Dès l'été 1940, période de cogitations intenses dans le chef des stratèges allemands (Angleterre, URSS, Méditerranée), un scénario africain fait partie des possibles. La tropicalisation d'un corps expéditionnaire de la
Wehrmacht est donc mise en chantier... on ne sait jamais !
En décembre, les nouvelles provenant de Rome sont mauvaises. Albanie, Grèce et maintenant Egypte, les armées italiennes connaissent l'échec dans toutes leurs entreprises.
HITLER ne s'en émeut guère. La Méditerranée est la chasse gardée de son ami le
Duce. A qui il adresse une lettre le 31 décembre dans laquelle la situation libyenne est évoquée et une aide allemande sous préavis de 3 à 5 mois soit à la saison chaude... En attendant, la
Luftwaffe déploie le
X.Fliegerkorps en Sicile mais le soutien allemand reste très mesuré. D'autres options majeures accaparent les attentions à Berlin : Balkans (
Marita) et bien sûr l'URSS (
Barbarossa).
La déroute en Cyrénaïque et, pire encore!, la menace de perdre Tobrouk révisent le jugement de HITLER. A partir de Tobrouk, la menace britannique sur l'ensemble de la Lybie et partant sur le sud de l'Italie et ses possibles implications sur le front sud de la future opération
Barbarossa nécessitent que l'on s'y attarde.
Le 11 janvier 1941, HITLER décide l'envoi d'un
Sperrverband (un détachement d'arrêt) en Tripolitaine. Des moyens antichars, principalement, doivent donner un coup d'arrêt à la déroute italienne et préserver ce qui reste des possessions romaines en Libye.
Le 15 janvier, la
3.Panzer-Division cède son
5.Panzer-Regiment (tropicalisé) à la
5.Leichte-Division désignée pour constituer le noyau du
Sperrverband (dans un second temps, la
15.Panzer-Division renforcera le dispositif mais elle ne sera pas prête avant le printemps).
L'OKH (Armée de terre) a désigné le général VON FUNCK pour mener le petit corps expéditionnaire. Mais son rapport de la situation fait piètre impression auprès du dictateur. FUNCK pense en effet que les Italiens sont "fichus" et que rien ne permettra de sauver la situation.
HITLER va donc récuser FUNCK et désigner ROMMEL (moins apprécié de l'OKH) lors d'une rencontre le 6 février 1941.
Quelle est la mission de ROMMEL, fougueux général de la campagne de France... ...à la tête d'un "détachement d'arrêt" ?
Ses notes, parues dans "La guerre sans haine", en précisent le contour :
"
Le 6 février 1941, le maréchal von Brauchitsch me fit part de ma nouvelle mission. Pour remédier à la situation critique de nos alliés italiens en Afrique du Nord, deux divisions -une légère et une blindée- devaient partir pour la Lybie où elles leur prêteraient main forte. On me chargeait d'assumer le commandement de ce corps expéditionnaire et j'étais invité à me rendre en Lybie dans les délais les plus brefs, afin de reconnaître les possibilités d'utilisation de la nouvelle formation. On prévoyait l'arrivée des premières troupes allemandes pour la mi-février et celles des derniers éléments de la 5e division légère pour la mi-avril. Fin mai, les derniers détachements de la 15e Panzer seraient à pied d'oeuvre.
En contrepartie de cette aide militaire, le gouvernement italien s'engageait à assurer la défense de la Tripolitaine sur le littorale de la Grande Syrte, dans la région de Bouerat et au sud de cette localité. Ceci afin de permettre l'utilisation de formations aériennes allemandes en Afrique. Les Italiens devaient donc renoncer à leur plan, qui prévoyait la défense exclusive des positions couvrant Tripoli. De plus, il était prévu que les unités motorisées italiennes se trouvant en Afrique du Nord seraient placées sous mon commandement ; je serais, moi-même, sous les ordres du maréchal Graziani."
L'après-midi du 6 février, ROMMEL rencontre le
Führer :
"
...qui me décrivit en détail la situation sur le théâtre d'opérations africain ; il me confia qu'on l'avait désigné à lui comme l'homme le plus capable (1) de s'adapter rapidement aux conditions particulières du théâtre d'opérations africain. Le colonel Schmundt (2), aide de camp principal du [i]Führer, m'accompagnerait dans mon voyage d'étude. On me proposa de regrouper les troupes allemandes dans la région située autour de Tripoli, de manière à pouvoir les masser en vue d'une offensive ultérieure. Dans la soirée, le
Führer me montra des journaux illustrés anglais et américains qui décrivaient l'avance des troupes du général Wavell à travers la Cyrénaïque. Je fus particulièrement frappé par la parfaite coordination entre formations blindées, aviation et unités de la marine de guerre.[/i]"
Deux réflexions :
(1) on sait que FUNCK avait été le premier choix de l'OKH et que ROMMEL ne correspondait pas aux canons de l'officier prussien... ...n'est-ce pas HITLER lui-même qui juge ROMMEL "le plus capable" en la circonstance ?
(2) SCHMUNDT... ce sont les oreilles et les yeux du dictateur... on se souviendra du rôle essentiel joué par l'aide de camp dans la remontée des vues stratégiques de MANSTEIN lors de la planification de
Fall Gelb...
Et de manière plus générale, quelques questions et réflexions :
. pourquoi HITLER désigne-t-il son "général favori" (comme les auteurs se plaisent souvent à désigner ROMMEL) pour une mission défensive sur un théâtre périphérique à la veille de déclarer la guerre à son pire ennemi ?
. ROMMEL se targue auprès de sa femme d'être le seul général en opérations... ...il n'a aucunement conscience de se qui se prépare à court terme dans les Balkans et à l'Est !?
. les commandements s'entrecroisent pour un ROMMEL sous les ordres des Italiens mais à la tête de leurs forces mécanisées amalgamées aux siennes et épaulé par l'aide de camp du
Führer lui-même...
. des Italiens dont on peut déduire que l'aide allemande est également là pour les pousser dans le dos à défendre au mieux la Tripolitaine ;
. à terme (fin mai), il est question d'une contre-offensive mais sans objectif clair autre que la défense de la Tripolitaine et d'un déploiement de la
Luftwaffe sur les aérodromes italiens.
Que penser de cet engagement allemand en Libye ?
Sources (et notamment pour l'ensemble de ce fil) :
Benoit RONDEAU, Rommel, Perrin ;
Hugues WENKIN, Premiers pas en Afrique pour Rommel, 39-45 Magazine n°365 (janvier-février 2021) ;
Basile LIDDEL-HART, La guerre sans haine, Presse de la Cité.