Soxton a écrit:Il n'y a aucune preuve que Hitler a retenu ses coups.
Si, car lui-même l'a parfois admis devant certains de ses intimes. Par ex. et au hasard, Goebbels (pourtant pas le mieux informé des chefs nazis), à qui il déclare, le 6 mai 1940, c'est à dire peu de temps avant l'invasion de l'Europe occidentale, et moins de trois semaines avant le
Haltbefehl:
England muß einen schweren Schlag bekommen, aber nicht vernichtet werden. Denn sein Weltreich können und wollen wir nicht übernehmen. Soviel Reichtum macht auch garnicht mehr glücklich. Wenn man zu nichts anderem mehr kommt, als nur seinen Reichtum zu bewachen, dann verliert der Reichtum seine schöpferische Kraft. Dann macht er das Volk arm und unglücklich (s. England) und entnervt seine führende Schicht. Das ist die größte Schwäche des englischen Weltreichs.
Que je traduis comme suit (j'ai un souci sur le verbe
zu entnerven):
On doit asséner un coup dur à l'Angleterre, mais pas la détruire. Parce que nous ne pouvons ni ne voulons prendre le contrôle de son empire. Tant de richesses ne vous rendent pas plus heureux. Si on se limite à conserver ses richesses, alors celles-ci perdent leur pouvoir créateur. Et puis elles appauvrissent la population, la rendent malheureuse (voir Angleterre), et débilitent sa classe dirigeante. C'est le plus gros point faible de l'empire anglais.
Après la victoire sur la France, mais devant le constat que l'Angleterre, désormais dirigée par Churchill, ne va pas céder, Hitler redoute un conflit prolongé à l'Ouest, qui l'empêcherait d'étendre l'"espace vital" à l'Est, d'autant que les Etats-Unis s'engagent, peu à peu, aux côtés de l'Empire britannique. Faut-il alors concentrer la totalité de l’effort de guerre allemand contre l’Angleterre ? Le
Führer n’y tient pas,
"parce qu’une défaite militaire de la Grande-Bretagne entraînera la désintégration de l’Empire britannique, déclare-t-il à ses généraux le 13 juillet 1940.
L’Allemagne n’y a aucun intérêt. Le sang allemand coulera pour accomplir quelque chose qui ne profitera qu’au Japon, aux Etats-Unis, et à d’autres".
Certes, le dictateur lance des préparatifs de débarquement, mais sans enthousiasme, et sans cacher son espoir de négociation, d’autant qu’il n’ignore pas que traverser la Manche est des plus hasardeux. Il déploie à partir du mois d’août 1940 une vaste offensive aérienne contre l’archipel britannique, mais elle vise moins à s’assurer la maîtrise du ciel dans la perspective d’un débarquement sur les côtes anglaises qu’à pousser l’opinion britannique, donc le Parlement, à destituer Churchill et nommer un Premier Ministre plus malléable. Le message se durcit à partir de septembre, date à laquelle la
Luftwaffe, après avoir concentré ses assauts sur les bases de la Royal Air Force, au prix de lourdes pertes, amorce le bombardement des villes anglaises. Pourtant, frapper les civils tendrait à réfuter l'idée que l'on cherche un arrangement? Bien au contraire: Hitler, comme on l'a vu, estime que le peuple britannique ne peut souffrir des hostilités de longue durée, et en toute hypothèse ne cherche à convaincre que les politiciens britanniques (dans sa logique, le peuple n'a aucun pouvoir, ses dirigeants, si).
Récapitulons. Sabordage du pseudo-Plan Z (qui n'a jamais reçu de commencement sérieux d'exécution), intrigues diplomatiques de la "drôle de guerre" (où Göring joue un rôle majeur),
Haltbefehl, tournois d'avions de la Bataille d'Angleterre (alors que Hitler ne cherche pas à débarquer), tournée des dictateurs méditerranéens à l'automne (Hendaye, Florence, Montoire) non suivi d'engagements de la part des Allemands (au grand dam de Franco et Pétain), pressions vagues (et nullement dissimulées) sur le Japon pour attaquer Singapour (alors que le pacte tripartite n'est que défensif), Blitz (alors que la
Luftwaffe n'a pas été conçue pour conduire des raids stratégiques), envoi d'un petit corps expéditionnaire, l'
Afrikakorps, en Afrique du Nord (non pour conquérir l'Orient, mais pour sauver les Italiens et semer le trouble sur ce théâtre d'opérations), invasion des Balkans, absence d'effort réel pour soutenir l'insurrection irakienne, guerre navale qui ne met pas sérieusement en danger l'archipel britannique, etc. etc.: si l'on résume objectivement la nature et la portée des mesures prises par Hitler contre l'Empire britannique de 1939 à 1941, force est de constater qu'il n'y là
rien qui s'apparente à une guerre absolue telle qu'elle sera livrée à l'Est (cf. ma définition du concept dans
La Guerre germano-soviétique, tome II, pub gratuite).
Entre effets d'annonce et approches diplomatiques discrètes, entre simples préparatifs théoriques (Plan Z ou attaque sur Gibraltar) et actions davantage spectaculaires que dangereuses (le raid du
Bismarck, l'assaut contre la Crète), la stratégie hitlérienne vise surtout à
impressionner le monde entier, notamment deux pays: l'Angleterre, dont Hitler espère qu'elle jettera l'éponge; l'Union soviétique, à qui l'on fait croire que le gros de la machine de guerre nazie est dirigé contre ladite Angleterre, et donc qu'il peut dormir sur ses deux oreilles...
"On doit asséner un coup dur à l'Angleterre, mais pas la détruire."