Il ne fait aucun doute que ceux qui refusent délibérément de prendre en compte certaines réalités, comme l'ensemble du contexte opérationnel -voire stratégique-, sous le seul prétexte de vouloir "marquer des points" purement rhétoriques, ne seront jamais en mesure de démontrer quoi que ce soit, ni de convaincre qui que ce soit d'averti, de la pertinence de leur analyse, quand bien même il s'agirait de la plus simple et limpide des situations opérationnelles.
Lorsqu'une affirmation dont les termes ont été intentionnellement modifiés pour en faire une fiction, peu importe qu'on veuille l'admettre ou pas, il s'agit bien d'une situation contrefactuelle. Or, j'ai déjà démontré l'existence de cette fiction parallèle que j'appelle la
Razenusie(TM), n'en déplaise au distributeur automatique de bons "points".
Par exemple, lorsque l'auteur razenusien affirme :
"D'où le besoin impératif, si on veut expliquer la brusque et générale interruption de l'avancée par la crainte d'une nouvelle réaction ennemie, d'une documentation démontrant cette crainte.", la première chose à faire, avant même de se pencher sur ce "besoin impératif" de démonstration, c'est de se demander si ce qu'il vous attribue comme intention est effectivement ce que vous avez formulé.
Ce n'est évidemment pas le cas.
Nulle part je n'ai cherché à
"expliquer la brusque et générale interruption de l'avancée par la crainte d'une nouvelle réaction ennemie" puisque, depuis mon premier post, ma position est, au contraire, de soutenir qu'il s'agit de frictions engendrées dans le haut commandement et que cette crise, pour la limiter à la mise en oeuvre du plan Gelb, dure déjà depuis plusiers jours ; de ce fait, aucun des facteurs issus du contexte opérationnel,
pris isolément, n'est a priori plus pertinent qu'un autre.
Lorsqu'on ne possède pas la prétention de pouvoir se téléporter dans la tête d'Adolf Hitler, on ne peut mettre en avant qu'un ensemble de facteurs aussi bien opérationnels, stratégiques ou psychologiques ayant pu conduire à la prise de décision et que c'est valable tout autant pour Hitler que pour Rundstedt. Rien ne doit nous faire penser, a priori, que leurs analyses sont parfaitement identiques en raison du niveau de responsablité qui ne l'est pas.
Cet
ensemble de facteurs du point de vue stratégique et opérationnel est ignoré de l'auteur razenusien qui rejetera chaque considération opérationnelle par un artifice rhétorique largement inspiré des méthodes négationistes : chaque élément pris indépendamment les uns des autres, pourraient être contestable selon des points de vue différents. Pour autant, on sait bien que l'unique point de vue qui compte au final est celui du décisionnaire en personne et non pas le point de vue des autres sur la situation.
Qui plus est, la rhétorique razenusienne ne s'arrête pas à la déformation des arguments contradictoires, elle utilise des racourcis qui ne sont en rien anodins : "brusque" fait référence à un changement soudain de la situation à un instant t ; en terme miltaire, à l'heure H, n'en déplaise au familier de l'auteur.
Quant à l'impact décrit, il s'agirait bien d'une "générale interruption de l'avancée", traduction, "tous les Allemands arrêtent de progresser à l'heure H", et serait due à "la crainte d'une nouvelle réaction ennemie" que voudraient démontrer ses contradicteurs. Cette formulation volontairement provocative veut mettre l'accent sur une absurdité du point de vue de la fameuse doctrine du "Blitzkrieg, précisément".
Je rappelle donc que dans son post 857, l'auteur razenusien nous a appris que nous serions en plein "Blitzkrieg, précisément", qui consiste par dessus tout à aller vite. Par conséquent, arrêter
soudainement l'avancée générale à l'heure H serait une absurdité, en contradiction avec cette supposée "doctrine".
Qu'en est-il de cette doctrine ? je le cite :
"Nous sommes dans un Blitzkrieg, précisément. Ce qui compte, ce n'est pas la connaissance précise des positions ennemies, mais la vitesse avec laquelle on l'oblige à battre en retraite sans pouvoir préparer ni des contre-attaques dignes de ce nom, ni des positions défensives dans le cadre d'une stratégie qui débouche sur quelque chose."
On peut repérer deux idées vagues dans cette affirmation en Haute Razenusie. La première, formulée en dernier, est l'idée claire selon laquelle tout ça relève de la conduite
"d'une stratégie qui débouche sur quelque chose". Donc, celle qui s'appellerait "un Blitzkrieg, précisément".
On peut alors faire remarquer à l'auteur razenusien que le principal objectif stratégique de cette première campagne à l'ouest, selon les directives opérationnelles, est de porter un coup mortel à l'armée française et, de ce fait, provoquer la défaite militaire de la France. Cela se traduit concrêtement dans les plans par la conduite d'une bataille d'anihilation selon des doctrines militaires établies depuis la nuit des temps. Il n'existe donc aucun besoin de l'estampiller d'une anachronique étiquette journalistique de "Blitzkrieg, précisément" en dehors de la Razenusie.
Il a été démontré depuis une bonne trentaine d'années que ce terme ne correspond à aucune "doctrine spéciale" en application dans l'armée allemande de cette époque, à l'initiative (ou pas) de Hitler. En fait, les militaires ne feraient qu'appliquer les principes d'une vieille doctrine prussienne, qui date au moins de Frédérick II, avec des moyens plus modernes.
La seconde idée razenusienne s'exprime ainsi :
"Ce qui compte, ce n'est pas la connaissance précise des positions ennemies, mais la vitesse avec laquelle on l'oblige à battre en retraite sans pouvoir préparer ni des contre-attaques dignes de ce nom, ni des positions défensives". Encore une fois, ceci n'a rien à voir avec le
"Blitzkrieg, précisément" car ce n'est rien de plus que la description d'une manoeuvre d'exploitation en termes opérationnels classiques. On pourrait alors lui dire que le plan Schlieffen mis en oeuvre en 1914 serait aussi un "Blitzkrieg, précisément" mais qu'il a échoué sur la Marne.
Ces deux idées razenusiennes mises bout à bout semblent maintenant des plus confuses par l'affirmation qu'un ralentissement de l'exploitation, consécutive au franchissement de la Meuse, serait absurde en vertu des objectifs stratégiques du "Blitzkrieg, précisément" : celui-ci impliquerait qu'il faudrait aller toujours plus vite. Or, toute la difficulté de l'exploitation est justement de ne pas aller trop vite pour ne pas courrir le risque de se couper de ses soutiens indispensables (ravaitaillement, supports, etc.).
C'est la raison pour laquelle, même à l'heure où les véhicules les plus lents roulent à au moins 40 km/h, la distance journalière parcourue en moyenne lors de l'offensive du 10 au 24 mai n'est que d'une quarantaine de kilomètres... par jour (une moyenne très proche de celle des opérations mobiles allemandes en 1914 lors du plan Schlieffen).
Certes, la vitesse est primordiale lorsqu'il s'agit de profiter localement d'une situation tactique pendant laquelle l'ennemi est désorganisé ("out of balance") mais l'exploitatiion vers le nord reste cependant en contradiction avec l'objectif stratégique qui est de porter un coup mortel à l'armée française, dont le gros est en train de se reconstituer au sud. Ce n'est donc qu'à partir du moment où un coup mortel lui sera effectivement portée que le premier objectif stratégique sera atteint.
De ce fait, la direction de l'effort principal, qui à tout moment doit rester présente à l'esprit du haut commandement, doit se porter au plus vite vers le front sud avant qu'il ne se consolide. Cela crée donc un dilemme opérationnel à résoudre du point de vue de l'exploitation des forces mécanisées dans le nord à la seule fin de précipiter l'effondrement de la résistance face à l'avancée du groupe d'armées Bock. On peut noter à leur crédit que cette direction est d'autant plus risquée qu'elle peut conduire à dépenser, sans profit pour les objectifs de la campagne, un potentiel jugé indispensable mais irremplaçable à brève échéance.
Cette perspective, tout à fait contraire à l'objectif stratégique, d'engager les forces de rupture et d'exploitation au risque de s'épuiser contre un objectif secondaire représente un facteur considérable à prendre en compte au niveau de la prise de décision. En effet, opérationnellement, l'urgence à exploiter est bien de mettre au point une attaque vers le sud alors que la destruction du GA.1, dont le potentiel s'épuise d'heure en heure, passe du même coup au second plan.
Dans le cadre de cette préparation de la seconde phase des opérations, envisagée des le 16 mai et sur laquelle on arrive à se mettre difficilement d'accord entre l'OKH et l'OKW à partir du 20 mai, la précaution de rassembler et remettre en état du fer de lance, déjà sérieusement émoussé, présente donc un caractère tout à fait logique pour s'assurer du succès des opérations à venir.