reconnaissance. Revenu au bout d’une heure, il nous dit :
- Camarade lieutenant-chef, les allemands sont tous tout autour de nous, ils minent la berge, le long de la Volga, leurs patrouilles circulent dans le voisinage…
Nous prîmes cette décision : parvenir jusqu’aux nôtres. Notre première tentative de passer au travers des arrières allemands échoua : nous nous heurtâmes à un fort détachement de pistolet mitrailleurs allemands, et nous ne leur échappâmes qu’a grand peine pour revenir à notre sous sol et y attendre que les nuages cachent la lune. Le ciel s’assombrit enfin.
Quittant notre refuge en rampant, nous nous dirigeons prudemment vers la Volga. Nous cheminons en nous soutenant l’un l’autre, en serrant les dents pour ne pas gémir sous la souffrance aigue provoqué par nos plaies. Nous ne sommes plus que six. Tous blessés. Kojouchko marche en tête, il est maintenant notre avant-garde et notre principale force de choc.
La ville est plongée dans la fumée, les ruines se consument. Sur les abords de la Volga brûlent les citernes de pétrole, les wagons flambent le long de la voie de chemin de fer, et sur la gauche retentit le fracas incessant d’un combat acharné, le tonnerre des explosions, le feu d’artifice multicolore des rafales de balles traceuses retombe en pluie, l’air est saturé de l’odeur infecte de la poudre brûlée. Le destin de la ville se décide là-bas. Devant nous, au bord de la Volga, à la lueur des fusées éclairantes nous apercevons les patrouilles allemandes. Nous avançons en rampant et choisissons l’endroit où opérer une percée. Le principal est d’éliminer sans bruit la patrouille. Nous remarquons qu’un des allemands s’approche de temps en temps d’un wagon en panne, isolé. Là-bas, ont peut arriver facilement près de lui. Le soldat Kojouchko se glisse vers le wagon, un poignard entre les dents. Nous voyons le fasciste s’approcher à nouveau du wagon… un coup bref et il tombe, sans pousser un seul cri. Kojouchko le dépouille promptement de sa capote, l’endosse et se dirige sans hâte vers le suivant. Le second, sans l’ombre d’un soupçon, s’approche de lui. Kojouchko le liquide aussi. Nous franchissons la voie ferrée, aussi rapidement que nos blessures nous le permettent. A la file indienne nous traversons sans incident le champ de mines, et nous voici à la Volga. Nous nous penchons sur son eau, si froide qu’elle brise les dents, et nous buvons sans pouvoir nous désaltérer. Nous construisons avec peine un petit radeau de poutre et de débris de bois pris dans le fleuve, et en nous y accrochant nous flottons au fil de l’eau. Sans rien pour ramer, nous travaillons des bras en tentant de nous mettre dans le fil du courant. Au matin nous échouons sur une plage de sable occupée par des soldats de notre DCA. Ils regardent avec stupéfaction nos vêtements en loques, nos visages amaigris et hirsutes, et avec peine reconnaissent en nous les leurs. Ils nous nourrissent de biscuits et de soupe de poisson. C’était notre premier repas depuis trois jours.
L’équipe de la DCA nous expédia je jour même au bataillon sanitaire.

Stalingrad, la bataille du siècle de V. Tchouïkov, P 147-156.


 

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Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de Kelilean  Nouveau message 19 Nov 2006, 20:19

Salut !

Intéressant témoignage que j'avais déjà eu l'occasion de parcourir (mais dans une autre version) dans un recueil de témoignages, justement, concernant la bataille de Stalingrad (Vaincre ou mourir à Stalingrad, en Livre de Poche, de William Craig je crois).

Celui-ci est original d'abord parce qu'il est soviétique ! . Il est en effet grand temps de faire place aux récits de combattants de l'Armée Rouge, qui constituent une mine d'informations sans forcément d'ailleurs qu'on doive élaguer des monceaux de propagande (je reconnais que c'est quand même souvent le cas)... il faut les prendre comme des sources, de la même manière que les témoignages allemands ! .

Amicalement,

;)


 

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Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de Mikoyan  Nouveau message 19 Nov 2006, 21:28

Oui ce témoignage je le juge particulièrement fiable, d’une part parce que Tchouïkov rédige ses mémoires à la fin de sa vie, en 1975, donc à une période relativement dépassionné de l’immédiat après guerre froide. Et d’autre part, le récit et témoignage de Dragane rapporté par Tchouïkov sont de l’ordre privé et connu par lui fort tardivement, en 1958, donc loin des publications toujours un tantinet revus et corrigés du temps de la guerre (toutes nations confondues, ce n'est pas propre aux soviétiques).
Ce témoigange est émouvant, il nous fait sentir les durs combats consentis par les soviétiques dans Stalingrad. On voit très bien que le 13e Division de fusiliers de la Garde, était une unité d’élite et l’on peut comprendre comment cette division va mettre les allemands en échecs durant cinq mois d’affilés !

Oui il est en effet plus que temps, de prendre en considération les témoignages soviétiques.


 

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Nouveau message Post Numéro: 4  Nouveau message de Mikoyan  Nouveau message 22 Nov 2006, 18:39

un autre témoignage complémentaire tiré du même ouvrage, il s'agit du silo à grain:

Souvenir d’Andrei Khoziaïnov, fusiliers marins de la 92e brigade d’infanterie marine :
« Je me rappelle que, dans la nuit du 18 septembre, après un ardent combat, on m’appela au poste de commandement et me donna cet ordre : parvenir avec ma section de mitrailleuses jusqu’à l’élévateur (NDLR : le silo à grain) et, avec la fraction chargée la défense, le tenir à tout prix. Cette nuit même, nous arrivâmes au point indiqué et nous nous présentâmes au comandant de la garnison. L’élévateur était alors défendu par un bataillon de la Garde (NDLR : 35e Gv SD), qui ne comptait pas plus de 30 à 35 hommes avec les blessés graves et légers qu’on avait pas encore évacuer à l’arrière.
Les soldats de la Garde, fort heureux de notre arrivée, se répandirent aussitôt en plaisanteries et boutades gaillardes. Notre section se composait de 18 hommes munis d’un bon armement. Nous avions deux mitrailleuses lourdes et une mitrailleuse légère, deux fusils antichars, trois pistolets-mitrailleurs et un poste radio.
Le 18 à l’aube apparut du côté sud de l’élévateur un char fasciste avec un drapeau blanc. « Qu’est-il arrivé ? » pensâmes-nous. Deux hommes sortirent du char : un officier allemand et l’autre un interprète. L’officier, par l’intermédiaire de l’interprète, nous demanda de nous rendre à la « vaillante » armée allemande, car toute défense était inutile et nous n’avions que de rester ici plus longtemps. « Evacuez l’élévateur au plus vite, nous exhortait l’hitlérien. En cas de refus pas de quartier. Dans une heure nous commencerons à vous bombarder et nous vous écraserons ». « Voyez moi ce culot ! » pensâmes nous et nous donnâmes sur-le-champ cette brève réponse au lieutenant nazi : « Transmettez par radio à tous les fascistes qu’ils fichent le camp en vitesse… à tous les diables… et les parlementaires peuvent s’en retourner mais à pied seulement ».
Le char voulut se retirer, mais fut stoppé aussitôt par une décharge de nos deux fusils antichars.
Peu après, des chars et l’infanterie ennemis, dix fois supérieur à nos moyens, arrivèrent du sud et de l’ouest à l’attaque de l’élévateur. A une première attaque repoussée en succéda une autre, puis une troisième, et un avion de reconnaissance bi-poutre plana au-dessus de l’élévateur. Il corrigeait le tir et rendait compte de la situation dans notre secteur. Le 18 septembre nous repoussâmes neuf attaques.
Nous économisions parcimonieusement les munitions car il était difficile de les recevoir de loin.
Le grain brûlait dans l’élévateur, l’eau de refroidissement des mitrailleuses s’évaporait ; les blessés demandaient à boire, mais il n’y avait pas d’eau à proximité. Nous nous défendions ainsi jour et nuit pendant trois jours. La chaleur la fumée, la soif ; nous en claquions tous les dents. Le jour, beaucoup d’entre nous montaient au sommet de l’élévateur d’où ils faisaient feu sur l’ennemi, et ils en descendaient la nuit pour assurer la défense circulaire.
Notre poste radio fut mis hors de service dés le premier jour. Nous étions privés de liaison avec nos unités.
Et le 20 septembre arriva. A midi, des côtés sud et ouest s’approchèrent douze chars ennemis. Nos fusils antichars étaient déjà sans munitions, il ne nous restait pas non plus une seule grenade. Les chars s’approchèrent des deux côtés de l’élévateur et commencèrent à canonner presque à bout portant notre garnison. Mais personne ne broncha. Nous tirions sur l’infanterie avec les mitrailleuses et les pistolets-mitrailleurs, sans lui permettre de se ruer dans l’élévateur. Mais un obus nous fit sauter une « maxim » avec son servant, et dans une autre section, un éclat d’obus brisa le manchon de refroidissement de la seconde « maxim » et en faussa le canon. Ne restait plus qu’un fusil-mitrailleur.
Les explosions faisaient voler en morceaux le béton, le blé brûlait. Dans la fumée, nous ne nous voyions plus mais nous nous encouragions par les cris : « Hourra ! Gare là-dessous ! ».
Bientôt surgirent de derrière les chars, les pistolets mitrailleurs ennemis. Cent cinquante ou deux cent environ. Ils marchaient à l’assaut très prudemment en lançant des grenades en avant. Nous arrivions à saisir les grenades au vol et à les leur renvoyer. A chaque approche des fascistes, nous criions tous comme convenu : « Hourra ! En avant ! Pour la patrie ! »
Du côté ouest de l’élévateur, les fascistes réussirent tout de même à pénétrer dans le bâtiment, mais les compartiments qu’ils occupaient furent aussitôt bloqués par notre tir.
La bataille fit rage à l’intérieur du bâtiment. Nous sentions et entendions les pas et le souffle des soldats ennemis, nous ne pouvions pas les voir à cause de la fumée. On tirait au jugé, à l’oreille.
Le soir après une brève accalmie, nous fîmes le compte des munitions. Il en restait peu : cartouches pour le Fusil-mitrailleur : un disque et demi, pour chaque pistolet-mitrailleur : de vingt-cinq à trente et par fusil : de huit à dix.
Avec si peu de munitions, il était impossible de se défendre. Nous étions encerclés. Nous résolûmes de nous frayer une voie vers le secteur sud, du côté de Bététovka, étant donné que les chars ennemis croisaient sur les faces est et nord de l’élévateur.
Dans la nuit du 21 septembre, sous la protection de notre seul fusil-mitrailleur, nous nous mîmes en route. Tout alla bien au début, les fascistes ne nous attendaient pas de ce côté. Apres avoir passé le ravin et la voie du chemin de fer, nous tombâmes sur une batterie en position sous le couvert de l’obscurité.
Je me rappelle que nous renversâmes d’emblée trois mortiers et un wagonnet plein de mines. Les nazis s’enfuirent en débandade ; laissant sur le terrain sept tué, et jetant non seulement leurs armes mais aussi du pain et de l’eau. Et nous n’en pouvions plus de soif. Boire, Boire ! Telle était notre seule pensée. Dans l’obscurité nous nous désaltérâmes à souhait. Puis nous mangeâmes le pain pris aux allemands, et nous nous remîmes en route. Mais je ne connais pas, hélas, le sort de mes camarades, car je ne repris connaissance que le 25 ou le 26 septembre, dans une cave sombre et humide, qui semblait avoir été arrosée de mazout. Sans vareuse et sans botte à la jambe droite. Mes mains et mes pieds ne m’obéissaient plus du tout, et ma tête bourdonnait… »

Fin du récit.


 

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Nouveau message Post Numéro: 5  Nouveau message de Titidexmes  Nouveau message 25 Nov 2006, 11:00

Merci pour ces 2 témoignages. ;)

Tristan


 

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Nouveau message Post Numéro: 6  Nouveau message de Audie Murphy  Nouveau message 25 Nov 2006, 17:47

Toujours assez intéressant d'avoir la vision soviétique. Tu as lu le roman de Balkanov, Juillet 41, Mikoyan ?


 

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Nouveau message Post Numéro: 7  Nouveau message de Mikoyan  Nouveau message 29 Nov 2006, 22:09

Non j'évite de lire les romans. Ce qui me fait râler c'est que les anglophones disposent d'une masse importante d'ouvrages spécialisés sur le front Est, qui ne seront jamais traduit pour nous, les francophones. En France l'histoire du front Est, côté soviétique, c'est vraiment le parent pauvre.
Heureusement que sur un site russe, je peux trouver et lire une masse de mémoires d'anciens combattants, mais c’est en russe évidement : http://militera.lib.ru/memo/index.html


 

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Nouveau message Post Numéro: 8  Nouveau message de Audie Murphy  Nouveau message 29 Nov 2006, 23:29

Je ne lis pas beaucoup de romans non plus, mais quand ils sont écrits par d'anciens combattants sur fond historique...


 

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Nouveau message Post Numéro: 9  Nouveau message de Mikoyan  Nouveau message 30 Nov 2006, 22:20

oui, j'en ai lu un de ce genre de Vassili Grosman, si je ne me trompe pas, sur Stalingrad.
Sinon votre bouqin, il parle de quoi au juste ?


 

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Nouveau message Post Numéro: 10  Nouveau message de Audie Murphy  Nouveau message 30 Nov 2006, 23:05

L'histoire d'un officier russe au front en 1941, surpris par l'attaque allemande. Il se retrouve derrière les lignes allemandes qui ont foncé droit devant et risque d'être encerclé avec ses hommes par les troupes de soutien qui suivent le front. On y voit le climat de méfiance avec les commissaires politiques qui cherchent les traîtres à la patrie. On y sent la détresse d'un officier qui sait d'avance que tout est perdu et qui préfère obéir aux ordres et lancer une attaque suicide plutôt que de demeurer sur place et se voir anéantir de toute façon. Malgré son dévouement, le spectre de la méfiance des commissaires pèse sur lui. Un très bon roman.


 

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