Bonjour,
Quelques précisions puisque mon nom et mon ouvrage (la course au Rhin :
https://www.economica.fr/livre-la-cours ... 870435.cfm) ont été cité dans ce fil
Dog Red a écrit:Dans les faits :
le 24 juillet, 1.586 bombardiers quittent l'Angleterre. La météo annule la mission en plein vol mais tous les appareils ne sont pas prévenus dont 16 qui larguent leurs bombes 2km trop au nord sur les positions de la 30th ID (25 morts et 131 blessés)
le 25 juillet, 500 chasseurs-bombardiers ouvrent le bal suivis par 1.495 bombardiers lourds et 380 bombardiers moyens pour un total de 3.370 tonnes de bombes. La fumée des premiers bombardements gène les suivants et les fumigènes oranges de l'infanterie US passent inaperçus, des positions des 9th et 30th ID sont à nouveau bombardées (111 morts et 490 blessés).
Une autre référence récente qui analyse Cobra dans l'ensemble des opérations de la fin de l'été '44 (Nicolas AUBIN "La course au Rhin" - Chapitres III et IV)
. 1.500 bombardiers lourd ;
. 380 bombardiers moyens et 350 chasseurs-bombardiers ;
pour un total de 4.700 tonnes de bombes.
Les chiffres du 24 juillet recoupent ceux de PRIME. Pas de détails pour le 25 juillet.
Néanmoins, AUBIN rapporte le constat du faible effet du bombardement sur les premières lignes allemandes. Les défenseurs sont toujours là, avec leur mordant habituel, à tel point que la progression du 25 juillet ne dépasse pas 1.500 m.
C'est derrière que les effets sont les plus notables avec des communications totalement démantelées et 3 PC de bataillon anéantis. Voilà qui relativise l'emploi des bombardiers stratégiques en appui au sol (l'expérience sera unique pour les Américains).
Plus ancien, l'album mémorial de la 1st Army de Georges BERNAGE (pp.280-82) cite :
le 24 juillet, environ 1.600 bombardiers dont 35 qui bombarderont les lignes américaines (les pertes se recoupent avec les autres) ;
le 25 juillet, 1.500 bombardiers pour 3.300 tonnes de bombes (ici aussi les pertes collatérales recoupent les autres auteurs).
Conclusion, en l'absence de sources primaires on peut retenir les ordres de grandeur suivants :
3.000 avions dont 1.500 bombardiers lourds pour un peu plus de 3.000 tonnes de bombes.
Personnellement, je préfère des ordres de grandeur aux fameux "chiffres précis" qui ne se recollent jamais en l'absence de sources primaires.
Tout d’abord ma source sur le Carpet Bombing : Blumenson, histoire officielle, « Breakout & Pursuit ».
Vous vous questionnez sur les différences entre auteurs. En fait nous utilisons tous Blumenson mais dans mon cas, je cite les chiffres prévus par le plan, les autres auteurs parlent des effectifs réellement engagés : Christophe Prime écrit que 500 chasseurs-bombardiers ouvrent le bal suivis par 1.495 bombardiers lourds et 380 bombardiers moyens larguant pour un total de 3.370 tonnes de bombes alors que moi j’écris qu’il était prévu d’engager 1.500 bombardiers lourd, 380 bombardiers moyens et 350 chasseurs-bombardiers pour un total de 4.700 tonnes de bombes). Les chiffres sont donc complémentaires et non contradictoires.
Les sources primaires sont facilement accessibles mais leurs exploitations posent problème, ne serait-ce que pour déterminer les effectifs. Que faut-il comptabiliser : les avions qui opèrent à la verticale de la zone du carpet Bombing ou tous les avions intégrés à l’opération (escortes de chasseurs le long du parcours, patrouilles autour du périmètre, missions d’interdiction du champ de bataille qui opèrent jusqu’à plus de 100 km de la zone proprement dite). Il faut être très attentif pour bien savoir de quoi il est question au risque de finir par comparer des tomates avec des carottes et d’avoir d’apparentes contradictions qui n’en sont pas.
2e remarque, il y aura deux autres Carpet Bombing américains dans les mois suivants tenant compte de l’expérience de Cobra :
- Opération Queen, le 16 novembre 1944 en ouverture de l’offensive de la Roer (à ne pas confondre avec la Ruhr)
- Opération Madison le 9 novembre 1944 pour appuyer l’armée Patton dans sa conquête de la forteresse de Metz.
Quelques mots sur la première qui complètent bien le propos de Dog Red sur les questions d’équilibre entre efficacité et sécurité des troupes au sol. Queen est particulièrement sécurisé et ne fera effectivement plus aucune victime amie. « Nous avions détaché des jeeps émettrices de faisceaux d'ondes verticaux qui permettaient de délimiter le secteur par radar. Pour servir de repère visuel une rangée de ballons de barrage portant sur leurs dos des panneaux de couleur cerise s'élevaient à 500 mètres en l'air. A titre de précaution supplémentaire, les 90 millimètres de la DCA arrosaient la bordure du front de projectiles colorés, à 700 mètres en dessous des bombardiers » témoigne après-guerre Omar Bradley, dans ses Mémoires, p.416. De plus les pilotes durent ouvrir leur soute au-dessus de la Manche pour qu'en cas de défaillance des attaches les bombes tombent en mer et non au-dessus des troupes amies.
La suite est tirée de mon livre, "la course au Rhin", pp 376-377 :
« Le 16 novembre, à 11h00, un rugissement annonce 1 200 B-17 et B-24 escortés par 485 chasseurs. Toute l'artillerie de campagne du VII US Corps donne de la voix pour museler la Flak. Pendant une heure, une première vague noie le champ de bataille sous un déluge de feu et de fer. Une seconde vague, du Bomber Command, se présente à 12h48. 460 Halifax et Lancaster guidés par des Mosquito martèlent Düren et Jülich. Tandis que les pompiers sont encore occupés à circonscrire les incendies, deux nouvelles vagues se présentent à 15h30 et 15h50. Dans le même temps onze groupes de bombardiers moyens B-26, d'avions d'assaut A-20 et six de chasseurs bombardiers de la IX TAC s'en prennent à des cibles plus proches : dépôts, postes d'observation, positions d'artillerie, carrefours. Quatre derniers groupes patrouillent prêts à fondre sur l'ennemi sur simple appel des forces terrestres.
C'est le plus massif des Carpet Bombing, 2 400 quadrimoteurs engagés, 10 000 tonnes de bombes larguées en une après-midi, l'équivalent d'une petite bombe nucléaire ! C'est en théorie également le plus abouti. Il combine des frappes sur zone avec des bombes explosives pour réduire en miette le maximum de retranchements et des attaques massives ciblées sur les carrefours et zones de concentration supposées afin de tuer le maximum et de ruiner le système de communication et de commandement ennemi. Pour cela le Bomber Command a panaché ses munitions. Les bombes explosives éventrent les habitations afin de faciliter la propagation des incendies allumés par les incendiaires. Derrière cette lecture clinique, l'Homme a déchaîné un apocalypse. De monstrueux incendies à Düren et Jülich éclaireront de jour comme de nuit la zone des combats durant une semaine. Ces villes sont rasées à 97% mais toutes les autres et même les villages des environs sont également réduits en cendres. Les pertes parmi les civils sont considérables, peut-être 4 000 victimes.
Hypnotisés par ce spectacle, les GI imaginent tous un ennemi accablé. Erreur ! Pour éviter de toucher les soldats américains, les cibles ont été choisies à plus de 3 000 mètres en arrière du front et l'essentiel des frappes ont même été faites à plus de dix kilomètres. A l'exception d'un bataillon de la 47. VGD anéanti alors qu'il était en train de débarquer en gare de Düren, les pertes militaires sont faibles, 1 à 3% selon les divisions. Contrairement à COBRA, il n'y a pas de redditions massives, ni de soldats hébétés. Si carrefours et réseaux téléphoniques sont dévastés, les Allemands parviennent à tirer de nouvelles lignes en moins d'une journée et ouvrent des itinéraires de contournement. Gravats, poutres, briques sont de suite recyclés pour renforcer les barrages et améliorer les points d'appuis qui n'ont guère souffert. Les frappes les plus efficaces ont été obtenues par les bombardiers moyens mais le mauvais temps au-dessus des aérodromes a conduit à l'annulation de nombreuses missions. Même si, pendant des décennies, les écoles militaires américaines verront dans QUEEN la preuve des vertus tactiques des tapis de bombes, affichant fièrement leurs dix pertes pour près de 3 000 avions engagés, l'échec n'en est pas moins patent. ». Pour approfondir, se reporter à C. Mc Donald, The Siegfried Line Campaign., pp.403-406 (c’est de nouveau l’histoire officielle, tome datant de 1963 qui poursuit celui de Blumenson) Michael D. Doubler, Closing with the Enemy, University Press of Kansas, 1994, pp.81-86 (un livre exceptionnel mettant en valeur la capacité d’adaptation de l’US Army qui a juste le défaut d’avoir exclusivement utilisé des documents du front occidental sans voir que des innovations avaient été faites avant sur le front Pacifique), H. Yeide, The Longest Battle, Zenith Press, 2005, pp110-120.
Madison qui se déroule le 9 novembre, quelques jours plus tôt, a une finalité différente, 7 forts de Metz sont pilonnés pour masquer l’avance des GI dont la route passe en contrebas. La 8e Air Force promet de « tuer et tétaniser les troupes ennemies exposées ou semi-exposées et d’endommager les principaux forts de la région au point de les rendre intenable ». 689 bombardiers larguent 2386 t de bombes. Le résultat fut, on le devine sans peine, bien éloigné de ces espoirs. Aucun fort ne fut neutralisé. Le rapport officiel note que « la précision fut faible. Seuls quelques forts ont été endommagés » mais la phrase suivante rééquilibre le propos, l’auteur affirme que l’intensité de l’attaque a eu d’excellents résultats et que vue la densité des défenses dans le secteur visé, il y a eu forcément des installations vitales touchées. En fait cette phrase n’est qu’une justification oratoire. L’auteur n’a aucun élément prouvant ce qu’il avance, c’est une simple extrapolation. Un propos que l’on retrouve dans la plupart des rapports sur les bombardements massifs comme l’a montré l’excellente étude de Stephen Bourque, « Au-delà des plages » parue chez Passés composés, 2019 qui masque en fait des résultats décevants voir nuls.
Finalement les Américains renoncent aux Carpet Bombing pour leurs offensives suivantes.
Bien cordialement
Nicolas Aubin