Dog Red a écrit:thucydide a écrit:Et ensuite c'est sous prétexte que le 3e reich veut une bombe A que les états unis se lancent dans le projet Manhattan.
Pas tout à fait...
Ce qui va lancer les Américains dans la recherche, c'est la mise en garde de la communauté scientifique dans la potentialité qu'une telle recherche aboutisse entre les mains des nazis.
C'est un cas de conscience diabolique pour les scientifiques. Ouvrir consciemment une porte sur l'apocalypse...
Avant la guerre et jusqu'à l'été 39, les physiciens du monde entier - tant allemands que futurs alliés, ou "neutres" - continuent à publier les résultats de leurs recherches dans les principales revues scientifiques.
La première expérience de fission de l'atome (il s'agit de la fission du noyau par une projection de neutrons) est d'ailleurs réalisée en Allemagne en 38 par Otto Hahn et Lise Meitner. L'idée avait été émise par Enrico Fermi en 1934. Juive, Lise Meitner fuit l'Allemagne de justesse et part travailler en Suède. (Elle sera écartée du Prix Nobel, pour cette découverte, au profit du seul Otto Hahn.) Elle est la première à en faire une analyse théorique exacte, et met en avant deux faits majeurs :
- l'éclatement d'un noyau (on utilise des noyaux lourds radioactif, l'uranium, dont l'assemblage est plus instable) dégage un forte quantité d'énergie.
- le noyau qui éclate se sépare en deux noyaux plus petit (j'ai oublié quels éléments chimiques ça donne, peu importe) mais émet aussi en plus des neutrons libres.
En 1939, Frédéric Jolliot-Curie démontre la possibilité d'une réaction en chaîne dans une sphère d'uranium (les neutrons émis par la fission d'un atome allant à leur tour casser d'autres atomes autour d'eux.) C'est un de ses élèves, Perrin, qui calcule la "masse critique", c'est à dire le volume de la sphère à partir duquel on a une explosion nucléaire. (On prend une sphère parce que ça augmente la probabilité qu'un neutron émis rencontre un autre atome, au lieu d'aller se perdre dans l'atmosphère)
(j'ai toujours trouvé stupéfiant que Jolliot-Curie, sympathisant communiste et qui savait ce qu'était Hitler, ait publié ce résultat, au lieu de le faire passer sous le manteau. Mais il faut noter que depuis la découverte d'Otto Hahn, les discussion entre scientifiques avaient filtré, et les journaux américains, en particulier, spéculaient déjà à longueur d'articles sur ce qu'ils baptisèrent la "bombe atomique", bien avant que sa faisabilité soit prouvée.)
En tous cas, avant même que la guerre n'éclate, les principes physiques d'une "bombe atomique" sont sur la table et disponibles pour tout le monde.
Ce sont pour l'essentiel les physiciens nucléaires réfugiés d'Europe aux USA qui prennent conscience les premiers du risque de voir l'Allemagne nazie mettre au point une arme nucléaire. Je crois que ce sont Enrico Fermi, juif italien, et Léo Szilard, hongrois, qui vont convaincre Einstein - qui lui a été harcelé et menacé à Berlin par les SA - le savant le plus célèbre de son temps, à écrire sa fameuse lettre à Roosevelt, qui attire son attention sur la possibilité de réaliser cette arme, ce qui met en route les premières étapes de ce qui deviendra le projet Manhattan.
La matière principale de cette arme future n'est pas l'eau lourde (qui est un ralentisseur de neutron, permettant de réaliser une réaction "freinée" dans un réacteur nucléaire, donnant au passage du plutonium) mais l'uranium. La principale mine et le stock principal d'uranium se trouvent alors au Congo belge, pays africain qui prend soudain une importance stratégique inattendue. L'ensemble est mis à disposition des alliés par le gouvernement belge en exil, et la zone est plus ou moins sécurisée par les gaullistes lorsqu'ils mettent la main sur sur l'AEF.
A ce stade, on connait les principes physique de la bombe, mais on ne sait rien de rien sur les sujets nécessaires à sa réalisation pratique. C'est ce qui va motiver le choix d'Oppenheimer comme directeur scientifique du programme : il est connu à la fois pour ses connaissances et sa curiosité dans de nombreux domaines, ainsi que pour ses capacités de dialogue.
Sans trop m'étendre, il y a une bonne dizaine de directions scientifiques/technologiques à explorer. Par exemple, une sphère d'uranium, très bien, mais à l'époque on ne sait rien sur l'uranium : on ne connait même pas son point de fusion. (il faudra en effet le fondre et le mouler) On ignore tout de ses conditions pratiques d'usinage, etc...
La suite de l'histoire montrera à quel point les savants réfugiés s'étaient alarmés pour rien à propos de la bombe allemande. A la fois du fait de la concentration incroyable de cerveaux - scientifiques et ingénieurs - réalisée à Los Alamos et ailleurs, mais aussi de la débauche de moyens utilisée pour ce projet. (Pour situer, je crois que c'est pour les besoins de l'usine d'enrichissement d'uranium d'Oak Ridge - on a découvert entretemps l'uranium 238 - que l'on fait fondre la moitié du stock d'or de la Réserve Fédérale, pour réaliser des bobinages plus efficaces : l'or est le meilleur métal conducteur. Il sera plus tard repris et refondu en lingots !)
Bref, en termes de matière première et surtout de moyens de recherche, les Allemands étaient très loin des capacités nécessaires.
Malgré l'ampleur du projet, la bombe ne sera pas prête à temps pour vaincre les nazis, et Einstein regrettera toute sa vie sa lettre au président. (Paradoxalement, il participera activement, pendant la Guerre Froide, au comité des savants contre les armes nucléaires :"je ne sais pas avec quelles armes aura lieu la 3e Guerre mondiale, mais je sais que pour la 4ème, il ne restera que des pierres et des bâtons.")
Dog Red a écrit:thucydide a écrit:Ensuite il est difficile de dire si les allemands savaient que les américains avaient pour projet d'en lancer une sur Berlin et étaient informés de l'avancement de leurs recherches.
Il est douteux que les nazis aient eu la moindre idée de l'état d'avancement des recherches US.
En revanche les Russes ont été très tôt au courant.
Klaus Fuchs, autre physicien allemand réfugié, communiste celui-là, est recruté dès 1941 par l'espionnage soviétique. Il ne sera pris qu'en 1950.
En principe, les informations étaient cloisonnées, sur le projet Manhattan, entre les différents sujets de recherches et les niveaux d'accès à l'information. (Tout le personnel de Los Alamos portait un badge de couleur qui le situait "dans le secret".) Mais il n'y a pas de physique sans discussions ouvertes, et en réalité tous ces gens étaient bavards comme des pies.
De plus l'obsession des militaires et du FBI était l'espionnage nazi : allez donc vous méfier d'un réfugié allemand. Il fut découvert par hasard - par une percée des décrypteurs US - mais il avait fourni à Staline assez d'informations précises pour que la bombe russe explose en 49.