Loïc Charpentier a écrit:Bonjour,
Si je peux me permettre,
Oh mais vous pouvez, vous pouvez...
l'intention première du Traité Naval de Washington de 1922 , son déroulement sciemment orienté (action avérée de la"Black Chamber", services américains d'écoute) et ses "révisions" successives, avaient, clairement, pour cible de scier les pattes de la puissance navale nippone dans le Pacifique, au seul profit de l'US Navy. Le sentiment (justifié) des Japonais de s'être fait flouer lors de ses négociations (truquées) n'est pas totalement à écarter, dans les origines du conflit avec les USA, en 1941. Peut-être qu'une attitude plus conciliante des Américains, ce n'est qu'une hypothèse, - aurait, alors, changé le cours des évènements - au départ, à la fin du premier conflit mondial, les Japonais étaient des "alliés" -. On a, parfois, l'impression que la "diplomatie" américaine avait construit un édifice, où, seul, un conflit ouvert, à moins de baisser, définitivement, culotte, était l'unique porte de sortie offerte aux Japonais, les USA tablant l'avantage du nombre, des ressources et de leur éloignement de la zone probable de conflit.
Là, je ne suis pas d'accord. Le traité de Washington - et les traités navals subséquents - répondent surtout à l'objectif, pour les Etats-Unis, de ramener un peu d'ordre dans les affaires du monde, sans avoir à passer par la S.D.N. (dont ils ne font pas partie, pour des motifs liés d'ailleurs aux relations avec le Japon), à la suite de la Première Guerre mondiale et d'une course aux armements ayant opposé Washington et Tôkyô. Comme je l'écris dans mon bouquin (pub gratuite), ces accords visent "à sauvegarder les intérêts de chacun en rendant la guerre impossible".
Ces accords internationaux prévoient, dans cette logique, de réduire le poids des marines de guerre et d'interdire toute militarisation du Pacifique:
1/ D'une part, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, la France et l’Italie, premières puissances navales, s’engagent à ne pas construire de navires de guerre déplaçant plus de dix mille tonnes, et ne conservent les navires de ce tonnage qu’à hauteur de 525 000 tonnes pour les Etats-Unis et l’Angleterre, 315 000 tonnes pour le Japon, 175 000 pour la France et l’Italie. Le traité tient compte de l’apparition d’un nouveau modèle de navire lourd, le porte-avions : aucun d’entre eux ne pourra déplacer plus de 27 000 tonnes, et les tonnages accordés aux différentes puissances restent limités à 135 000 tonnes pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, 81 000 tonnes pour le Japon, 60 000 tonnes pour la France et l’Italie.
2/ D'autre part, les Etats-Unis s’interdisent de fortifier leurs possessions dans le Pacifique occidental, à Guam et aux Philippines ; en contrepartie, le Japon agit de même s’agissant des îles Bonin, Kouriles, Ryukyu, Pescadores, mais aussi de Formose et la Micronésie ex-allemande, qu’il est parvenu à conserver sous couvert d’un mandat de la S.D.N.
Flottes limitées dans leur puissance de feu et leur tonnage, impossibilité de bâtir des bases supplémentaires en Asie et dans le Pacifique, il y a là de quoi exclure toute possibilité d’agression sur cette partie du globe. Le Japon en sort même gagnant : non seulement sa Marine conserve-t-elle un tonnage plus que respectable (Américains et Britanniques doivent en effet se concentrer sur deux océans, au lieu d’un pour les Japonais) et possède littéralement la maîtrise des mers dans le Pacifique occidental, mais encore l’archipel se trouve-t-il à l’abri de toute offensive océanique américaine ou britannique. Les économies réalisées permettront, de surcroît, d’assainir les finances publiques - pour rappel, en 1921, les crédits alloués aux amiraux japonais représentaient le tiers du budget de l’Etat japonais alors que côté américain, ils grèvent le dixième des dépenses publiques.
Ces accords vont toutefois mécontenter, de part et d'autre du Pacifique, la plupart des amiraux japonais et américains. Limiter à un tonnage déterminé le nombre de navires de guerre autorisés réduit à néant leurs prétentions budgétaires après l'"Âge d'Or" des années 1910, et revient à expédier moult vaisseaux à la casse. Bien des carrières s'en trouvent brisées ou ralenties. Au Japon, la Marine impériale ne tarde pas à se diviser en deux factions qui épousent peu ou prou les lignes de friction entre le Ministère de la Marine et l’état-major naval, à savoir la "Faction des Traités", favorable au traité de Washington, et ses opposants de la "Faction de la Flotte". Incapable d’une véritable réflexion stratégique, confondant intérêt national et plans de carrière, ce dernier clan oublie qu’un tel traité se révèle des plus favorables au Japon, et s’emploie à convaincre l’opinion publique du contraire, non sans pactiser avec les courants nationalistes - et autres partis plus démocratiques soucieux de critiquer les Cabinets qui se succèdent au pouvoir...
La "Faction de la Flotte" finira par s'imposer en 1933, purgeant littéralement la Marine de ses officiers les plus compétents et les plus politiquement modérés - seuls en réchapperont des amiraux tels que Yonai (que l'on retrouvera plusieurs fois Ministre de la Marine), Yamamoto (qu'on ne présente plus) et Inouye (le "vaincu" de la bataille de la Mer de Corail, fervent adepte d'une modernisation de la Marine, notamment sur le plan aéronaval). Il est vrai que l'appareil militaire a haussé le ton depuis le kidnapping de la Mandchourie en 1931, et que le pouvoir civil effectue des concessions destinées à acheter sa tranquillité, dans un climat d'attentats politiques commis par de "jeunes officiers en colère"... On connaît la suite.
Bref, le traité de Washington et ses rejetons n'étaient pas de nature à affaiblir le Japon, bien au contraire. Mais ils ont été perçus comme tel par une clique d'amiraux chauvinistes et à courte vue, ainsi que par quantité d'officiers de rang inférieur, brimés dans leur avancement du fait du désarmement international. Ce qui a nourri, chez eux, surtout après leur victoire bureaucratique de 1933, une aversion profonde envers l'Amérique, vue comme une pseudo-puissance indigne de tenir tête au grand Japon. Frustration professionnelle, idéologie nationaliste, imbécillité stratégique et doctrine de la "bataille décisive" de style Tsoushima constituent autant d'ingrédients expliquant la dérive de la Marine impériale au cours de ces "années noires".